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L’Edito du Lundi 14 Octobre 2013: De la comédie du plafond de la dette, du révisionnisme financier Par Bruno Bertez

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L’Edito du Lundi 14 Octobre 2013: De la comédie du plafond de la dette, du révisionnisme financier Par Bruno Bertez 

Nous soutenons que tout se qui se passe aux Etats-Unis, le conflit sur le plafond de la dette, l’affrontement sur Obamacare, le no-taper, la non-nomination de Summers, le choix de Yellen, tout est lié. On parle de la même chose, on débat ou feint de s’opposer sur une seule et même question. Cette question est celle-ci : peut-on continuer comme avant ? Peut-on continuer à dépenser sans compter, à créer plus de pouvoir d’achat que l’on ne peut produire de richesses, peut-on continuer à faire plus de promesses que l’on ne peut en honorer ? 

Peut-on continuer à faire plus de promesses que l’on ne peut honorer, d’abord aux Américains, ensuite aux créanciers des Etats-Unis, enfin au monde entier à qui on prétend garantir la Pax Americana. Peut-on promettre le beurre, les canons, les drones, la sécurité, l’ordre impérial, tout en même temps et tenir ses engagements d’honorer sa dette, ses dettes. 

Nous n’allons pas vous décortiquer le lien entre ces différents éléments, juste les esquisser pour être convaincant. 

 Le conflit sur le plafond de la dette a pour origine l’incapacité des opposants à Obamacare de réformer la loi mise en place par le Président. Ils n’ont pas de moyens légaux pour le faire revenir en arrière. Les Républicains se servent donc du plafond de la dette comme d’un moyen de chantage, ils prennent le financement en otage puisque la question de Obamacare bute sur son financement. Le débat sur le plafond de la dette est otage en quelque sorte de l’opposition à Obamacare. Donc le fond du problème, c’est: peut-on dépenser et promettre plus sans compter? 

En avril, puis au cours de l’été, Obama a eu envie de changer de politique. Sensible à l’accroissement scandaleux des inégalités produit par la politique monétaire ultra-accommodante  et les QE, il a eu envie de changer de pied. C’est la raison pour laquelle il s’est tourné vers Summers, qui, comme par hasard au même moment, en Avril, a fait un discours très remarqué qui prenait ses distances avec la politique de Bernanke et remettait l’accent sur la politique budgétaire. Summers est convaincu que l’action efficace est au niveau budgétaire et non pas au niveau monétaire. Summers se préparait à succéder. Les officiels japonais l’avaient annoncé par avance! 

La campagne anti-Summers, de toutes origines, le tir groupé, pas tout à fait spontané ou innocent, la forte hausse des taux du taux à 10 ans, tout cela a fait reculer Obama, Summers, qui avait compris le message qu’on lui lançait -vous n’êtes pas le bienvenu- a jeté l’éponge, il s’est retiré, Obama a, passez-nous l’expression, canné.  

A ce moment, l’affaire a été scellée ; d’une part, on continuerait dans la voie de Bernanke, donc on nommerait Yellen, d’autre part, on n’arrêterait pas les QE, toute raison de faire une transition en douceur ayant disparu. 

Donc victoire des partisans de la continuité, des partisans forcenés de la solution monétaire, ils gagnent sur toute la ligne. On se donne les moyens monétaires de continuer comme avant, de créer des liquidités gratuites, de promettre le « Put » perpétuel, de gonfler les prix des assets, c’est à dire en résumé, de ne mettre aucune limite aux dépenses, d’une part, et aux promesses, d’autre part.

Donc la fuite en  avant, donc, le maintien de la ligne dite « inflationniste ». Ligne inflationniste ne voulant pas dire « ligne de la hausse des prix du CPI ou des salaires » ; non, cela veut dire inflation des liquidités et des prix des assets. 

On pourrait croire que l’affrontement en cours sur le plafond de la dette recouvre l’affrontement sur la possibilité de dépenser sans limites et de s’endetter. D’un côté, il y aurait les vertueux républicains et de l’autre les laxistes démocrates. Ce serait une erreur. Le conflit est idéologique et politique, politicien avant tout.  

Les Républicains ne sont pas plus vertueux que les Démocrates, ils en font la preuve régulièrement quand ils sont au pouvoir, mais ils ont une aile droite, conservatrice, qui les talonne, qui les harcèle et qui veut en découdre avec Obama pour des raisons idéologiques. Ils veulent lui faire mettre les épaules à terre. Ils refusent l’évolution du système américain dans la direction voulue par Obama et ses supporters. Rappelons que la Finance et Wall Street soutiennent Obama et non les Républicains conservateurs. Donc le leader républicain ne demande qu’une chose, céder, mettre le genou à terre devant Obama et les dépensiers, mais il est obligé de sauver les apparences et de penser aux prochaines élections. La division des Républicains est forte, profonde, et beaucoup d’élus ont besoin des voix des conservateurs s’ils veulent conserver leur poste ou bénéficier de l’alternance. A droite,  on rêve beaucoup de candidatures dites indépendantes. C’est pour cela que nous affirmons que le shutdown est une comédie, comédie qui, par accident, pourrait tourner mal, mais comédie, jeu sur les apparences. Boehner ne cherche qu’à faire semblant. 

Notre conviction est qu’il n’ y a qu’une toute petite minorité aux Etats-Unis pour vouloir changer, revenir en arrière, pour accepter des limites aux dépenses, aux prétentions, aux promesses, et donc à la poursuite du gonflement du crédit, du gonflement de la dette. Mieux même, il y a tout un courant de pensée théorique qui soutient que, d’une part les Etats-Unis sont dans leur droit de ponctionner le monde car ils assument des charges impériales de maintien de l’ordre et que, d’autre part, leur statut de seigneur rend inadéquate la question de leur solvabilité, ils ne peuvent être insolvables. 

Le 11 septembre 2013,  Alan Blinder, personnalité respectée et ancien vice-président de la Réserve Fédérale, a donné une contribution  très remarquée, une op-ed phare dans le Wall Street Journal. 

A notre avis, elle fournit une clef, une introduction, pour comprendre la situation dans laquelle nous sommes. Elle illustre le penser-faux théorique qui a conduit à la crise et mènera inexorablement à la prochaine. Blinder a titré : « Five years later, Financial Lessons not learned ». 

Nous citons: 

« Loin d’être domptée, la Bête financière a eu à nouveau son mojo, elle est en train de gagner » …

« Les gens ont oublié et ils sont à nouveau en train de perdre »… « Voici quatre exemples, il y en a d’autres » et Blinder explique que l’on n’a pas réformé les éléments essentiels porteurs de crise à savoir : l’hypothécaire et la titrisation, les dérivés, les agences de rating, le proprietary trading . 

Donc Blinder soutient, comme beaucoup aux Etats-Unis, beaucoup en Europe, que la réforme, les réformes sont insuffisantes. Dodd Frank prend l’eau à toute vitesse, dit-il. Que peut-on faire pour rappeler aux Américains les horreurs qui, pourtant, ont conduit au passage de cette législation ? 

L’idée centrale est que la crise pouvait être évitée si on avait mieux réglementé, que la prochaine crise aurait pu être évitée si on avait eu le courage et la clairvoyance de faire les réformes nécessaires dans les domaines cités ci-dessus. 

Avec les actions au plus haut et les prix de l’immobilier qui recommencent à grimper, qui a envie de jouer les troubles fêtes? Personne, c’est évident. 

Alan Blinder est en quelque sorte le porte-parole, pour nous, des promoteurs de la prochaine crise dans la mesure où il fournit une interprétation révisionniste de ce qui s’est passé avant et depuis 2008; dans la mesure où il entretient l’illusion que si les régulateurs étaient avisés, alors on pourrait échapper à la crise. On pourrait, selon son révisionnisme, continuer à dépenser plus que l’on ne produit, promettre plus que l’on ne peut tenir, s’endetter au-delà de ce que l’on peut rembourser. Ce sont ces gens qui, refusant de faire le vrai, le seul diagnostic scientifique de la crise, conduisent à la prochaine. 

Non, en corrigeant à la marge les excès, on n’évite pas la crise car la crise gît dans la démarche fondamentale même qui prétend que l’on peut, du moment que l’on est prudent, empiler autant de dettes et de crédit que l’on veut. Blinder nie les travaux fondamentaux de Minsky, les travaux de Marx, les découvertes de Steve Keen et de beaucoup d’autres. Le système produit de l’instabilité financière au fur et à mesure que la dette dudit système progresse, voilà ce qu’il faut cacher par le révisionnisme 

Contrairement à  ce que dit Blinder dans le même texte, nous n’avons pas connu 75 ans de tranquillité grâce aux réformes de Roosevelt, nous n’avons connu qu’une succession de crises de plus en plus rapprochées et de plus en plus coûteuses à traiter. Le système issu du décrochage à l’or de 1971, puis issu de la dérégulation financière, puis issu des innovations de l’ingénierie, ce système a permis une progression explosive de l’endettement, cet endettement instable et vulnérable a causé une succession de crises que les révisionnistes s’empressent d’oublier. Toutes les limites à la création de crédit ont été levées, la politique monétaire activiste a masqué les problèmes tout en les entretenant, elle a favorisé et favorise encore, au centuple, les activités spéculatives, riches de menaces d’instabilité financière, comme a osé le rappeler le dernier Jackson Hole. 

L’éclatement de la bulle subprime de 2006/2007/ 2008  n’est qu’un symptôme, un déclencheur d’une crise beaucoup plus profonde, beaucoup plus fondamentale: il y a dés-ajustement radical entre la progression du crédit et les cash-flows, les productions de richesses pour  solvabiliser et honorer ce crédit. Il y a sur-accumulation de promesses que l’on ne peut tenir et qui, à un moment ou à un autre, c’est une question de hasard,  doivent être dévalorisées, détruites. Grâce a l’ingénierie financière, grâce à la complexité, grâce à la disparition des limites à la création de liquidités, on a l’illusion que l’on a trouvé le mouvement perpétuel et que tous les assets financiers que l’on crée sont et seront toujours échangeables contre du bon argent, qu’ils seront honorés, qu’ils seront réalisables sur un marché. Et c’est là la cause fondamentale de la succession des crises et de leur répétition rapprochée. On accumule les dettes, les papiers, les assets, et quand il y a crise et que les gens cherchent à s’en débarrasser, on les calme en créant de la monnaie, mais on n’arrête jamais d’empiler, d’entasser. Contrairement à la propagande,  le système ne se désendette jamais, il n’y a aucun deleveraging, c’est un mythe lui aussi des révisionnistes. 

Blinder nous dit, il n’ y a pas  de réformes, c’est la faute aux banquiers, aux lobbies, la volonté de changer a disparu, on a oublié. Nous disons: courte vue, monsieur Blinder, vous raisonnez comme un tambour, ce sont les banquiers qui ont raison, à partir du moment où on veut fondamentalement continuer à pouvoir créer du crédit et des assets fictifs comme avant, la fonction crée la théorie, l’organe et les instruments. C’est un tout, le système produit ses outils, ses justifications, ses rationalisations, comme celle de Blinder et, bien sûr, ses excès. Tout cela fait partie indissociable du système que l’on ne veut pas changer. Les banquiers n’ont eu aucun mal à montrer que l’on devait continuer à sécuritiser, à titriser, à transformer l’eau des égouts financiers en eau claire, à garder les dérivés sans contrôle ou transparence. Les agences de notation ont eu encore moins de difficulté à prouver que l’on ne pouvait se passer d’elles et qu’il fallait bien que quelqu’un garantisse la pureté de l’eau des égouts. Les proprietary trading ont eu beau jeu de prouver qu’il fallait maintenir une rentabilité élevée des banques et que ceci ne pouvait être fait que par la spéculation et le front- running des vrais investisseurs. Pour créer du crédit,  il faut des fonds propres, pour avoir des fonds propres, il faut de gros bénéfices et, pour avoir de gros bénéfices, il faut de gros résultats de trading. Et comme nous le disons, ce sont les banquiers qui ont raison, on ne peut leur demander une chose et, en même temps, les empêcher de mettre en œuvre ce qui leur donne la possibilité de faire cette chose. 

Le système est un tout, le choix de créer toujours plus de crédit qui a produit le besoin de sophistication, les innovations, l’ingénierie, les outils, les théories, les rationalisations, les excès et… le révisionnisme.  

Nous soutenons que, systémiquement, le système voulant persévérer dans son être, le débat sur la dette et le shut-down font partie des astuces et des pièges qu’il met en œuvre  pour nous tromper et au lieu de se brider, se développer encore plus! 

BRUNO BERTEZ Le Lundi 14 Octobre 2013

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