Le Graphique du Jour

La Syrie : Nouvelle Mecque du terrorisme….

Venus de toute la Turquie, des centaines de Kurdes assistent à l’agonie de la ville syrienne de Kobané, où leurs «frères» combattent les djihadistes de l’Etat islamique. Reportage

Combien seront-ils aujour­d’hui? Deux cents tout au plus? Voilà deux semaines qu’ils contemplent regroupés par petits groupes le panorama fumant de Kobané, la ville syrienne kurde, de l’autre côté de la frontière avec la Turquie, sous le feu des armes lourdes de l’Etat islamique. Les djihadistes ont encore affermi leur emprise sur la ville dimanche, malgré les frappes quotidiennes des chasseurs de la coalition. Dimanche, c’était d’un silo à blé que s’échappait une colonne de fumée. Ils changent de point de vue au gré des interdictions de l’armée turque, qui n’hésite pas à tirer en l’air à l’arme automatique pour les chasser, passant d’une colline aride à un champ souillé par les bouteilles en plastique.

Dimanche, ils étaient à Masser, village à 1 kilomètre à vol d’oiseau de la frontière. Qui sont-ils? Beaucoup sont de Suruç, la ville turque distante de 8 kilomètres du front, d’autres de la région de Diyarbakir, la capitale du Kurdistan turc. Certains sont venus des régions frontalières avec l’Arménie, ou de l’Iran comme cette mairesse de la ville de Bazide, distante de 700 kilomètres de Kobané. «La ville martyre des Kurdes si Erdogan [le président turc, ndlr] n’intervient pas», dit Dalal Takdamir, 55 ans, élue sur la liste du PDP, Parti de la paix et de la démocratie, et qui voit dans le refus de l’armée turque d’intervenir «une preuve supplémentaire du nettoyage des populations kurdes».

Quatre jours que Dalal Takdamir et deux membres de son conseil municipal se déplacent le long de la frontière: «Nous aidons à collecter de la nourriture, mais l’armée turque bouche chaque jour nos voies d’approvisionnement vers Kobané», enrage-t-elle.

Selon son témoignage les autorités sanitaires turques feraient preuve d’une lenteur coupable à intervenir pour prendre en charge les blessés exfiltrés par les combattants kurdes de Kobané: «Il n’y a pas d’antenne sanitaire de première urgence dans les villages alors que c’est une porte de sortie des blessés. Les ambulances mettent un temps fou à arriver, comme s’il y avait une volonté délibérée de les laisser mourir sur place.»

Saymé, la trentaine, originaire aussi de Bazide, yeux verts, les cheveux pris dans un turban, tout en muscles, fume clope sur clope. Partirait-elle se battre, alors que deux tirs de mortiers déchirent l’air? «Si j’ai une arme, oui je pars dans la minute.» Mais sait-elle s’en servir? Elle ne répond pas.

Des adolescentes ramassent les papiers gras qu’ont laissé tomber les hommes. Un type dit, admiratif: «Ces gens du PKK [Parti des travailleurs du Kurdistan, ndlr] sont vraiment disciplinés: ils nettoient tout.» Une quinzaine d’hommes perchés sur le toit de la mosquée, et qui ont trouvé là une vue imprenable sur Kobané, font le V de la victoire à la demande d’une ­caméra.

Du haut-parleur du muezzin s’échappe, modulée par une chambre d’écho: «Vive le YPG [branche armée du PYD, Parti kurde syrien, ndlr]! Vive le président Öcalan [fondateur du PKK, emprisonné à vie par la Turquie]. Je demande votre attention: on a trouvé des clefs d’une Renault. Prière de les demander à la mosquée.»

Depuis 20 jours, Tayar Oztungue a quitté Istanbul et sa compagnie de robinetterie industrielle pour venir en aide à ses «frères». Il a 68 ans et a créé une amicale «de fraternité turco-kurde il y a 40 ans». Tellement enthousiaste à l’époque qu’il en avait fait des porte-clefs: «C’est le dernier qui me reste, fait-il en le brandissant. Et j’en suis revenu de la fraternité…», dit-il dans un sourire las. Le voilà chargé de réunir de l’argent pour «les gens de Kobané».

L’argent viendrait de partout selon lui, et de citer les villes de forte diaspora kurde en Europe. Par sécurité, ce chef d’entreprise ne veut pas donner les montants: «Je sais que je suis observé par les services de sécurité, qui pensent que cet argent va servir à acheter des armes. Je ne souhaite pas du tout le retour du terrorisme, mais ce que fait Ankara est cruel et idiot. Le peuple, lui, est plus sage que ce pouvoir qui est en train de réveiller de vieux démons», explique-t-il en écartant toutefois l’hypothèse d’un retour à la lutte armée comme le laisserait entendre un ultimatum fixé à mercredi par le PKK d’Abdullah Öcalan.

Depuis deux jours, Hammoude, un combattant de Kobané de 22 ans, rentré en Turquie «pour voir sa femme et son fils», se voit repoussé de la frontière par l’armée qui resserre son étau «sur les points de passage. J’ai essayé de passer la nuit dernière mais pas moyen de rentrer à nouveau». La frontière, où sont placés les obusiers de 155 millimètres encapuchonnés de l’armée turque, devient chaque jour plus étanche à l’envoi de vivres et de «volontaires». Il ne resterait à Kobané que moins de 1000 civils selon les Nations unies.

Jean-Louis Le Touzet Suruç/ Le Temps 13/10/14

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