Le choc pétrolier qu’on n’attendait pas : petit mémo à l’attention de ceux qui auraient oublié le chaos mondial déclenché par la dernière baisse durable des cours du brut
Le monde scrute jour après jour la descente du cours du pétrole orchestrée par le bras de fer États-Unis / Arabie Saoudite, qui force la main aux pays producteurs membres de l’OPEP. Un prix bas fait rêver à court terme, notamment Christine Lagarde qui s’est montrée très optimiste, mais devrait nous inquiéter pour la suite…
Pas si vite

Exploitation de pétrole. Crédit Reuters
- A court terme, les pays où l’énergie coûte le plus cher trouveront dans les baisses des prix du pétrole un regain de compétitivité.
- Aux Etats-Unis l’impact est quasi neutre. Il sert au contraire son économie.
- A plus long terme, cette baisse pourrait faire entrer la zone euro en déflation, impacter les pays producteurs et entraîner des changements géopolitiques majeurs.
- Un certain nombre de gisements européens vont devenir non rentables pendant un certain temps.
Atlantico : Les prix du brut ont baissé de manière spectaculaire et perdu environ 30 % depuis juin, pour s’établir actuellement aux alentours de 70 dollars le baril. Pour Christine Lagarde, la directrice générale du Fonds monétaireinternational (FMI), “il y aura des gagnants et des perdants mais, sur une base nette, c’est une bonne nouvelle pour l’économie mondiale”. Est-elle dans le vrai ?
Philippe Sébille-Lopez : Il faut nuancer, à court terme dans une économie globalisée relativement à court de croissance, le fait que le cours du pétrole baisse pourrait servir une reprise de croissance. Les cours du pétrole et du gaz sont alignés avec un décalage de quelques mois, une baisse des prix du gaz est donc attendue prochainement puisque la remontée du brut n’est pas attendue à court terme.Pour un certain nombre d’industries, qui sont hautement consommatrices d’énergies, cela peut leur apporter un regain de compétitivité, notamment dans les pays où l’énergie coûte le plus cher à produire. Pour les Etats-Unis, l’impact est quasi neutre. Ils gardent tous les bénéfices : faible coût et plus de production pétrolière (dont les pétroles de schistes) – et même si de nombreux projets ne seront pas lancés dans les présentes conditions pour des questions de marges insuffisantes (relatives au coût de production).L’Arabie Saoudite a par exemple des coûts de production très bas, entre 5 et 10 dollars le baril. En maintenant sa production face à la surproduction américaine, elle entend donc faire comprendre aux Etats-Unis que le pétrole de schiste n’est pas totalement le bienvenu. C’est cela qui provoque une bulle de surproduction et l’effondremment des cours du pétrole.
A plus long terme, c’est plus délicat. Un certain nombre de pays vont souffrir de la baisse du cours du brut. En zone euro, qui accuse une faible inflation, cette baisse nous ferait entrer en déflation. Or je rappelle gentiment que le but de la BCE est de relancer l’inflation pour échapper justement à cette déflation. Tout est donc à relativiser.
Le propos de Christine Lagarde est imprécis au possible. De quoi parle-t-elle ? De qui ? A quel horizon se situe-t-elle ? Personnellement, je ne le comprends pas. En clair, son propos ne veut pas dire grand chose.
Le parallèle peut-il être fait avec la séquence du choc pétrolier de 1973 et du contre-choc pétrolier de 1985 ?
En 1973, lorsque les cours sont passés de 3 à 18 dollars en quelques semaines, l’industrie pétrolière mondiale était au taquet : la production ne pouvait plus répondre à la demande mondiale qui croissait de manière phénoménale.
D’un certain côté le facteur géopolitique a joué. C’était aussi pour part de responsabilité une crise américaine. En 1971, les Etats-Unis atteignent leur pic pétrolier, ils exportent de moins en moins, importent de plus en plus (augmentent leurs prélèvements sur le marché pétrolier mondial) et pour finir, ils sortent des accords de Bretton Woods, abandonnant par là-même la parité or-dollar. La devise devient flottante, et les prix du baril se mettent en conséquence à flotter pour les pays producteurs.
D’où le mécanisme et la décision, dans la foulée de la guerre du Kippour en 1973, des pays arabes de l’OPEP d’augmenter fortement les prix du baril, voire de faire un embargo sur un certain nombre de pays. A l’origine du choc de 1973, difficile de nier la responsabilité des Etats-Unis…
Le contre-choc de 1985 est à mettre au crédit des pays arabes de l’OPEP. Ils ont instauré un système de quota, qui fait que plus on a de réserves plus on est en capacité de produire. De fait, un certain nombre de pays, dont l’Arabie Saoudite, les Emirats arabes unis, l’Irak, l’Iran, le Koweït augmentent fortement leurs réserves alors que rien ne le justifie vraiment. Ils surproduisent alors que les prix sont bas, notamment pour compenser cette baisse, et ce à travers le système de quotas nouvellement instauré dans l’intervalle. A noter qu’à cette période Arabie Saoudite et Etats-Unis s’étaient entendus sur la baisse du prix du pétrole pour assécher les réserves financières russes, dont la présence en Afghanistan dérangeait les deux partenaires. A cette époque, il était agalement question d’une entente sur les ventes d’armes, et notamment les missiles stinger. La CIA servait d’intermédiaire pour la livraison et l’Arabie Saoudite payait. Le tout à destination du désormais célèbre Oussama Ben Laden, qui à l’époque luttait comme Moudjahidine contre les soviétiques. Il était le principal récipiendaire de l’armement. Quand les principales puissances manipulent les marionnettes, il serait bon qu’elles les manipulent jusqu’au bout !
Les situations ne sont plus les mêmes qu’aujourd’hui. En 1973, c’est principalement un choc pétrolier qui vient indirectement des US et se conjugue avec un facteur géopolitique qu’est la guerre du Kippour. En 1985, c’est un contre-choc pétrolier entre pays arabes, en pleine guerre Iran-Irak. Chacun a besoin d’argent pour financer son effort de guerre. Ensuite vient la guerre du Golfe, et les pays arabes qui soutenaient l’Irak refuseront de payer leur quote-part à l’effort de guerre.
Il s’agit en effet aussi de gagnants et de perdants sur le bras de fer qui oppose Etats-Unis et Arabie Saoudite sur le prix du pétrole… L’Occident va-t-il pouvoir en tirer profit à court terme ? L’équation tient-elle sur le long terme ?
Les Etats-Unis appliquent la loi du marché. L’automobiliste américain paye le litre d’essence à un équivalent de 40 centimes d’euros. L’Européen lui est à 1,40 euros. Du fait des taxes qui amortissent à la hausse comme à la baisse les cours du brut, en Europe on reste loin du compte. Pour l’instant, l’Américain est donc gagnant, et de loin.
Par ailleurs, en maintenant sa surproduction et des prix bas, les Etats-Unis font tourner à plein leur économie, créent des emplois. Le reste n’est que conséquence et effet d’aubaine sur la scène internationale. Les conséquences à long terme ne les dérangent pas. La politique étrangère pour les Etats-Unis, c’est comme le dollar, ils font ce qu’ils veulent pour servir leurs intérêts immédiats, sans se poser la question des effets à long terme ou des bouleversements géopolitiques occasionnés.
Les Etats-Unis misent sur le potentiel des énergies fossiles de leur territoire. D’une façon ou d’une autre, ils sont décidés à les utiliser au gré des négociations qu’ils seront obligés de conduire, notamment dans le cadre des négociations sur le climat. Ils ont les premières réserves cherbonnières mondiales, ils pourront en faire du carburant quand ils le souhaiteront.
Il s’agit avant tout de mettre en valeur leurs ressources, leurs entreprises et leur main-d’oeuvre pour valoriser l’énergétique, sortir de la crise et abaisser le chômage. Leurs impératifs sont avant tout intérieurs. La géopolitique pour eux, c’est relativement secondaire. Mais si les conséquences de leur politique présentent un effet d’aubaine, c’est parfait. Grâce à leur production de prétrole de schiste, ils surabondent le marché et les autres payent les conséquences. Le but, reprendre la main sur leur compétitivité qui passe par leur industrie lourde qui tourne aux énergies fossiles. Quand on leur demande des réductions de leurs émissionde CO2, ils n’ont qu’à basculer du charbon vers le gaz et exporter le surplus de charbon (meilleur marché) en Allemagne. La République fédérale ayant engagé trop vite sa transition énergétique, elle fait tourner à plein ces centrales au charbon.
Les Etats-Unis arrivent à tirer coûte que coûte leur économie vers le haut, dans un marché atonome ou surabondant !
Pour le Japon post Fukushima, c’est aussi positif. Ils importent en effet de nombreuses énergies fossiles. Il bénéficie donc de la baisse du cours.
Globalement, les économies occidentales jouissent d’un petit ballon d’oxygène par rapport au contexte de crise où nous sommes. Mais cela ne peut en rien nous sortir de la situation dramatique que nous connaissons.
Il est donc difficile de dire que cela profite vraiment aux pays occidentaux à long terme… Car suite à cette baisse des cours, un certain nombre de gisements vont devenir non rentables ou à la limite de leur rentabilité, quant à certains projets qui devaient démarrer, notamment ceux à 100 dollars le baril, vont être gelés. Il y a aura certes un rattrapage dans le temps.
Cela vaut aussi pour les Etats-Unis avec le pétrole de schiste, même s’ils ont une marge de sécurité, car ils peuvent supporter une baisse allant jusqu’à 60 dollars le baril. Et même dans ce cas, ils perdraient peu… Parce qu’il y aura une remontée des cours le jour où le surplus pétrolier sera épongé. Et là, ils repartiront de plus belle en produisant ce qui n’était pas rentable jusque là.
Pour d’autres gisements offshore, car on va de plus en plus profond et loin des côtes, avec un coût entre 40 et 50 dollars les projets risquent d’être gelés jusqu’à ce que les prix remontent. Il en ira ainsi d’un certain nombre de projets en Russie.
L’économie russe souffre de la baisse du cours du brut et des sanctions américaines et européennes. Vladimir Poutine pourrait-il perdre le soutien de son peuple pour l’instant versé dans la fibre nationaliste ?
Du point de vue pétrolier, les Russes vont perdre beaucoup d’argent, sachant que cela représente 40% de leur budget. Cela est toutefois compensé par une baisse du rouble.
Par contre, du fait des sanctions et des embargos qui pèsent sur la Russie, nombre de produits vont devoir être importés d’en dehors de l’Europe et payés en dollars, d’où un important besoin d’argent.
Reste que grâce au cours du baril de ces dernières années à plus de 100 dollars, elle jouit toutefois d’un trésor de guerre important, qui n’a été que grignoté pour soutenir le rouble. Au rythme actuel, sanctions et cours du brut bas, ils peuvent tenir un an sans péril en la demeure.
La situation sociale au plan intérieur pourrait toutefois se dégrader si la situation durait plus longtemps, rapport notamment à la difficulté de verser au peuple les pensions et prestations sociales.
Le gouvernement de Vladimir Poutine joue sur la fibre nationaliste depuis de nombreuses années. C’est un moteur puissant pour resouder la population russe, mais les opposants pourraient en profiter pour dénoncer la politique de Vladimir Poutine.
Pour l’instant, ce rapport de forces est en faveur de Vladimir Poutine, il jouit par ailleurs d’un soutien très fort. L’abaissement ou le non versement des pensions, la flambée des prix à l’importation, la baisse du pouvoir d’achat pourraient changer la donne et la majorité de l’opinion russe qui soutient Poutine pourrait se renverser.
Pour alléger les effets précités de l’embargo et des pertes sèches du pétrole et du gaz, Vladimir Poutine pourrait-il faire marche arrière sur la politique extérieure ? Une nouvelle carte de l’Europe peut-elle se redessiner ?
Vis-à-vis de l’Ukraine, nous sommes dans le schéma de la confrontation stratégique russe typique : des populations d’origines russes supposées rallier la mère patrie. Ce qui se valait hier se vaut demain ! L’annexion de la Crimée coûte cependant cher à la Russie.
Reste que Vladimir Poutine ne changera pas sa politique extérieure demain et ne retirera pas ses troupes pour alléger les effets négatifs de l’embargo sur l’économie. Il n’y aura pas de retour au staut quo sur l’Ukraine une et indivisible, sans la Crimée bien évidemment.
Au moment des attentats du World Trade Center, Poutine fut le premier à adresser ses condoléances aux Etats-Unis, c’était l’époque de la lune de miel entre les deux puissances : chacun était d’accord pour accepter ou fermer les yeux sur la chasse aux terroristes de l’autre. Cela a duré jusqu’en 2003. L’invasion de l’Irak par les Etats-Unis a changé la donne. La relation s’est ensuite distandue. L’élargissement de l’OTAN n’a rien arrangé, le système anti missiles en Pologne et en République Tchèque, etc. Bref, les Russes sont dans la situation où ils sont par rapport à l’Ukraine en réaction à la politique américaine de ces dix dernières années.
L’Iran est également encore sous le coup de sanctions économiques, certes allégées depuis l’engagement des négociations autour de la question nucléaire. La crise pétrolière peut-elle impacter ces négociations et retourner le peuple contre les responsables étrangers ? Le tout servirait-il Ali Khamenei ?
Sur le cours du brut, au plan intérieur, il y a un début de réduction des subventions sur l’essence et sur l’énergie de façon plus générale. Evidemment c’est impopulaire, mais la population est quelque peu habituée, puisqu’elle est sous embargo depuis 1979 avec l’arrivée de l’ayatollah Ali Khamenei en 1979, du fait des sanctions américaines d’abord, européennes ensuite. Ces sanctions ont toutefois été allégées depuis l’engagement des négociations autour de la question du nucléaire iranien.
Cela va donc un peu mieux en Iran désormais, mais l’opposition classique demeure entre d’un côté le nouveau président Hassan Rohani et le pouvoir religieux de l’autre, emmené par Ali Khamenei, dont l’agenda diffère de loin de celui du Président. Ce qui réduit de manière drastique les marges de manoeuvre de ce dernier.
Tout dépendra de la suite des négociations jusqu’à juillet prochain. Mais si les sanctions demeurent, elles seront imputables à une puissance étrangère, et l’histoire nous apprend que cela ressoude une population contre l’ennemi extérieur responsable.
Riches en rentes pétrolières et bénéficiant d’importantes réserves financières, les pays du Golfe peuvent-ils résister au manque à gagner, tenir le bras de fer avec les Américains et éviter toute montée des tensions populaires ?
Pour la plupart, mis à part l’Arabie Saoudite, ce sont des pays à petite population qui ont un tel potentiel de réserves pétrolières rapporté à la population, que cela ne pose pas vraiment de problèmes (surtout pour le Qatar qui jouit en plus de réserves de gaz importantes). Il est d’ailleurs amusant de noter les petites frictions entre l’Arabie Saoudite et le Koweït sur la zone neutre entre les deux pays quant aux autorisations et exploitations. Cela dénote des luttes d’influence et de désaccords en interne.
Concernant l’Arabie Saoudite, elle a amassé un véritable trésor de guerre, ses réserves de pétrole sont énormes. Elle alterne d’ailleurs ces dernières années avec la Russie pour la place de premier producteur mondial. Elle dispose d’un capital financier énorme. Au moment des révolutions du printemps arabe, il a d’ailleurs fallu donner énormément à la population pour prévenir les tensions, et ils n’ont pas eu le moindre problème pour ouvrir le carnet de chèque. Des dixaines de milliards ont été dépensés.
Ils ne sont pas trop exposés, ni sur le plan politique ni sur le plan financier. Ils peuvent tenir le bras de fer avec les Etats-Unis. Ils maintiendront leur production au même niveau et ne cèderont pas face à la surproduction pétrolière des Etats-Unis. Alors évidemment cela fait des recettes pétrolières en moins, mais les coûts de production sont très bas. Le seul problème qui se pose est dans l’équilibre budgétaire immédiat, un problème à la marge. Les rentrées fluctuent mais c’est plus gérable pour les pays du Golfe ou l’Arabie Saoudite que pour un grand pays comme l’Iran ou le Venezuela, asphyxié à tous les niveaux.
Plus largement, dans la région du Moyen-Orient, l’alliance entre les Etats-Unis et la coalition arabe peut-elle en sortir écornée ou l’enjeu de la stabilité contre l’Etat islamique prime-t-il ?
L’Etat islamique ne se situe pas dans les zones de production pétrolière en Irak et très peu en Syrie, et dans des zones non matures qui ne donnent pas grand chose du point de vue de l’exploitation pétrolière. Elle produisait un peu moins de 500 000 barils par jour avant la révolution, aujourd’hui c’est quasiment le néant. Les seules zones à pouvoir encore exporter sont proches de la côte, sous contrôle d’ailleurs de Bachar el-Assad. Les réserves sont dans l’Est, dans des zones qui ne ne sont pas en mesure d’exporter, sauf lorsque des factions armées de Daesh prennent le contrôle de puits et organisent clandestinement un export vers la Turquie.
La raison pour laquelle les troupes de la coalition ont bombardé un certain nombre d’infrastructures dites de raffinage, plus ou moins artisanales et mises en place par les islamistes pour raffiner le pétrole brut et produire un diesel de mauvaise qualité, est pour mettre justement fin à ce trafic clandestin à destination de la Turquie. Ces réseaux opéraient et mélangeaient ce diesel de mauvaise qualité au diesel classique. Les autorités turques ont également engagé des contrôles pour que ce trafic réduise ses proportions.
La coalition, en s’attaquant à Daesh, favorise indirectement Bachar el-Assad. L’Etat islmaique reste un ennemi commun des occidentaux avec la coalition arabe.
Le Nigéria est lui aussi en prise avec l’islamisme. Les difficultés financières et la baisse des rentes pétrolières peuvent-elles laisser la part belle à Boko Haram ?
Le pétrole c’est 70% des recettes fédérales (donc budgétaires) et 90% des recettes d’exportations. Des élections présidentielles et générales vont avoir lieu en février 2015. Boko Haram, installé dans le Nord Est sévit sur tout le territoire par des attentats suicides, notamment dans la zone entre Nord et Sud. Leur objectif sera précisément de déstabiliser les élections pour délégitimer le futur président élu, et a fortiori c’est Goodluck Jonathan, parce que c’est un chrétien du Sud du Nigéria.
Normalement, cela aurait dû être un président musulman car au sein de la charte du parti au pouvoir, Parti démocratique populaire (PDP), une alternance est prévue. Mais depuis le retour de la démocratie au Nigéria, il n’y a eu qu’un demi mandat musulman contre 4 mandats chrétiens, si GoodLuck Jonathan est réélu. Cela résume assez bien le problème.
A noter également que la rente pétrolière au Nigéria est partagée entre les politiciens. 50% revient au gouvernernement fédéral, 30% aux 36 Etats fédérés et 20% aux 774 gouvernements locaux. Tous les politiciens, quels que soient leur niveau, sont directement intéressés au partage de la rente pétrolière. Pour les populations, cela se traduit en dépense courante, mais les politiciens sont libres de faire ce qu’ils veulent avec ce qu’ils ont.
Fait intéressant au Nigéria, il existe un fonds spécifique – Excess Crude Account (ECA) – alimenté par les surplus pétroliers par rapport aux prix du baril fixé sur l’année N-1. En ce moment, ils sont proches du prix du marché, mais quand le baril était plus cher, la différence alimentait grandement le fonds précité, distribué à l’Etat fédéral et aux Etats fédérés. A l’époque du choc pétrolier de 2008, suite à la crise financière et à la baisse de la consommation, le Nigéria disposait de 22 milliards de dollars au niveau de ce fond souverain. Aujourd’hui, il n’en reste plus que 4 ! Chacun ayant pioché à l’envi dans ce fonds pour toutes sortes de raisons. Avec la campagne qui s’annonce pour 2015, les gouvernements fédérés ont déjà réclamé 2 milliards de dollars juste pour les élections. Il ne resterait donc plus que de 2 milliards, autant dire rien !
Même s’ils ont des réserves en devises importantes, de l’ordre de 39 milliards de dollars, soit 9 mois d’importations, ils ne pourront pas taper dans les réserves et devront emprunter. Ils sont même condamnés à emprunter, car en période électorale, ils n’annonceront pas de coupes dans le budget. Pour le gouvernement fédéral qui n’est pas populaire dans certaines régions, cela serait catastrophique. Le Nigéria subventionne le carburant, et en cas de réduction, ce serait une crise intérieure assurée. Ils ont d’ailleurs essayé de les réduire et ont finalement renoncé, après des jeux de yoyo sur le montant des subventions accordées.
Boko Haram n’est globalement pas en odeur de sainteté, ils sont d’ailleurs dans une stratégie d’agression, d’attentats suicides qui ne peut leur permettre de rallier la population. Ils sont dans une stratégie de terreur pour imposer une charia rigoureuse et mettre la pression sur le pouvoir politique. Ils s’en prennent d’ailleurs aux membres des partis au pouvoir. Ils peuvent influencer à la marge le jeu politique par rappport aux élections. L’idée étant que les futurs élus finissent, sous la pression, par rallier leurs idées. Si Boko Haram n’a rien à voir avec la crise pétrolière, la crise pétrolière et les problèmes financiers du pays peuvent faire que Boko Haram pèse sur les élections.
Philippe Sébille-Lopez
Philippe Sébille-Lopez est docteur en géopolitique et directeur fondateur du cabinet Géopolia créé en 1995. Il est spécialiste des enjeux énergétiques et notamment des pays producteurs d’hydrocarbures. Il réalise des analyses géopolitiques et missions de consulting en intelligence économique sur ces questions pour des entreprises, institutions et personnes privées. Il est l’auteur de Géopolitiques du pétrole paru aux Éditions Armand Colin.
Source ATLANTICO Le 3/12/2014
http://www.atlantico.fr/decryptage/choc-petrolier-qu-on-attendait-pas-petit-memo-attention-ceux-qui-auraient-oublie-chaos-mondial-declenche-derniere-baisse-durable-1886004.html#vJyHYblWGHyrAGGo.99
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– « La meilleure manière de casser un pays, c’est de l’intérieur. C’est une occasion inouïe d’essayer d’introduire en Russie une contestation plus une crise économique. Ils espèrent que cette Russie qui jusque-là a mené la valse diplomatique (…) va être littéralement asphyxiée… »
– « L’Iran, tout comme la Russie, est menacé d’implosion… C’est le meilleur moyen de neutraliser le nucléaire iranien et de fracasser une bonne fois pour toutes l’axe anti-américain… »
– « Ce ne sont pas les pays du Golfe qui décident, ce sont des valets, ils obéissent à la politique américaine… »
– « C’est une guerre froide qui risque de devenir très chaude, trop chaude (…) Il faut s’attendre dans les jours à venir à ce que cette guerre soit atroce, que les attitudes se durcissent… On joue avec le feu ».