Sommet Obama-États du Golfe: les wahhabo-atlantistes à la fête Par Pepe Escobar

Par Pepe Escobar – 17 mai 2015 – Source :Russia Today
Le sommet qu’a tenu le président des USA Barack Obama avec le Conseil de coopération du Golfe (CCG) à Camp David cette semaine relève davantage du surréalisme que de la géopolitique.

Le racket aux pétrodollars qu’est le CCG (formé de l’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis, du Qatar, du Koweït, de Bahreïn et d’Oman) réclamait à grands cris un accord de sécurité avec Washington similaire à la relation spéciale établie avec Israël. Ce n’est pas demain la veille que nous verrons cela, car cet accord doit être approuvé par le Congrès des USA, dont l’écrasante majorité est dominée par le lobby israélien.
L’option numéro deux était de réclamer à grands cris une sorte d’alliance officielle avec l’Otan, ce qui est pratiquement chose faite lorsqu’on songe à la guerre en Libye, qui était de facto une opération conjointe Otan-CCG. Appelons cela du wahhabo-atlantisme.
Chose certaine, les pays membres du CCG vont recevoir des tas d’armes américaines aussi coûteuses les unes que les autres. C’est déjà commencé en fait (quel pactole pour le complexe militaro-industriel !), avec en prime une affluence de formateurs américains. L’obtention du boni supplémentaire (l’alliance officielle) serait toutefois étonnante.

Autre réclamation à grands cris : un bouclier à toute épreuve, lire antimissile, en guise de protection contre une agression iranienne.Cela n’a aucun sens. Si jamais un accord sur le nucléaire était conclu à la fin juillet entre l’Iran et P5+1 (ce qui est dans l’intérêt suprême de l’UE, de la Chine et de la Russie), les relations entre Téhéran et l’Occident seront non seulement normalisées, mais l’Iran recevra des fonds à profusion dès que les sanctions seront levées.
Comparons cette réalité à ce à quoi aspirent vraiment la maison des Saoud, les faucons dans les Émirats et le régime de fer au Bahreïn : que les sanctions imposées à l’Iran se perpétuent jusqu’à la fin des temps et qu’il demeure à jamais un État paria aux yeux de l’Occident.
Ce qui rend cette proposition encore plus absurde, c’est que les dépenses militaires des membres du CCG dépassent de loin celles de l’Iran. Il y a aussi des divisions internes. Plus souple que les autres pays membres, Oman a des relations amicales avec Téhéran. Puis les Émirats arabes unis ne peuvent nier tirer profit d’investissements iraniens massifs, qui passent notamment par Dubaï.
À l’issue du sommet, nous avons eu droit à l’habituel énoncé vague indiquant que les parties feront plus d’exercices militaires conjoints et collaboreront dans une foule de domaines, dont la défense antimissiles balistiques. On a aussi établi des plans en vue d’accélérer leur fourniture en armement. Enfin, ils ont souligné leur unité dans leur lutte contre EIIS/EIIS/Da’ech.
Méfiez-vous des vassaux qui veulent des cadeaux !
Nous savons déjà que le CCG (un sous-appendice bien situé de l’Empire britannique aujourd’hui disparu) se distingue par les milliards de dollars qu’il dépense en panoplie militaire et, dans le cas de l’Arabie saoudite, par la fixation des prix du pétrole. La plupart des pays membres du CCG comptent des quantités massives de travailleurs étrangers, provenant essentiellement de l’Asie du Sud et dont le nombre est largement supérieur à la population locale, qui arrivent à peine à survivre dans des conditions de travail misérables sans disposer du moindre droit.
Une autre couche d’absurdité s’ajoute avec le Qatar et l’Arabie saoudite qui soutiennent leurs propres réseaux salafistes-djihadistes (qui ne sont pas nécessairement en conflit) en Syrie. La maison des Saoud a également lancé sa tempête décisive à la manière du Pentagone, une opération cinétique illégale de guerre et de bombardement contre le Yémen, que les officines de Washington décrivent, d’une manière toute orwellienne, comme un effort auquel Washington ne fait que prêter main-forte.
L’hystérie habituelle relayée dans les médias institutionnels aux USA prétend que EIIS/EIIL/Da’ech pourrait bientôt envahir le Texas ou bombarder New York. Cependant, la plupart des piliers du CCG demeurent paranoïaques. Dans leur vision du monde inepte, détruire le faux califat équivaut à donner plus de pouvoir au gouvernement à majorité chiite à Bagdad, dirigé par Haïdar al-Abadi du parti Dawa, qui considère les wahhabites pour ce qu’ils sont : intolérants, armés et dangereux.

Le roi Salman, le nouveau capo de la maison des Saoud, est d’ailleurs retombé dans la paranoïa et ayant calculé qu’il n’obtiendra plus de cadeau important de l’administration évitons les conneries d’Obama, il a pété les plombs et envoyé à sa place son nouveau prince héritier, Mohammed Ben Nayef. Qu’à cela ne tienne, c’est l’homme qui compte dans la nouvelle maison des Saoud, comme je l’ai expliqué ici.
Oussama le revenant
Le fantôme d’Oussama Ben Laden en a profité pour faire une apparition remarquée.
L’article récent de Seymour Hersh, qui a mis en lumière le tissu de mensonges de la Maison-Blanche concernant l’élimination de Ben Laden, continue de faire des vagues. La plupart des révélations avaient déjà étérapportées en 2011, à partir d’autres sources.
Ce qui ressort aujourd’hui, c’est que le Service de renseignements pakistanais (ISI) avait déjà capturé Ben Laden et le gardait sous haute surveillance à Abbottābād depuis 2006. C’est un ancien cadre supérieur de l’ISI qui a mouchardé, ce qui lui a permis d’empocher une fortune [$25 millions, NdT] et de se la couler douce depuis en Virginie, avec sa famille .
Un des principaux quotidiens du Pakistan était sur l’affaire depuis un certain temps. Un autre a depuis confirmé l’identité de l’informateur.
Ayant vu la CIA à l’œuvre en AfPak et en Irak, la révélation ne m’a pas surpris outre mesure, car ces gens-là n’arriveraient même pas à trouver l’une des couvertures pachtounes brunes qu’arborait Ben Laden, contrairement au mythe hollywoodien qu’est Zero Dark Thirty [Opération avant l’aube – NdT].
Quant à la mise à mort, ce n’était après tout qu’un assassinat ciblé. Puis là encore, contrairement au mythe, Ben Laden ne portait pas sa kalachnikov et n’a pas utilisé une de ses épouses comme bouclier.

Hersh a tout à fait raison quand il écrit ceci : «Le mensonge en haut lieu demeure cependant le modus operandi de la politique des USA, de pair avec les prisons secrètes, les attaques de drone, les raids nocturnes des forces spéciales, etc.»
Un maillon essentiel de toute cette mascarade est, une fois encore, la maison des Saoud, qui a le bras long. Voici la citation du tueur provenant de la principale source de Hersh à la CIA :
«Les Saoudiens ne voulaient pas que la présence de Ben Laden nous soit révélée parce qu’il était saoudien. Ils ont donc dit aux Pakistanais de le garder dans l’ombre. Les Saoudiens craignaient que nous fassions pression sur les Pakistanais pour que Ben Laden commence à nous parler des connivences des Saoudiens avec al-Qaïda. Et ils ont fait pleuvoir de l’argent, des tas d’argent! Pour leur part, les Pakistanais craignaient que les Saoudiens fassent des révélations au sujet du contrôle qu’ils exerçaient sur Ben Laden. Ils se disaient que si les USA apprenaient de Riyad ce qu’il en était, ce serait l’enfer. Le fait que les USA ont été mis au courant de l’emprisonnement de Ben Laden par un délateur était finalement un moindre mal.»
J’ai expliqué ici pourquoi la guerre contre la terreur est une fraude. Ce qui est différent aujourd’hui, c’est que les véritables Maîtres de l’univers qui dirigent l’axe Washington-Wall Street semblent maintenant en avoir marre de la maison des Saoud.
Même le New York Times a été autorisé à publier ceci : «Le soutien des Saoudiens au djihad afghan il y a des dizaines d’années a contribué à la création d’al-Qaïda.» Ce genre d’affirmation n’aurait pas passé la rampe jusqu’à tout récemment. Le même article nous apprend aussi que le roi Salman «était un recruteur royal et un collecteur de fonds pour les djihadistes en route pour l’Afghanistan, la Bosnie et ailleurs.»
Ce n’est pas une coïncidence si ce genre d’article est publié au moment même où Salman a boudé Obama en n’allant pas à la fête wahhabo-atlantiste tenue à Camp David.
Bref, ceux-là même qui ont financé Oussama Ben Laden au départ, puis payé les Pakistanais pour qu’ils le gardent enfermé, veulent maintenant conclure toute sortes d’accords de sécurité en béton armé avec Washington pour se maintenir au pouvoir à jamais. Tout cela en continuant d’être la matrice idéologique de milliers d’autres Oussama.
Des histoires pareilles, ça ne s’invente pas.
Traduit par Daniel, relu par jj pour Le Saker francophone
Pepe Escobar est l’auteur de Globalistan: How the Globalized World is Dissolving into Liquid War (Nimble Books, 2007), Red Zone Blues: a snapshot of Baghdad during the surge (Nimble Books, 2007), Obama does Globalistan (Nimble Books, 2009) et le petit dernier, Empire of Chaos (Nimble Books).
http://lesakerfrancophone.net/sommet-obama-etats-du-golfe-les-wahhabo-atlantistes-a-la-fete/
Seymour Hersh, l’homme qui démonta la mort officielle de Ben Laden
Le Temps Mai 15
Légende vivante du journalisme d’investigation, le Chicagolais vient de publier un article démontant la version officielle du raid lancé au Pakistan pour capturer, puis tuer Oussama ben Laden
Seymour Hersh est une légende vivante du journalisme d’investigation. On ne compte plus les révélations qu’il a faites après des mois d’enquête. Quand il était à Associated Press, le Chicagolais avait découvert que les Etats-Unis étaient en train de constituer un vaste stock d’armes chimiques et biologiques en pleine guerre du Vietnam. Comme le rappelle le Washington Post, il avait décrit les horreurs commises par l’armée américaine dans le village vietnamien de My Lai. Il avait mis en lumière les efforts de déstabilisation menés par l’administration de Richard Nixon en 1973 pour renverser le président chilien Salvador Allende ou encore le programme nucléaire secret israélien. En 2004, le journaliste publia dans le New Yorker la terrible histoire de la torture dans la prison américaine d’Abou Ghraib en Irak.
Ses faits et gestes sont des actes considérés comme presque héroïques dans la profession. Aujourd’hui toutefois, Seymour Hersh vient de publier dans la London Review of Books un article démontant la version officielle du raid d’Abbottabad au Pakistan pour capturer, puis tuer Oussama ben Laden, à l’époque chef d’Al-Qaida. Selon lui, Ben Laden ne vivait pas dans le secret dans sa maison d’Abbottabad. Il était prisonnier des renseignements pakistanais qui le détenait pour en retirer de l’argent avec l’appui de l’Arabie saoudite. Les renseignements américains ont-ils permis de mettre la main sur le chef d’Al-Qaida, se demande le Washington Post. Non, répond Seymour Hersh. Ils ont obtenu les renseignements des Pakistanais qui ont pu toucher une partie des 25 millions de récompense prévue pour ceux qui fourniraient des renseignements décisifs. Seymour Hersh conteste même le fait que Ben Laden a été jeté à la mer après des funérailles sur un navire américain. Il a, poursuit-il, été largué d’un hélicoptère au moment où celui-ci quittait le Pakistan.
Dans un langage à la limite de la vulgarité, Seymour Hersh est sûr de son coup. Ce dernier a d’ailleurs récemment obtenu le soutien d’une journaliste du New York Times, Carlotta Gall qui a passé de nombreuses années au Pakistan et en Afghanistan. De sources haut placées dans les Renseignements pakistanais, explique-t-elle, les Pakistanais cachaient et protégeaient Ben Laden. De plus, un officier de l’armée pakistanaise a, selon ses sources, dit à la CIA où la figure tutélaire d’Al-Qaida se trouvait.
Seymour Hersh donne sa version des faits dans un long article de la London Review of Books . Non, assure-t-il, Oussama ben Laden ne vivait pas de son plein gré dans la maison d’Abbottabad où il a été abattu en 2011: il y était incarcéré depuis cinq ans par les services secrets pakistanais.
Non, la CIA n’a pas retrouvé la trace du fugitif en extorquant des aveux à un prisonnier de Guantanamo, puis en filant un mystérieux messager: elle l’a localisé grâce aux révélations d’un ancien haut dirigeant des services secrets pakistanais attiré par la prime de 25 millions de dollars promise à ceux qui permettraient sa liquidation.
Non, les généraux pakistanais n’ont pas été surpris par le raid des Navy Seals: une fois convaincus que la Maison-Blanche avait découvert le pot aux roses, ils ont facilité l’attaque de toutes sortes de façons, en retirant notamment leurs sentinelles à l’arrivée des hélicoptères américains.
L’histoire officielle, si souvent répétée sur tous les canaux d’information du monde, est ainsi démontée pièce par pièce, jusque dans une kyrielle de «détails». Il reste bien entendu à savoir si Seymour Hersh a raison «sur ce coup-là». Des voix n’ont pas attendu pour l’accuser de dérive «conspirationniste». Affaire à suivre…
1 réponse »