Art de la guerre monétaire et économique

L’Europe lance un concours de blagues grecques Par Eric Verhaeghe

L’Europe lance un concours de blagues grecques Par Eric Verhaeghe

Photo published for Greece delays 5 June IMF debt payment - BBC News

Jugeant qu’une trop grande tension dans les négociations ne facilitait pas le compromis (vu qu’il s’agit d’éviter la faillite d’un membre de la zone euro), les Etats-membres de l’Europe se sont accordés sur un concours de blagues grecques – histoire de défendre l’atmosphère. En voici un florilège, sachant que les Grecs ne veulent toujours pas réformer leurs retraites ni augmenter leur TVA, mais qu’ils ont concédé un excédent budgétaire de 1% en 2015.

Premier prix au Premier ministre belge

Charles Michel, le fils de son père Louis, lui-même ancien commissaire européen (en Belgique aussi, la politique se transmet de père en fils), a marqué son arrivé au sommet UE-CELAC (Communauté des Etats d’Amérique latine et des Caraïbes) de mercredi par une déclaration tonitruante:

Pour la Grèce, « la fin de la récréation a sonné »

Cette étrange image scolaire lui a valu une volée de bois vert au Parlement belge de la part d’un député communiste (Raoul Hedebouw):

« La récréation dont parle le Premier ministre est un pays où il y a deux suicides par jour. La récréation dont parle le Premier ministre est un pays où les pensions ont baissé de presque 50%. La récréation dont parle le Premier ministre est un pays où les salaires ont baissé de 40%…«

Le président du Conseil dans la même veine

Donald Tusk, le Polonais invisible président du conseil européen, a pour sa part décidé de se mêler du dossier grec avec des déclarations manifestement inspirées par Charles Michel:

« Nous avons besoin de décisions et non plus de négociations. À mon sens, le gouvernement grec doit se montrer un peu plus réaliste, ce n’est plus le moment de jouer (…) J’ai peur qu’à un moment, quelqu’un siffle la fin de la partie »

Le président du Conseil par exemple?

Manifestement, Tusk ne sait pas très bien comment fonctionne l’institution qu’il préside. En tout cas, nous sommes ravis d’apprendre qu’il ne s’agit que d’un jeu. On avait cru, un moment, que Grecs et Européens prenaient cette négociation au sérieux.

Troisième prix à un eurocrate anonyme

Dans la foulée d’une réunion à Bratislava, un haut fonctionnaire européen a révélé que le scénario du défaut grec avait fait l’objet d’un examen, au même titre que les décisions à prendre en cas d’accord, ou qu’une extension provisoire de l’aide financière à la Grèce sans accord. Assez astucieusement, il a glissé à un journaliste de Reuters:

« Pour la première fois, il y a eu une discussion sur un ‘plan B’ pour la Grèce »

Bien entendu, jusque-là, le défaut grec n’avait effleuré l’esprit de personne…

Les Prussiens donnent dans le cynisme

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Dans ce concours international, les Allemands n’ont guère brillé par l’épaisseur de leur humour. C’est tout juste si l’on note, du côté de Wolfgang Schaüble, principal partisan du Grexit depuis cinq mois, cette déclaration de pince-sans-rire:

« Nous concentrons entièrement nos efforts sur la résolution de l’actuelle crise grecque dans le cadre du programme d’aide en cours »

L’effort de concentration par Schaüble… pour faire échouer la négociation, probablement. Jens Weidmann, le gouverneur de la banque centrale allemande, a commis des déclarationsdu même tonneau:

«Il y a une forte détermination à aider la Grèce, à améliorer son administration publique, à lever les barrières à la croissance et à ramener les finances publiques sur une trajectoire viable. Et les contribuables des autres pays de la zone euro ont déjà mis à disposition des fonds substantiels pour soutenir le processus inévitable d’ajustement», a estimé M. Weidmann, qui siège également au conseil des gouverneurs de la BCE, lors d’un séminaire pour investisseurs à Londres.

«Mais le temps vient à manquer et le risque de défaut augmente de jour en jour»

On aurait presque envie de sortir un mouchoir devant tant d’espoirs déçus.

Angela Merkel a pour sa part atteint le degré zéro de l’humour, à l’issue de sa réunion de mercredi avec Tsipras, en déclarant:

« Quand on veut, on peut »

Il paraît que la Chancelière veut éviter une sortie grecque de la zone euro et a d’ailleurs écarté son ministre des Finances des négociations pour parvenir à cet objectif. Voilà qui semble bien parti!

Les Français en bouffon de service

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Pour leur part, les Français ont multiplié les bons mots drolatiques qui, faute de les rendre crédibles, ont le mérite de divertir en faisant croire le contraire de la réalité.

Ainsi, Pierre Moscovici, qui n’est que commissaire chargé des affaires économiques et réussira dans quelques jours le tour de force d’avoir préparé un krach monétaire de premier ordre sans bouger une oreille, a affirmé que personne ne voulait un Grexit en Europe.

https://dailymotion.com/video/x2ti7c9

Michel Sapin a lui-même commis quelques jeux de mots, comme celui-ci, prononcé à l’occasion d’une séance de négociation:

« Hier soir, les choses ont bougé, dans le bon sens » a expliqué Michel Sapin, lors d’une conférence de presse, ajoutant que cela devait permettre de progresser, considérablement »

Le jour même, le FMI quittait la table de négociation en considérant les propositions grecques comme beaucoup trop éloignées d’un accord.

Les Grecs eux-mêmes participent au concours

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Ni Tsipras ni le sémillant Varoufakis n’ont été en reste dans la catégorie spéciale du jury « humour grec ».

Tsipras a par exemple déclaré, à propos de l’intention allemande de le sortir de la zone euro:

«Je ne pense pas qu’il y ait un seul responsable européen sensé qui souhaite prendre ce risque, a-t-il affirmé à la BBC. Interrogé pour savoir s’il estimait que l’Union européenne et le Fonds monétaire international «bluffaient» dans les négociations, il a ajouté: «J’espère que c’est le cas».

L’espoir fait vivre! Il a en tout cas intérêt à ne pas se louper dans la dernière ligne droite…

Dans le même temps, le porte-parole du gouvernement grec, Gabriel Sakellaridis, a asséné depuis Athènes:

« Le système bancaire grec est solide et solvable, ce qui est démontré chaque jour. Toutes les autres théories font simplement partie de la négociation, sont une forme de pression »

Varoufakis a pour sa part déclaré devant les syndicats allemands:

« Ce dont nous avons besoin, c’est d’un accord rapidement (…). Nous devons éviter un accident, qui ne serait pas un accident ».

Pour un peu, on croirait qu’il n’a personnellement freiné aucune des réunions de l’Eurogroupe.

D’autres blagues en perspective

Manifestement, les hiérarques européens ont décidé d’organiser une autre session de blagues politiques. Dans un rapport commun entre Draghi, Tusk, Juncker et Dijsselbloem, il est fortement question de « renforcer la zone euro ». L’idée implicite consiste à renforcer l’intégration économique des pays qui resteraient dans la zone euro. On voit bien le marché qui serait passé: au moment où la Grèce sortirait de la zone euro, entraînant potentiellement avec elle les autres pays qui souffrent trop d’un euro rigoureux et élevé, les Européens enverraient un message fort: moins d’élargissement, mais plus de profondeur et de convergence entre les politiques économiques de la zone…

Juncker et consorts voudraient faire le jeu des extrémismes, ils ne s’y prendraient pas autrement.

L’amusant pari d’une crise obligataire en Europe

Toutes ces discussions hors-sol interviennent dans un contexte de risque accru, mais nié, pour la finance européenne. La rumeur veut en effet que Bill Gross, un spéculateur de haute volée, ait lancé le pari de pouvoir fomenter une crise du Bund, l’emprunt allemand à 10 ans: il cherche à faire monter les taux d’emprunt allemand, afin d’assécher le marché actions qui est la seule à offrir des taux de rentabilité positif aujourd’hui. Une remontée des taux souverains (inévitable, cela dit) aura des conséquences cataclysmiques pour la France, et signifiera sa véritable entrée dans l’austérité.

Pendant ce temps, la BCE continue à accepter des « collatéraux » grecs en relevant son plafond d’aide d’urgence. Le bilan de la BCE est de plus en plus contaminé par des titres pourris.

TAFTA sous le feu du lobbying

Dans cette débandade générale, chacun aura noté que le Parlement européen n’est pas parvenu à se mettre d’accord sur une motion proposant d’améliorer le processus d’arbitrage international prévu par le traité TAFTA. La motion suggérait notamment de créer une Cour spécifique, avec des juges professionnels et des séances publiques. Manifestement, des lobbies sont parvenus à torpiller cette initiative.

http://www.eric-verhaeghe.fr/leurope-lance-un-concours-de-blagues-grecques/

3 réponses »

  1. En Grèce, le bank run s’accélère.

    Ces cinq derniers mois, les Grecs ont retiré 35 milliards d’euros hors des banques grecques.

    Ces 35 milliards d’euros représentent 30 % des dépôts !

    Lundi 15 juin 2015 :

    Grèce : après l’Etat, S&P baisse la note des banques.

    http://www.romandie.com/news/Grece-apres-lEtat-SP-baisse-la-note-des-banques/602558.rom

    Le graphique du bank run est ici :

    http://www.bloomberg.com/news/articles/2015-05-29/greek-bank-deposits-bleeding-worsens-in-april#media-1

  2. On ne construit rien de bien solide sur un mensonge. L’UE c’est ça !

    La seule chose excellente de l’UE. Le mensonge.

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