2 Décembre 2015 Jusqu’ici tout va bien
Est-ce un effet du réchauffement climatique? Un immense iceberg appelé FN (Front National pour les intimes) s’est détaché de la calotte glaciaire et vient à la rencontre du paquebot France. La collision, annoncée de longue date et prévue dimanche, pourrait se révéler très périlleuse, voire létale.


L’iceberg FN vient du Nord
Vendredi dernier, je déjeunais à Valenciennes avec PM, bien connu du mouvement mutualiste, qui me faisait retour sur le ressenti des décideurs nordistes face à la victoire assurée de Marine Le Pen. Les ressentis sont toujours compliqués à décomposer. Ce jour-là, j’ai entendu un sentiment d’inexorable, la volonté de taire la panique qui existe dans les rangs des élus, chez les Républicains comme chez les Socialistes, et la perception qu’une aventure commence, dont l’issue est imprévisible.
Il me semble avoir écouté ce qui n’était pas dit: personne n’est véritablement surpris, et personne ne conteste vraiment la rupture qui existe entre la nomenklatura locale et le peuple.
Pourquoi l’iceberg FN vient du Nord
Dans ce déjeuner, j’ai répété mon antienne: les gens du Nord n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes. Dans nos belles terres grasses de Picardie et de Flandre, le sentiment républicain est profond. Le fédéralisme est l’ennemi. Le Nord défend peu ses intérêts régionaux auprès des élites parisiennes. Celles-ci se sont largement appuyées sur des voyous pour gérer leur fief: les Kucheida, les Dallongeville, ont mis la région en coupe réglée.
Dans le sud-ouest, le fédéralisme a donné lieu aux mêmes travers de corruption, mais les élus se sont mobilisés pour obtenir des avantages en nature. Le fédéralisme français, appelé décentralisation, s’est traduit par la construction d’aéroports dans des zones désertiques: Pau, Tulle, Brive-la-Gaillarde, Périgueux, et j’en passe. Les Girondins ont tiré profit de la fédération, les Nordistes en ont tiré des pertes. L’iceberg FN a fait boule de neige de ces frustrations, de ces spoliations, de ces rancoeurs. La France est ingrate avec ses peuples qui ont fait nation, et elle récompense volontiers ceux qui font sécession.
La France oublie à tort qu’elle envoyait les armées du Nord pour régler les problèmes lorsque les revendications locales prenaient trop d’importance. Ce fut le cas lors de la croisade cathare, comme sous Louis XVI.
L’iceberg FN et la crise
Partout le climat est mauvais. Il suffit de marcher dans Paris pour voir quel restaurant, plein à chaque service il y a un an, est au bord de la faillite aujourd’hui. Il faut regarder ces commerces vides, ces enfants qui dorment à même le sol, dans le froid, ces vieux qui errent en mendiant quelques sous, cette morosité générale, pour comprendre que quelque chose se prépare, inconsciemment, spontanément. Le grand ras-le-bol tient les esprits.
Mieux vaut le FN que le chômage…
L’iceberg FN délie les langues
Partout, j’entends les langues se délier. C., qui est consultante dans un cabinet bien connu, me dit qu’elle votera FN parce qu’elle en a assez des guignols qui nous dirigent. Elle en connaît (même intimement) certains et n’a aucune estime pour eux. A., cadre supérieur dans la fonction publique, me glisse que, dans sa banlieue, la population change. « Les Bretons partent et cèdent la place à des voisins qui ne mangent pas de porc mais qui perçoivent tous des allocations. »
Ces phrases-là étaient inimaginables à ce « niveau social » il y a un an encore. Parfois, c’est à la levée des tabous qu’on mesure la dégradation d’une situation.
Les digues cèdent devant l’iceberg FN.
La nomenklatura toujours en plein déni
Il n’y a plus guère que la nomenklatura pour se cacher les évidences. Non, l’arrivée de l’iceberg n’est pas aléatoire. Non, elle n’est pas le fait d’un populisme malsain. Elle reflète l’exaspération des Français devant l’impuissance des politiques. On pourrait imaginer des politiques incapables de changer les choses mais qui en tirent les conséquences en passant la main. La France sombre peu à peu sous le poids d’une élite qui se sait impuissante et qui sabre le Champagne en y pensant.
Nul ne sait jusqu’où le rejet de cette élite peut pousser le pays. Ce n’est pas faute d’avoir prévenu.
Face à l’iceberg FN, la nomenklatura fait bloc
Ce matin, Julien Dray, invité de France Inter, tirait encore les mêmes cordes usées: le vote FN n’est pas sérieux, pas conforme à l’intérêt général, bla-bla, bla-bla. Julien Dray, lui, est un homme sérieux. Il collectionne les montres à 200.000 euros, et se roule dans la fange partisane depuis 30 ans sans le moindre bienfait pour le citoyen. Un superbe bilan qui lui permet de donner des leçons de démocratie.
Combien sont-ils, à monopoliser les postes depuis trente ans, à s’auto-proclamer seuls gens de qualité, et à avoir précipité la faillite du pays? Il leur suffirait d’ouvrir les yeux pour voir que le premier carburant de l’iceberg, c’est la décadence des officiers sur le paquebot France.
L’iceberg FN dissous au canon à eau?
Avec une absurde concentration de tirs, les thuriféraires de la décadence se sont rassemblés pour tirer au canon à eau sur l’iceberg à l’approche. Pierre Gattaz a soutenu que le FN, c’est la revalorisation du SMIC, dont la mort de l’économie française. Bravo! S’il manquait encore des voix à Marine Le Pen pour atteindre les 30%, Gattaz les lui a apportées sur un plateau.
Laurent Berger, lui aussi, y est allé de sa rengaine. Excellente idée! Marine Le Pen n’a plus à argumenter pour expliquer que le système est « contre elle ». C’est le système qui fait le boulot à sa place.
Hollande face à l’iceberg FN
Pour François Hollande, la montée du FN est pain béni. Elle asphyxie la droite classique et convainc la gauche qu’il faut s’unir dès le premier tour. Ce calcul digne de la France de Mitterrand fascine. Hollande croit-il vraiment que la France n’a pas changé en 30 ans? Il est probablement convaincu que, dans un duel face à Marine Le Pen au second tour, il gagnerait haut la main comme Chirac en son temps.
Quelle folie! Rien ne prouve que les électeurs de Nicolas Sarkozy préfèrent Hollande à Marine. Mais c’est la vieille illusion des élites selon laquelle le FN ne peut pas gagner qui est à l’oeuvre. Cette vérité d’il y a 30 ans se vérifiera-t-elle dans un monde imprévisible où la crise frappe comme une faucheuse?
http://www.eric-verhaeghe.fr/la-france-face-a-liceberg-fn/
L’arithmétique pré-révolutionnaire du Front National
Les élections régionales constituent un séisme majeur dans le paysage politique français, même si les partis de gouvernement s’efforcent (PS en tête) d’en minimiser l’impact. Les sondages avaient annoncé une victoire du Front National: c’est un raz-de-marée qui se produit, et qui aggrave brutalement le constat déjà préoccupant qui pouvait être dressé sur l’état de la société française. Dans la pratique, la France confirme l’entrée, qu’on pressentait après la manifestation du 11 janvier, dans une situation pré-révolutionnaire, que quelques chiffres permettent d’illustrer.
56% des électeurs du FN se sont abstenus
Contrairement à l’idée répandue selon laquelle l’abstention (50%) aurait profité au Front National, en sanctionnant surtout les partis de gouvernement, l’enquête IPSOS sortie des urnes suggère que l’abstention a touché le Front National dans les mêmes proportions que les autres partis: 56% pour le Front National, 55% pour le PS, 57% pour la droite classique. La victoire du Front National ne tient donc pas à une différence ponctuelle de mobilisation. Elle est beaucoup plus profonde et beaucoup plus systémique que les états-majors de partis institutionnels ne voudraient le faire croire.
De ce point de vue, pour les institutions de la Vè République, le défi est désormais de taille: les années électorales à venir pourraient très bien amplifier le phénomène électoral auquel nous avons assisté. La mobilisation des abstentionnistes ne changera pas forcément la donne.
6 millions de voix pour le Parti Socialiste
Avec une abstention à 49% et 24% des suffrages exprimés, le Parti Socialiste représente désormais moins d’un huitième des électeurs français, soit environ 6 millions de voix. Pourtant, le Parti Socialiste détient une majorité de sièges à l’Assemblée Nationale. Comment continuer à gouverner avec une si faible légitimité politique? La question est ouverte et se posera forcément à l’occasion des prochaines réformes qui ont un impact fort sur les libertés publiques. Le gouvernement est-il encore légitime pour violer les Droits de l’Homme en instaurant ou en prorogeant l’état d’urgence? Le gouvernement peut-il modifier la Constitution avec une si faible crédibilité collective?
Toutes ces questions se poseront avec d’autant plus d’acuité que le Front National s’est opposé à la loi sur le renseignement et ne se montre pas très enclin aux mesures d’urgence.
12 millions de voix pour les partis de gouvernement
À eux deux, les partis de gouvernement (Socialiste et Républicains) totalisent bon an mal an 12 millions de voix, soit un quart de l’électorat français. Là aussi, pour les institutions de la Vè République, cette situation constitue à la fois un défi et une menace. Comment trouver une quelconque légitimité aux débats de l’Assemblée Nationale quand ceux-ci se déroulent entre des élus avec une si faible légitimité électorale.
Il suffit de voir l’indifférence pour les débats budgétaires en cours: le poids de la représentation nationale, que ce soit à l’Assemblée ou au Sénat, n’est plus suffisant pour structurer le débat public.
La République est-elle une affaire d’initiés ou de profanes? La réponse à cette question dans les mois à venir sera cruciale.
Le FN, première force politique chez les jeunes
Selon l’enquête Ipsos à la sortie des urnes, le Front National est désormais la première force politique chez les moins de 24 ans. Avec un tiers des intentions de vote dans cette catégorie, le parti de Marine Le Pen s’installe, en réalité, comme un parti d’avenir qui devrait ringardiser pour longtemps les partis de gouvernement.
C’est probablement le chiffre le plus gênant pour les « partis en place ». Il pose la question de la résilience: comment imaginer de rebattre les cartes, quand les générations qui accèdent au droit de vote sont d’ores et déjà convaincues par le parti traditionnellement considéré comme le plus extrémiste de la vie politique?
2 régions pour un Front Républicain
Face à ces évidences arithmétiques fortes, les partis de gouvernement semblent tétanisés et bien décidés à reprendre les affaires comme avant et comme si de rien n’était. Est-ce la marque d’une incapacité à évoluer? ou le fait d’une cécité tenace dont la finalité est difficile à cerner? Toujours est-il que Jean-Christophe Cambadélis, grand expert en combinazioniélectorales, a annoncé hier la retrait des listes socialistes dans deux régions: dans le Nord-Picardie et en Provence-Alpes-Côte-d’Azur. Pourquoi dans ces deux régions seulement, et pas partout en France, dans les situations où la gauche est en troisième position?
Incontestablement, ce genre de calculs nourrira le sentiment que le Parti Socialiste est décidément incapable de prendre une ligne politique claire et préfère systématiquement les stratégies compliquées et opportunistes.
Une suite difficile à gérer
On mesure ici l’écart qui sépare les attentes de plus en plus radicales et « carrées » de l’électorat d’un côté, et les pratiques pour ainsi dire congénitales des partis de gouvernement. Ceux-ci vont désormais affronter une longue période de pouvoir (un an et demi) où leur légalité est incontestable, mais leur légitimité très écornée.
Nul ne sait où cette pente glissante peut mener le pays.
http://www.eric-verhaeghe.fr/larithmetique-pre-revolutionnaire-du-front-national/
Le FN et le care affinitaire

Dans le flot de raisons qui expliquent la montée du Front National, l’une d’elle est régulièrement passée sous silence: le FN a développé une vision du « care », une conception sociale protectrice, qui lui attire de nombreux soutiens dans les milieux populaires. Cette dimension, dénoncée par ses détracteurs comme « racistes » car fondée sur la préférence nationale, mérite pourtant d’être analysée avec attention, dans la mesure où elle est au coeur d’une manifeste rencontre entre ce parti d’extrême droite et une part importante des milieux populaires.
L’Etat et le « care »
L’une des principales caractéristiques du FN est de défendre une vision de la société où l’Etat est en charge du care. A la différence des partis d’extrême gauche où l’Etat joue le rôle de producteur, pour le FN, son rôle est d’abord articulé autour d’une sorte de conception du bonheur, où la protection des citoyens contre les « gros » est centrale. Cette protection se déploie face à l’Europe, face aux intérêts financiers, face à la cupidité des grandes entreprises. L’enjeu repose moins sur la méthode à suivre (la nationalisation, l’étatisation ou la taxation du capital) que sur des objectifs à atteindre: garantir un niveau de vie, une sécurité matérielle et sociale, qui font feu de tout bois sans forcément s’appuyer sur une vision idéologique du monde.
Très régulièrement, cette approche n’est pas prise au sérieux et volontiers vilipendée comme n’étant qu’un prétexte à développer le discours affinitaire des « Français d’abord ». Cette perception est probablement faussée, voire fautive: le succès du FN dans les milieux populaires tient largement à cette adresse sociale qui n’est pas sans rappeler « la gauche du travail, la droite des valeurs » en vogue dans certains milieux d’extrême droite.
Le care contre la régulation
Lorsque Pierre Gattaz s’est livré à une charge en règle contre le programme du Front National, il a dit tout haut ce que Laurence Parisot avant lui n’avait pas osé écrire crument: le programme du FN percute les intérêts capitalistiques en France. En levant le tabou, Pierre Gattaz a d’ailleurs apporté, à sa manière, sa pierre au raz-de-marée électoral de dimanche.
Qu’a dit en effet Pierre Gattaz dans la presse? que le programme du Front National est socialement protecteur et qu’il coûtera cher en termes de compétitivité. Cette évidence, proclamée haut et fort, souligne bien le poids du « care » dans le programme de Marine Le Pen. De façon plus ou moins sincère d’ailleurs, son enjeu consiste bien à redonner au tissu sociétal français une dimension de cohésion mise à mal par les politiques d’austérité menées depuis plusieurs années.
C’est probablement la grande leçon à retenir des résultats de dimanche: les partis politiques traditionnels ne s’intéressent pas assez aux dégâts de la remise à l’équilibre des finances publiques et aux dommages collatéraux produits par la crise de 2008. En développant des propositions concrètes sur ces points, le FN réinvestit un champ plus ou moins abandonné par ses concurrents.
Le care affinitaire
Pour répondre au reproche formulé sur le manque de réalisme économique de ses propositions, le FN a coutume d’opposer un contre-argument: il réservera ses dépenses sociales aux « Français », autour d’une logique de préférence nationale. En réalité, les contours de cette préférence sont extrêmement flous et ne manqueront pas de soulever de nombreuses questions juridiques qui en pervertiront le sens. Mais l’essentiel du discours frontiste n’est pas là. Il ne porte pas sur les détails de sa réalisation. Son essence est de poser un principe générique: là où l’Etat de droit pose des règles universelles, le FN veut proclamer un droit affinitaire, un droit à la préférence. Les règles peuvent changer selon la proximité des individus avec un corpus spécifique de valeurs ou de critères.
Le « care affinitaire » est souvent stigmatisé au nom du racisme ou de la xénophobie par l’ensemble des défenseurs de la pensée critique. Ceux-là ne prennent pas forcément le temps de discerner l’originalité politique du discours frontiste. Dans un monde où les jeunes (notamment) s’identifient de plus en plus à une « tribu », dans un contexte où l’identité sociale se rattache de plus en plus à des expressions affinitaires volontiers déployées dans les réseaux sociaux, le FN propose une traduction politique à ce tribalisme: la communauté doit protéger ses propres membres avant de protéger les autres.
Si cette conception affinitaire du champ social est en rupture majeure avec la conception universaliste de la citoyenneté, elle présente la particularité d’être en « phase » avec la pensée émergente dans la jeunesse. C’est donc sans surprise que 35% des moins de 24 ans votent Front National.
http://www.eric-verhaeghe.fr/le-fn-et-le-care-affinitaire/



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Le changement, c’est maintenant ?
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La situation est désespérante. D’abord ce « bond » dans les sondages concernant la cote de popularité de François Hollande. Ces français qui ne savent pas discerner entre l’attitude tout à fait normale, après les tragiques incidents qu’on a vécu, pour une personne occupant le poste de Président de la République, et l’incompétence totale de cette même personne à gérer le pays et le faire aller de l’avant. Cet homme à la carrure d’un maire d’un tout petit village.
Et maintenant on entend que des personnes le conseillent de ne rien dire concernant les élections régionales ni de les commenter, pour « prendre de la hauteur », et comme ça se préserver pour 2017.
Déprimant. Pauvre France.
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humour … pas gauche 🙂
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