Géopolitique Friction

Syrie: la bataille du Sud

Depuis plusieurs semaines, l’armée syrienne masse des troupes dans le sud de la Syrie, près de Deraa. Deraa est une ville symbolique car elle est le berceau de la révolution islamiste en Syrie. Elle a été reconquise par l’armée en 2016, mais une grande partie de la province du même nom est encore aux mains des islamistes, notamment le long de la frontière jordanienne. Cerise sur le gâteau : Daech tient un petit territoire le long du Golan, sous la protection d’Israël, ravi d’avoir des groupes islamistes « tampons » entre le Golan et les troupes iraniennes, présentes également dans la région…

Un premier accord a été passé il y a quelques semaines entre Israël et la Russie, aboutissant à un retrait de quelques kilomètres des soldats iraniens.

Aujourd’hui, la Russie veut aider la Syrie à reconquérir ce territoire. Sur le plan militaire, l’affaire ne présente pas de grandes difficultés : après quelques jours d’offensive syrienne, appuyée par l’aviation russe, les quelques milliers de combattants islamistes, dont le moral est au plus bas, négocieraient leur évacuation vers Idleb, au nord-ouest du pays, avec familles et armes légères. Le scénario est maintenant bien rodé.

Oui, mais à une condition : que l’aviation israélienne ne vienne pas perturber ce beau projet, en attaquant les troupes syriennes, par exemple ; ce qu’elle a déjà fait dans le passé, précisément dans la région de Deraa.

Pourquoi ferait-elle cela alors même que les Russes seront à la manœuvre, ce qui n’était pas forcément le cas lors des offensives syriennes précédentes ? La réponse est simple : pour faire reculer plus loin encore les troupes iraniennes.

Bien sûr, comme dans la Ghouta ou à Yarmouk, dernières reconquêtes urbaines de l’armée syrienne près de Damas, il n’est pas prévu d’intégrer des éléments iraniens dans la prochaine offensive de Deraa.

Mais Israël sait que la puissance de son aviation est une menace que ni les Russes ni les Syriens ne peuvent négliger. De plus, Russie et Israël entretiennent de bonnes relations et Netanyahou a exposé très clairement ses revendications à Poutine lors de leur rencontre du 9 mai dernier.

Les discussions sont donc en cours et cela explique pourquoi Netanyahou profite de sa tournée européenne pour multiplier les menaces contre la Syrie, coupable à ses yeux de laisser un appareil militaire iranien conséquent s’installer à quelques encablures du Golan.

Le projet d’offensive vers la province de Deraa tombe donc à pic pour Israël. Poutine, comme souvent, se tait. Mais Lavrov, son ministre des Affaires étrangères, a rappelé il y a peu que toutes les troupes étrangères avaient vocation à quitter la Syrie. 
Premier pas vers un accord ? Les Iraniens semblent peu disposés à faire des concessions. Les Russes doivent donc convaincre les Syriens de convaincre les Iraniens. Cruel dilemme pour Bachar, qui sait bien que les Iraniens ont été un appui au sol décisif contre les islamistes.

http://www.bvoltaire.com/poutine-netanyahu-negocient-prochaine-offensive-syrienne/

Depuis la reprise de la Ghouta et du camp de Yarmouk dans la banlieue de Damas, il ne reste plus que deux zones tenues par les islamistes en Syrie : la province d’Idleb, au nord-ouest, et celle de Deraa dans le sud.

Russes et Syriens se sont mis d’accord pour s’attaquer d’abord à celle de Deraa, moins bien défendue qu’Idleb.

Deraa est symbolique : c’est dans cette ville (la capitale de la province porte le même nom que la province elle-même) qu’ont démarré les premières émeutes lors des « printemps arabes », en 2011. De timides au départ, les manifestations étaient vite devenues insurrectionnelles et islamistes. La maladroite et brutale répression du gouverneur de l’époque n’avait fait qu’envenimer les choses. Il fut d’ailleurs relevé de ses fonctions par la suite.

Un long ballet diplomatique a précédé cette offensive. Il fallait en effet parler avec les Américains et les Israéliens afin de sonder leurs intentions.

Les Américains tout d’abord, car Deraa se situe dans une zone de « désescalade », où les combats sont censés ne pas reprendre. Washington avait alors assuré les insurgés de son soutien en cas d’attaque syrienne. De plus, la base américaine d’al Tanf se situe non loin de là, à l’est.

La teneur des discussions russo-américaines n’est pas connue à ce jour, mais la conclusion, quant à elle, fut très claire : les Américains ont averti les insurgés qu’il ne fallait pas compter sur leur soutien. Pourquoi ce revirement qui a provoqué la fureur des islamistes condamnés dès lors à la défaite ? L’avenir le dira sans doute mais il n’est pas exclu que la Jordanie ait joué un rôle dans cette affaire.

Elle est en effet un allié traditionnel de Washington et elle a très mal pris le transfert de l’ambassade américaine de Tel Aviv à Jérusalem, dont, depuis 1948, elle est le gardien des lieux saints musulmans. C’est une humiliation qui n’est pas digérée et qui embarrasse les Américains.

Par ailleurs le roi Abdallah II souhaite normaliser sa relation avec la Syrie. La reprise de Deraa par l’armée syrienne ne lui déplairait donc pas et on ne peut exclure que les Américains aient voulu faire un geste en direction d’Amann.

Les conversations avec Israël sont évidemment plus complexes, car le Golan est tout près. Poutine et Netanyahu en ont longuement discuté à Moscou. Il sera intéressant de voir si l’armée syrienne se rapproche du Golan, au risque de se faire bombarder. Ce qui est sûr c’est que les Iraniens ne participeront pas à cette offensive car l’aviation israélienne attaquerait immédiatement.

Au fond, Netanyahu n’a guère envie de voir l’armée syrienne se réinstaller au pied du Golan, qu’Israël occupe illégalement depuis 1967 et qui appartient en fait à la Syrie. Mais il souhaite conserver de bonnes relations avec la Russie et il sait maintenant que l’insurrection islamiste ne peut plus gagner.

L’issue militaire de cette offensive ne fait certes aucun doute, mais pour peu qu’Israël n’intervienne pas. Ce serait toutefois un bien dangereux engrenage.

http://www.bvoltaire.com/les-syriens-et-les-russes-lancent-une-offensive-dans-le-sud-de-la-syrie/

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