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Bruno Bertez : Des faux remèdes à la fausse confiance

Les responsables de la conduite des affaires ont perdu toute crédibilité. Le favoritisme et la partialité dont ils ont fait preuve ont un coût colossal.

Alors que nous nous interrogions sur le thème de l’article que nous nous apprêtions à écrire, il nous est apparu que cette question de la confiance méritait plus qu’un détour, beaucoup plus qu’une incidente.Nous avons donc décidé d’y revenir.
Il nous faut d’abord expliquer pourquoi.

PLUS DE DETAILS EN SUIVANT :

En cette saison de fin d’année, il paraît de bon ton de tenter de grandes envolées, de grandes prévisions, de grandes prophéties.
Quelle sera l’évolution du modèle chinois, quelle sera l’incidence du grand courant malthusien sur la
croissance future, quel sera l’avenir de l’Union Monétaire Européenne confrontée aux divergences nationales, quelle sera l’évolution des prix du pétrole si les producteurs du Moyen-Orient sont en difficultés et à la recherche à tout prix de dollars, etc. autant de questions auxquelles les prévisionnistes s’essaient à apporter des réponses en cette fin 2009.

De ces prévisions suffisamment éloignées pour n’être sanctionnées ni par le ridicule, ni par la perte de crédibilité, fidèles à notre thèse, nous ne ferons pas. Nous vous rappelons notre thèse: l’avenir ne se devine pas.

Nous nous sommes demandés: qu’est qui en l’état actuel de la situation pourrait être utile à nos lecteurs? Nous avons pensé que le plus utile serait de leur faire comprendre qu’une nouvelle catastrophe peut à nouveau se produire.

Remarquez bien que nous ne nous contredisons pas. Nous ne prétendons nullement prédire une nouvelle crise, nous voulons simplement examiner la question de savoir si les conditions d’une nouvelle catastrophe existent ou pas.

Si l’avenir ne se devine pas, cela ne veut pas dire qu’il n’est pas possible d’être en avance sur son temps.
Tous ceux qui, depuis 2006, avaient diagnostiqué l’inéluctable, qui comme nous l’avaient peut-être un peu prématurément diagnostiqué dès 2003, tous ceux-là ont fait non pas des prévisions, mais une analyse hic et nunc correcte de ce qui se passait sous leurs yeux.

Il est possible avec beaucoup d’esprit critique de regarder le présent, de regarder ce qui se donne à voir et de le voir vraiment. Il est possible en quelque sorte de voir aujourd’hui avec les yeux de demain.
Avec les yeux que le consensus aura lorsqu’ils seront décillés. Que verra t-on dans quelque temps  quand ce qui crève le yeux de façon aveuglante mais reste non reconnu, reste nié, reste rejeté, que verra-t on quand nous aurons les yeux de demain ou d’après-demain.

On verra que les conditions de la confiance ne sont pas réunies. On verra que nous baignons dans la
fausse confiance, dans la confiance manipulée. On verra que ceux qui dirigent ou ont dirigé ces illusions sont au mieux des mystificateurs.
L’absence de vraie confiance, on devrait plutôt dire de confiance authentique, au sens propre, c’est-à-dire de cette confiance qui ne s’autorise que d’elle-même, est la condition nécessaire à l’apparition d’une crise.
La cause ultime, la cause première, quand on remonte la chaîne des causalités d’une crise, est toujours une surprise, une rupture. Et cette rupture, en dernière analyse, est toujours
celle de la confiance. Dans la crise, il faut que quelque chose sur lequel on comptait, il faut qu’une
chose à laquelle on croyait s’avère fausse. Il faut qu’un invariant devienne variable, il faut qu’une certitude vacille. Et pour cela, il faut évidemment que d’abord, une fausse confiance se soit instaurée.

Pour que la crise financière ait pu se développer, il a fallu qu’il y ait au préalable tout un tissu, tout un voile de fausse confiance: confiance dans la «magie» du maestro Greenspan; confiance dans la possibilité de la Fed de toujours contrôler la situation; confiance dans les contrôles de la SEC; confiance dans la sincérité des comptes des banques; confiance dans la valeur des ratings
vendus par les agences de notation; confiance dans la croyance à la hausse perpétuelle du prix des maisons; confiance dans la solvabilité de Fannie et Freddie; confiance dans le bien-fondé et la faisabilité de la ownership society; confiance dans l’alignement des intérêts des actionnaires des banques et ceux de leurs dirigeants; etc.

Une crise, c’est une rupture, une remise à niveau, une réconciliation entre l’illusion et le réel, entre le mensonge et la vérité. Une crise, c’est quand la fausse confiance s’effondre.

 Mais pour que la fausse confiance disparaisse, il faut d’abord qu’on l’ait laissée s’instaurer,
voire même qu’on l’ait provoquée.

Dans un système fondé sur la confiance authentique, les ajustements sont progressifs puisque les déséquilibres ne sont pas niés. Ils sont progressifs et le fait des agents économiques et des citoyens.

Dans un système de fausse confiance, les déséquilibres ne sont pas corrigés au fur et à mesure
qu’ils apparaissent, au contraire, ils sont pérennisés par l’action des responsables de la conduite des affaires.

Les déséquilibres leur conviennent et ce qu’ils veulent, c’est soit les faire durer le plus longtemps
possible, soit repousser l’échéance de leur résolution. Et ils peuvent le faire pendant très longtemps car le Pouvoir dans nos systèmes, c’est surtout de repousser l’inéluctable.

C’est le Pouvoir de pouvoir provoquer des crises de plus en plus grosses.

Au passage, ce type de gestion permet aux détenteurs de pouvoir, lorsque la crise se produit, d’apparaître encore plus indispensable, n’est-ce pas.

Pour qu’une situation de crise se produise, il faut qu’absolument au préalable, la situation en cause ait reposé sur des mirages, sur du sable, sur des fondations mouvantes.

Notez bien que les grands prêtre de la mystification de la fausse confiance ne sont pas seuls en
cause et ce serait injuste de le suggérer. Disons que dans un Système, il faut à la fois des émetteurs et des récepteurs. Ainsi, pour qu’un mensonge soit cru, ou pour qu’une illusion s’installe il faut pour celui qui est en le récepteur ou la cible, avant d’en être la victime, en soit d’abord le complice. Il faut qu’il accepte de faire preuve d’aveuglement, d’absence d’esprit critique.

La question de la fausse confiance passe par une interrogation sur le désir forcené dont peut faire
preuve le public d’être crédule…de jouer les gogos, comme on dit en bourse. Le problème de la vérité, nous l’avons déjà dit, c’est de savoir pourquoi le mensonge réussit si bien.

Et la réponse est que le mensonge correspond à un désir latent de celui qui le croit alors que malheureusement il n’a pas désir latent pour la vérité.

 

En cette dernière quinzaine de 2009, la fausse confiance règne.
Nous baignons dans la fausse confiance, nous en savourons les délices. A la fois certains que tout
est faux, mais certains aussi que nous n’en voulons rien savoir.

Aveuglés que nous sommes par les feux de la gloire auto-proclamée de ceux qui ont décidé il y a quelques semaines qu’ils avaient sauvé le monde.

Les faux remèdes. Les faux remèdes qui ont été prescrits pour faire face au mal de la crise sont nombreux. Un livre ne suffirait pas à les énoncer. Nous nous contenterons de l’essentiel.

Le diagnostic a été complètement erroné. Refus de prendre en compte la cause première, à savoir
l’excès d’offre de monnaie et de crédit
.
Cela débouche sur des erreurs de gestion qui ne seront pas corrigées, sur le refus de prendre en
compte les bulles et leur récurrence
.

La concession récente, le mois dernier, de Bernanke sur cette question doit être prise pour ce qu’elle
est, c’est à dire une manoeuvre dans le cadre de sa procédure de re-nomination.

L’erreur de gestion de la crise à l’occasion de la chute de Lehman elle non plus n’a pas été reconnue. Il faut de temps en temps, pour progresser, reconnaître les erreurs humaines.
La chute de Lehman a coûté au système global 10 trillions; son sauvetage aurait coûté 50 billions.Que dire de la perte de crédibilité des responsables et de son coût?

Après Lehman, tout a coûté plus cher, il a fallu sur-stimuler, surliquéfier. Le refus des vraies solutions face aux pertes bancaires est une catastrophe en attente. On a refusé d’organiser la prise en charge temporaire par la collectivité de l’exploitation des banques. On s’est opposé à la dévalorisation de leurs dettes obligataires et à la dépréciation de leur capital. Ce faisant, on a accepté des bail-out incroyablement coûteux, et surtout, on a détruit la confiance de la société en général à l’égard des responsables de la conduite des affaires. Le favoritisme et la partialité dont ils ont fait preuve ont un coût colossal que l’on commence à mesurer dans les revendications sociales.

L’acceptation de la solution japonaise et l’abandon du mark to market pèseront longtemps sur l’économie globale. En encourageant les évaluations complaisantes, les gouvernements et les banquiers centraux ont ouvert une boîte de Pandore dont ils ne soupçonnent pas la profondeur. On en est réduit à proférer des absurdités et des contradictions du genre «il faut que les banques augmentent leurs fonds propres» alors qu’en même temps, on les laisse déclarer des bénéfices
records et qu’en même temps, leur encours de prêts n’augmente pas. Comment peut-on dire
que les banques manquent de fonds propres si leur encours n’augmente pas et si en même
temps elles font des bénéfices records.

Risque systémique inchangé

Aucun deleveraging réel n’est intervenu depuis 2008. Le total de la dette financière du secteur bancaire aux Etats-Unis est resté inchangé depuis 2008. Et si les ratios se sont améliorés, c’est à dire si le leverage donne l’apparence de baisser, c’est en raison, un, du soutien de la Fed, deux, des levées de capital qui ont eu lieu. Globalement  le levier est resté le même, c’est à dire que le risque contenu dans le système est inchangé. Et que dire du levier implicite qui est contenu dans le gonflement colossal des dérivés.
Nous sommes loin des promesses de division du levier par deux faites l’an dernier. La disproportion
qui existe entre la Sphère financière et la Sphère de l’économie réelle est maintenue, avec la
fragilité qui en découle.

Les modèles utilisés pour l’appréciation du prix des actifs et l’appréciation des risques sont inchangés.
On continue comme avant en utilisant ce qui a failli. Le fait que des événements non inclus
dans les modèles soient intervenus avec une fréquence et une gravité des dizaines de fois supérieures à ce qui pouvait être prédit ne semble gêner personne.

Le modèle bancaire qui permet la confusion entre la banque commerciale classique et la banque
d’investissement reste inchangé
.
Les banques continuent d’avoir le droit de mettre en danger la sécurité de leurs déposants et de leurs clients en général par leurs opérations de marché. Aucun retour à la séparation des activités n’est envisagé. Ceci garantit les effets de contagion.

Ceci garantit le chantage qui permet aux géants
de dire, sauvez-nous sinon tout s’effondre, ceci entretient le «moral hazard» à la puissance 10 puisque maintenant tout est garanti.

 

Nous n’insisterons pas sur le manque de courage face à la nécessaire réglementation des dérivés et à leur transparence, c’est un domaine où la défaillance des autorités a été tellement évidente
qu’elle est devenue de notoriété publique
.

On a raté le véritable assainissement de l’immobilier américain,

on a préféré engager plus d’un trillion dans le soutien indirect du housing. Il eut été possible d’assainir le secteur en faisant bénéficier les propriétaires de logements de la dépréciation de leurs mortgages. Il eut suffi de ramener la valeur de ces hypothèques à leur valeur réelle et d’émettre pour la différence des titres permettant d’associer à la revalorisation future les trois parties
prenantes: les ménages, le gouvernement, les banques. Résultat de ce non-transfert de la dévalorisation et du refus du moratoire partiel, 25% des ménages américains ont des dettes supérieures à la valeur de leurs logements.

Pour masquer le refus ou l’impuissance à réformer le secteur financier, les gouvernements se sont
lancés dans la mystification de la poudre aux yeux du salaire des traders.
Opération populiste s’il en est, mais qui finalement, trompe relativement peu de monde. Un
prélèvement de 50% sur les bonus des traders, ce n’est ni très dissuasif ni très coûteux. Les traders sont en général dans les tranches marginales d’impôts, supérieures à
50%. Et puis, en admettant qu’on leur prenne la moitié de leurs bénéfices, il leur suffit de doubler ou
de multiplier par deux leurs opérations.
Le vrai problème des traders ce n’est absolument pas le montant des bonus, c’est le nonalignement
de leur intérêt avec celui de la collectivité
.

Le système des traders c’est un système de tiers-payant. J’utilise l’argent des autres et si cela gagne, j’en gagne une partie; si cela perd, c’est pour le tiers-payant. D’une façon générale d’ailleurs, le problème de la finance professionnelle et c’est l’une
des causes de sa dérive, c’est le tierspayant généralisé. La finance professionnelle joue avec l’argent des autres, structurellement, et par définition, les intérêts ne sont pas alignés. Les prises de risques ne sont pas efficientes, elles sont biaisées.

 

Toute démarche qui vise à corriger le système financier au niveau de la demande de monnaie, au niveau de la demande de crédit, et seulement à ces niveaux, sans corriger l’offre, est un système pervers. Et c’est le système que l’on a choisi.

Cette revue des remèdes insuffisants, inadaptés, est évidemment incomplète, et l’on peut parier que les grands acteurs, les insiders du système, eux, en ont une bien meilleure vision. Ils sont aux premières loges. Et ils seront les premiers, avertis qu’ils sont, à tirer partie des dysfonctionnements
laissés en place. (BBz
)

agefi dec09

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