Art de la guerre monétaire et économique

Bruno Bertez : Lord Keynes patron de casino

Le jeu keynésien pratiqué actuellement est celui d’un transfert de richesses. Pour pérenniser le Système et assurer le confort de ses grands prêtres.

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Vous avez certainement remarqué que depuis près de deux mois nous avons sensiblement raccourci notre horizon. Nous collons beaucoup plus au marché, nous nous situons beaucoup plus dans le court terme que dans le passé. A un point tel que certains, parmi nos lecteurs, nous interrogent:

avez-vous changé votre cadre d’analyse?

Non, nous n’avons changé ni nos hypothèses de travail, ni notre cadre d’interprétation. En conséquence, nos pronostics restent inchangés, à savoir que les remèdes mis en place n’en sont pas. Ils ne font que s’inscrire dans la continuité
de la situation qui a conduit à la crise. Il n’y aura pas de reprise durable auto-entretenue. Cela conduira à des sur-stimulations récurrentes qui, un jour, déboucheront soit sur l’avilissement des monnaies, soit sur des mutations
systémiques considérables. Les hausses boursières, comme celle de tous les assets seront essentiellement des hausses de misère, c’est à dire qu’elles ne seront pas induites par la prospérité, mais par la dévalorisation des monnaies.

 En portant attention au court terme, nous nous adaptons. Nous cherchons simplement à être pratiques, à être utiles et à ne pas vous faire rater les éventuelles opportunités.

Nous avons expliqué que nous sommes dans ce que nous appelons le meilleur des mondes. Ce meilleur des mondes va encore durer quelques temps. Autant en profiter.
Le meilleur des mondes, c’est la situation de stimulation économique dans laquelle le positif et le négatif coexistent pour produire non pas une somme nulle, mais le zéro, pour produire une situation idéale propice à la béatitude.
C’est le miracle récurrent de la régulation à savoir: on met les taux d’intérêt à zéro, ce qui mécaniquement inflate tous les assets; mais comme l’économie n’est pas encore repartie, qu’elle s’est juste stabilisée, les inconvénients de la reprise
n’ont pas le temps de se manifester. C’est la coexistence du positif et du négatif, mais aussi leur non-coïncidence qui fait que le meilleur des mondes économiques, pour les marchés s’entend, revient à chaque cycle de récession/stimulation.

Plus clairement, les capacités de production inemployées sont considérables, il n’y a pas de tension inflationniste au sens politiquement ou «banquecentralement » correct, les taux d’intérêt constatés sur les marchés restent bas, les liquidités ne sont pas absorbées par le financement de l’économie réelle, etc.

Le «sweet pot», le meilleur des mondes, c’est quand on dispose des liquidités gratuites pour jouer, anticiper la reprise sans qu’elle soit déjà là. Le «sweet pot» repose sur l’incapacité des régulateurs, des gouvernements, des médias, et bien sûr des marchés, à faire la synthèse d’une situation. Il repose sur l’incapacité que l’on pourrait qualifier de systémique de se projeter dans l’avenir, d’actualiser «valeur aujourd’hui» les actions des responsables de la conduite des affaires et leurs
conséquences non-voulues. Le meilleur des mondes est possible grâce à l’incapacité des acteurs à prendre en compte la dialectique des situations, par exemple à anticiper que fait que les taux sont à zéro aujourd’hui pour provoquer
la reprise économique, mais que quand la reprise sera là les taux ne seront plus à zéro.
Il est évident que tout le jeu politiquement correct, mais éthiquement malhonnête, des responsables de la conduite des affaires consiste à empêcher la synthèse, à bloquer la prise en compte du positif et du négatif. A faire en sorte que les marchés aillent d’erreur en erreur, d’excès en excès, et qu’ils jouent d’abord le positif, puis ensuite subissent le négatif.
Ce jeu consiste à faire en sorte que les marchés montent l’escalier pleins d’espoir, puis le descendent penauds avec le sentiment de n’avoir pour leur argent récolté que du vent.

Autrement dit, tout le jeu du Pouvoir consiste à entretenir les illusions.
Illusion que le free-lunch existe. Illusion que demain on rase gratis. Illusion que ce qui est donné aujourd’hui ne sera pas repris. Illusion que les joueurs peuvent jouer, qu’il n’y a pas de part maudite, pas de prélèvement du Système pour s’entretenir, se reproduire et assurer le confort de ses grands prêtres.
Autrement dit, le ressort de l’action dite régulatrice consiste essentiellement à favoriser les dérèglements spéculatifs; à stimuler l’esprit de jeu. D’où d’ailleurs la grande mystification de vocabulaire qui consiste à avoir introduit le concept de préférence pour le risque pour masquer cette réalité condamnable du jeu.

Keynes a dit quelque chose d’intelligent lorsqu’il a montré que l’investissement était le sous-produit d’une activité de casino. Il a insisté sur l’irrationalité, le hasard. Il est passé à côté de l’essentiel,ce qui est important dans le mécanisme
keynésien, c’est non pas le fait que les capitaux soient alloués au hasard ou en fonction du jeu, mais le fait que le jeu, les jeux, soient structurellement perdants, soient conçus pour que les joueurs perdent et que leur patrimoine soit amputé. Il a négligé de parler du prélèvement sur les joueurs. Le jeu keynésien, qui est exactement celui qui est pratiqué actuellement,
c’est un transfert.
Adam Smith, lui aussi, a clairement dit que l’économie était un jeu. Il a affirmé «chaque joueur a tendance à s’exagérer ses chances de gagner». Chaque participant au marché qui recherche le risque pour s’adjuger le gain maximum considère au fond de lui-même que le risque c’est pour les autres. Il est persuadé que comme dans le film célèbre, il réussira à sauter de la voiture avant le précipice et récoltera, sinon la gloire, du moins le gros lot.

Bernanke l’a encore répété «la Fed envisage de conserver des taux exceptionnellement bas pendant longtemps encore». Cela, c’est pour les Etats-Unis. Au niveau global, les chefs d’Etat réunis au Sommet de l’Apec ont décidé de renchérir sur la Banque Centrale américaine: «Nous nous sommes mis d’accord sur un objectif de sortie de crise dans les dix-huit mois». Voilà une précision calendaire intéressante puisque cela nous met non pas mi ou fin 2010 pour le négatif comme certains le croyaient, mais en 2011 bien engagé. «La reprise économique n’est pas solide…nous maintiendrons nos politiques économiques stimulantes jusqu’à ce qu’une reprise économique durable soit clairement installée.»
Buvez, buvez, la coupe de punch est pleine et s’il le faut, on la remplira. Peut-on inciter plus clairement à l’ivresse spéculative, à la prise de risques étourdissante. Peut-on être plus clair, ne sortez pas maintenant des marchés,
abandonnez toute prudence, le précipice est encore loin. Le crash, la destruction des patrimoines, la ruine des illusions, le grand croc à Phynances du Père Ubu, ce n’est pas pour demain. Ni même pour après-demain, même si on tient compte du fameux horizon d’anticipation de six mois
.

Vous comprenez pourquoi nous vous parlons beaucoup de court terme. Nous nous adaptons. Nous
nous mettons au diapason de ce que veulent les responsables. Pas totalement quand même. C’est la raison pour laquelle nous vous parlons beaucoup du pétrole et des matières premières, ces empêcheurs de réguler en rond. Si la morale n’entrave pas l’action des régulateurs, la spéculation non politiquement correcte, elle, peut le faire. L’évolution des prix du pétrole peut faire dérailler le train de la relance systémique. Il suffit de regarder les derniers chiffres du commerce extérieur américain. Le déficit a fait un grand bond en avant. Le responsable… la facture pétrolière+

Nous avons dit et écrit qu’au cours de la semaine au 9 octobre 2009, l’environnement des marchés financiers s’était détérioré et fragilisé. Au cours de cette FAMEUSE semaine, le pétrole a fait un bond de 4% et surtout il a franchi le cap des 70$ le baril. Cette hausse accompagnée de celle de l’or a transformé le paysage. Nous sommes passés à l’inflation-trade. Autant le reflation-trade, puis le risk-trade était souhaitable, autant l’inflation-trade est détestable. La hausse de l’or ne gêne personne, mais celle du pétrole si. Elle gêne l’économie réelle. Si la mécanique qui s’est lancée début octobre n’est pas enrayée, la hausse du pétrole peut faire avorter la reprise économique. La hausse de l’énergie touche directement le pouvoir d’achat disponible, elle impacte les indices de prix et joue sur les anticipations. La hausse du pétrole constitue une limite terrible à l’action des gouvernements et des Banques Centrales. En passant les 70$ le baril, puis les 80$, et en s’élançant à la conquête des 100$, le pétrole ouvre une brèche dans le dispositif de relance des économies.

La hausse du pétrole fait partie de ces unintended-consequences de l’action de reflation monétaire des Banques Centrales. C’est sans exagération le piège le plus redoutable dans lequel elles peuvent tomber.

Bruno Bertez 2009

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