Commentaire de Marché

Bruno BERTEZ : Les investisseurs pris à contre-pied

Ils n’ont aucune chance. Sauf s’ils font exactement l’inverse de ce que l’on attend d’eux. Et encore: il ne suffit pas d’être seulement «contrarian».

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Souvenez-vous, il y a un peu plus de trois semaines, le sentiment haussier était dans les plus hauts. Après onze mois de hausse quasi ininterrompue, les marchés refusaient de corriger. Et l’on était parti, si l’on en croit les prévisions de début d’année du consensus des gourous, pour six mois de belle hausse.

Fidèles à leur habitude de tromper le maximum de participants, c’est le moment qu’ont choisi les marchés pour enfin se retourner. Ils ont entamé une véritable consolidation. C’est quand on n’y croit plus qu’elle vient; et c’est là qu’elle fait mal.

Quatre semaines de baisse. Toute la performance de début d’année évaporée; avec des dégâts importants sur les cycliques, les financières, le logement. Avec des chutessérieuses et des plus bas de moyen terme sur le pétrole, l’or, les matières premières.

Quand nous sommes redevenus haussiers, c’était autour du 18 ou 20 février 2009, nous avons appelé ce genre de situation «le jeu du chat et de la souris». Nous vous avons avertis. Il y aurait beaucoup d’appelés et peu d’élus. Les marchés ne sont pas là pour vous faire gagner de l’argent, ils sont là pour vous séduire, faire en sorte que vous vous sépariez – souvent au plus mauvais moment – de vos précieux capitaux, de vos précieuses liquidités. Et c’est normal.

Avec la crise et son mode de traitement, le monde ne s’enrichit pas. Il s’appauvrit. Il gaspille. Il continue de tourner, mais c’est grâce au déni, grâce au refus de la réalité et surtout, bien sûr, grâce à la dette et à l’émission sous toutes formes de nouvelles promesses (assets) financières.Promesses qu’il ne pourra pas honorer.

Comment voulez-vous dans ces conditions vous enrichir? Battre Goldman Sachs et la communauté spéculative mondiale, battre les Banques Centrales, n’y pensez-pas. Ils ont pour eux l’information quasi à la source, la rapidité (en nanosecondes) et en plus, l’accès à des ressources de financement infinies et gratuites qui leur permet d’avoir raison, même quand ils ont tort.

Dans la situation présente où nous ne sommes même plus dans un jeu à somme nulle, mais dans un jeu à somme négative car l’excès de capital, il faut le détruire, vous n’avez aucune chance. Sauf si vous faîtes radicalement le contraire de ce que l’on attend de vous. Et encore, attention, il ne suffit pas d’être «contrarian» au sens boursier du terme, il faut être totalement en dehors des chemins que les autres vous ont tracés. Il ne suffit pas d’être contrarians, beaucoup de gens le sont, il faut être ailleurs, sceptiques, pessimistes structurels. Il faut savoir qu’il n’y a aucun «free lunch». Personne ne veut votre bien.

Un mot de ce que l’on pourrait considérer comme une digression.

Les régulateurs et les gouvernements ne sont pas forcément méchants ou mal intentionnés, encore moins stupides.

Mais ils ne sont pas de votre côté. La mission de ces grands prêtres est de sauver le Système. De tenter de le remettre en marche.

De tenter de faire en sorte qu’il se reproduise à l’identique. Avec le moins de changement possible, en perpétuant le même ordre social.

Les gérants d’un système sont toujours conservateurs. Ils ont peur des vrais changements, des vrais bouleversements. Ils sont horrifiés par l’aventure. Regardez Obama – «change we can» – il s’est rallié à la frange la plus conservatrice de la société américaine. Et ce n’est pas par choix, c’est par ce qu’il croit être une obligation. Il n’a pas osé entreprendre le grand changement, il a eu peur, il a reculé. Le coût aurait été trop élevé en terme de tensions sociales.

La vraie peur des gérants du système, c’est celle de l’inconnu.

Les responsables de la conduite des affaires sont toujours victimes de l’argument conservateur massue: c’est trop dangereux. Ainsi, on n’a pas détruit les dettes qui empêchent le fonctionnement du système, on n’a pas détruit l’excès de capital fictif qui le paralyse, on n’a pas touché au surendettement  des agents économiques finaux.

On a tenté de le prolonger. De l’étaler. Pour cela, il a fallu l’augmenter. Cela implique, dans un monde de ralentissement de la production de richesse et de montée des coûts indirect une inflation de droits, de promesses, de «claims» comme disent les Américains, considérable. A moins que vous ne prévoyez un age d’or, une croissance supérieure à tout ce que nous avons connu dans l’histoire, cette inflation de promesses, il faudra l’euthanasier. Il faudra la rendre dégradable et grâce aux marchés et à leur fonction, elles sont déjà biodégradables. Ceci se réalise soit par la volatilité, le jeu du chat et de la souris, les crises périodiques contrôlées, que nous appelons les coups d’accordéon, soit par l’avilissement des signes monétaires dans lesquels les prix des promesses, c’est à dire les prix des actifs, sont exprimés.

Les responsables de la conduite des affaires sont, par fonction, en raison de leur position dans le système, obligés de donner la priorité à «l’intérêt général» sur le votre.

Ou, du moins, à la conception que le politiquement correct se fait de l’intérêt général. L’un des meilleurs exemples est Geithner. Authentique victime sacrificielle sur cet autel de l’intérêt général défini par la minorité. «Nous serons jugés sur la manière dont nous avons fait face quand tout était cassé» (interview du 23 décembre par Daniel Gross). On reproche à Geithner mensonges, dissimulations, favoritisme. Ce n’est pas justifié. Geithner n’est pas méchant. Pas volontairement. Il est capturé, prisonnier. Le sauvetage, la relance, la reproduction du système sont prioritaires.

C’est exactement la même chose s’agissant de la volonté d’imposer la Volcker Rule annoncée par Obama. Une Volcker Rule a minima, inadaptée qui ne touche à rien de substantiel dans le risque enfoui dans le système bancaire, le shadow system bancaire et le système financier au sens large.

Une Volcker Rule qui se garde bien de toucher à l’essentiel, c’est à dire à l’interconnexion.

Tout ceci pour vous dire que les besoins de transfert de ressources et de richesses sont considérables. Il faut assurer le quotidien, faire tourner la machine économique, il faut réinvestir dans l’assainissement des bilans, les rééquilibrer, après il faudra réinvestir dans les structures et les organisations, enfin, il faudra réinvestir dans les équipements productifs. Les tensions sur les ressources seront considérables car les besoins sont colossaux. Et à terme, après cette «Great Experiment» catastrophique à la John Law que l’on a connu depuis les années 80, il ne sera pas question de continuer à le faire avec de la fausse monnaie, du faux capital d’emprunt, du faux capital propre à crédit. Il faudra payer. Il faudra les rémunérer, ces ressources, pour les attirer. Il faudra payer très cher. Au terme du parcours, il faudra se résoudre à rémunérer vraiment le capital et l’épargne, à leur offrir un vrai taux de rendement et de profit interne et non pas une pseudo plus-value Ponzi.

Ce processus inéluctable dévalorisera, dépréciera, ruinera tous les actifs anciens émis antérieurement sur les marchés. Ce qui est nouveau et de meilleure qualité ne peut que détruire l’ancien. Le nouveau capital qu’il faudra constituer et solliciter fera fondre la valeur de l’ancien, aussi sûrement que la neige des beaux jours fait fondre celle des mauvais._

BRUNO BERTEZ agefi fev10

EN COMPLEMENT :

Les capitaux refluent vers le centre

Les marchés attendaient la poursuite de la hausse des actifs du «risk trade». Ils ont eu la baisse. Les mêmes marchés attendaient la chute des fonds d’Etat et ils ont eu la fuite vers la qualité. Le dollar était condamné à baisser; depuis novembre 2009, il ne cesse de grimper. L’euro était la monnaie refuge, les observateurs en sont venus à parler de risque et de possibilité de dislocation du système monétaire européen.

On parle de rigueur, d’arrêt des stéroïdes et des artifices, jamais les besoins de dopage n’ont été aussi forts: après un an et demi d’injection de stimulants, les marchés du travail restent dans les plus bas. Les tensions sociales enflent.

Les Etats-Unis vont connaître, c’est un grand paradoxe, mais c’est le résultat de la dialectique du système, un répit considérable. Un peu à l’image de celui qu’ils ont connu au moment de la crise Lehman.

La crise des pays souverains de la périphérie joue dans le bon sens pour eux. Si l’on ose dire. Les capitaux, les flux financiers qui avaient quitté le Centre tout au long de ces derniers mois pour favoriser la périphérie, ces capitaux refluent. Le rapatriement est enclenché. Le carry se révulse. La sur-performance des actifs à risque, le soi-disant attrait exceptionnel des émergents, tout cela est remis en cause. C’était prévisible, prévu, et même inéluctable. Le Centre reste le Centre. Il est en haut du Système, il le domine. Il est plus solide, plus structuré, plus stable. Il conserve le pouvoir d’attirer à lui les ressources globales. Il est le Centre, il a les cartes en mains: c’est lui qui fixe les règles du jeu. Et cela, c’est l’essentiel.

Regardez la Chine, avec un marché financier au plus bas alors que l’on connaît soi-disant une reprise économique et une croissance supérieure à 10%.

Regardez le Japon, enfoncé dans l’appauvrissement depuis de trente ans et maintenant au bord de l’asphyxie financière, ayant mangé le pain blanc de l’épargne de ses citoyens.

Regardez l’Europe menacée d’implosion après avoir tenté ou rêvé de constituer une alternative.

D’alternative, il n’y a pas. Le monde global est solidaire, il est solidaire et hiérarchisé. Ce qui se produit depuis quelques jours est là pour nous le rappeler.

(BBz)

EN COMPLEMENT : Bruno Bertez : Les grands airs de la rigueur (cliquez sur le lien)

4 réponses »

  1. commentaire déstabilisant et plein d’ interrogations
    sur l’ avenir des sociétés de gestion et des petits porteurs coincés entre goldman et les darks pools.
    face aux rotations sectorielles accélérées,
    il ne reste plus que le long terme pour espérer
    ramasser quelques miettes.

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