Gold et Métaux Précieux

Matières Premières : perspectives 2010 et commmentaires de marché avec 4 gérants spécialisés

La visibilité sur l’activité des sociétés productrices de matières premières reste faible, dans un contexte de reprise économique fragile.

Après avoir effectué un important rattrapage en 2009, les prix des matières premières accusent une correction depuis la mi-janvier. Le Journal des Finances a réuni plusieurs experts pour savoir quelle attitude adopter à l’égard du secteur.

PLUS DE DETAILS EN SUIVANT :

 LE JOURNAL DES FINANCES. Les cours des matières premières ont été particulièrement volatils ces derniers mois. La tendance va-t-elle se poursuivre ?

JEAN-BERNARD GUYON, vice-président du conseil Or et Ressources naturelles chez Commodities Asset Management : La volatilité est une constante de marché et, les métaux étant désormais considérés comme une classe d’actifs, la spéculation y est souvent forte. Les épisodes d’aversion au risque ou d’optimisme engendrent cette spéculation. On peut donc s’attendre à ce que les cours demeurent très volatils cette année.

 

EMMANUEL PAINCHAULT, gérant à la Compagnie Financière Edmond de Rothschild : LES AUTORITÉS AMÉRICAINES AIMERAIENT METTRE UN FREIN À CELA EN AUGMENTANT LA RÉGULATION, MAIS LA MISE EN oeUVRE SERA LONGUE ET DIFFICILE. IL EST AUJOURD’HUI PRIMORDIAL D’ÊTRE SÉLECTIF DANS LE CHOIX DES MÉTAUX. LES FONDAMENTAUX DANS LE CUIVRE SONT TRÈS BONS, DONC, MALGRÉ L’AVERSION POUR LE RISQUE ET LA CORRECTION ACTUELLE, LES PRIX DEVRAIENT SE MAINTENIR. CE SERAIT PLUTÔT LE CONTRAIRE DANS L’ALUMINIUM, OÙ LES STOCKS SONT À DES PLUS HAUTS HISTORIQUES. SI LA SPÉCULATION ACCENTUE LES MOUVEMENTS À COURT TERME, ELLE NE PEUT ÊTRE DÉCONNECTÉE DES FONDAMENTAUX SUR LE MOYEN TERME.

 

CLAUDE RIVAUD, gérant Matières premières chez Société Générale Gestion, filiale d’Amundi : Le secteur des matières premières est historiquement le plus volatil. Mais ce phénomène a été accentué par la « financiarisation » des commodités depuis ces cinq dernières années, avec la progression des trackers et des ETF.
La spéculation prend désormais une place plus importante que la demande réelle. Aujourd’hui, parler des matières premières équivaut à parler du marché alors qu’historiquement les cours des matières premières évoluaient en sens inverse de celui des actions.

 

SÉBASTIEN LAGARDE, gérant chez AXA IM : La spéculation ne pollue finalement les prix qu’à court terme. La hausse des cours du platine ou de l’or s’explique à mon sens plus par la baisse des niveaux de production. Tout comme le baril de pétrole à 70 dollars reflète les coûts marginaux de production. A 40 dollars le baril, ce n’est pas soutenable pour les entreprises, donc l’offre diminue. Et la tendance haussière du prix du baril sur ces dernières années résulte d’une diminution des ressources facilement exploitables et de la plus grande difficulté d’exploration et de mise en production des nouveaux gisements.

LE JOURNAL DES FINANCES. Le rebond des cours des métaux va-t-il se poursuivre en 2010 ?

Jean-Bernard Guyon : Les autorités chinoises sont désireuses de maintenir leur croissance annuelle à 10 %, mais en mettant l’accent sur la demande intérieure, ce qui freinera à terme la demande de matières premières. Dans l’immédiat, la croissance globale ne permettra pas une nouvelle hausse significative de celle-ci.

CLAUDE RIVAUD : Il faut savoir qu’une fois crevée une bulle ne revient pas dans les trois à quatre ans qui suivent. Nous ne devrions donc pas retrouver les niveaux de cours du premier semestre 2008. Je pense que cette année sera au mieux une année de consolidation. Il n’y aura pas de grands mouvements haussiers car les vents contraires sont trop importants. Tout d’abord, le resserrement de la politique monétaire chinoise devrait jeter un froid sur les cours. Rappelons que la Chine a représenté, l’an dernier, 40 % des achats mondiaux tous métaux confondus. Ensuite, les Etats-Unis vont avoir du mal à prendre le relais. Même s’il reste 300 milliards de dollars du plan de relance à dépenser, les fondamentaux du bâtiment restent mauvais, ce qui devrait peser sur le nombre de mises en chantier en 2010. Enfin, la fin de la prime à la casse dans le secteur de l’automobile va avoir un impact négatif sur la demande d’acier et d’aluminium.

EMMANUEL PAINCHAULT :IL Y A UN MANQUE DE VISIBILITÉ IMPORTANT SUR L’ÉTAT RÉEL DES STOCKS CHINOIS. ET SI LES ACHATS VONT SE POURSUIVRE CETTE ANNÉE, ILS DEVRAIENT SE FAIRE DE MANIÈRE DE PLUS EN PLUS OPPORTUNISTE. IL CONVIENT, EN GÉNÉRAL, DE SE MÉFIER DES ANNONCES DE LA PART DES AUTORITÉS CHINOISES.

 

JEAN-BERNARD GUYON : Il faut ajouter à cela une croissance qui devrait rester modeste dans les années à venir, certaines économies risquant même de rester en récession, ce qui devrait limiter les hausses de cours des matières premières. Ainsi, la crise des dettes souveraines constitue un élément quelque peu dépressif pour l’évolution des cours.

 

EMMANUEL PAINCHAULT : IL Y A TOUTEFOIS UNE INCONNUE, QU’IL NE FAUT PAS NÉGLIGER, C’EST L’AMPLITUDE DU PHÉNOMÈNE DE RESTOCKAGE EN ZONE OCDE QUI DEVRAIT AVOIR LIEU CETTE ANNÉE. BEAUCOUP D’INDUSTRIELS ONT UN NIVEAU DE STOCK TRÈS BAS. C’EST PARTICULIÈREMENT VRAI DANS L’ACIER, OÙ FIN 2008 L’OFFRE A DIMINUÉ PLUS RAPIDEMENT QUE LA DEMANDE. DANS CES CONDITIONS, IL N’Y A PAS BESOIN D’UNE DEMANDE RÉELLE IMPORTANTE POUR QUE LA SITUATION S’AMÉLIORE. Il ne faudrait donc pas grand-chose pour que 2010 se passe bien.

 

SÉBASTIEN LAGARDE : Le moteur de la demande cette année sera le restockage de la part des industriels qui travaillent en flux tendus depuis la crise financière.
Mais je ne pense pas que la Chine sera moins vorace en termes de commodités dans les mois à venir. L’appétence pour les matières premières y reste forte.

 

LE JOURNAL DES FINANCES. 2010 sera-t-il synonyme de concentration dans le secteur ?

SÉBASTIEN LAGARDE : Les principaux acteurs du secteur affichent de bons résultats 2009, compte tenu de la crise. Ils ont su gérer leur endettement, resserrer leurs coûts rapidement et ont, en plus, continué à dégager des cash-flows importants. Beaucoup de groupes vont donc maintenant chercher à sécuriser leurs ressources pour le futur par des acquisitions.

 

EMMANUEL PAINCHAULT : Avant de décider de réinvestir massivement, les groupes vont toutefois avoir besoin d’une plus grande visibilité. Echaudés par la crise de l’an dernier, ils font encore preuve de prudence. Les investissements vont rester limités, ce qui aura une incidence sur l’offre de ces prochaines années. Pourtant, ils ont bien et vite rétabli leur situation financière. Par exemple, Xstrata, qui était dans une position très délicate l’an dernier, est aujourd’hui dans la situation de distribuer à nouveau un dividende. Les opérations d’acquisitions vont continuer car elles sont nécessaires, mais elles seront ciblées sur les meilleurs actifs.

Sébastien Lagarde : Nous devrions toutefois assister à un mouvement de consolidation du secteur. Les cibles potentielles seront principalement les petites et moyennes entreprises qui ont privilégié la croissance organique, c’est-à-dire l’exploration. Je pense à des sociétés comme Gulfsands Petroleum pour ses actifs en Syrie, ou encore Tullow Oil, dont les actifs au Ghana et en Ouganda intéressent des géants comme Total, ExxonMobil, Cnooc et ENI, pour n’en citer que quelques-uns !

 

CLAUDE RIVAUD : Effectivement, les sociétés sortent de cette crise en meilleure santé financière que lors des crises précédentes, ce qui devrait théoriquement être bénéfique aux opérations de croissance externe. Mais je pense que nous allons surtout assister à des rachats d’actifs ou à des prises de participation dans d’autres sociétés plutôt qu’à des fusions-acquisitions ; ces dernières devraient plus porter sur des affaires de taille moyenne ou petite. Aux craintes sur la visibilité de l’activité s’ajoutent les questions de concurrence, qui rendent les grandes fusions de plus en plus difficiles, comme nous l’avons vu encore tout récemment avec Rio Tinto et BHP Billiton.

 

JEAN-BERNARD GUYON : Malgré l’exemple d’Exxon et de son offre sur XTO, qui fait aujourd’hui figure d’exception, nous ne devrions plus assister à des opérations d’envergure, voire risquées, pour accroître la taille de l’entreprise, comme lors du rachat d’Alcan par Rio Tinto.

SÉBASTIEN LAGARDE : Le vrai prédateur restera la Chine. Il faut savoir par exemple que CNPC, maison mère de Petrochina, a obtenu l’an dernier un prêt de 30 milliards de dollars de la Development Bank of China pour faire des acquisitions à l’étranger. Je pense toutefois que ces investissements se feront essentiellement dans le pétrole : les acquisitions d’actifs miniers en Australie sont politiquement plus délicates à réaliser aujourd’hui.

JOURNAL DES FINANCES. La correction du prix de l’or va-t-elle se poursuivre ou, au contraire l’or va-t-il reprendre sa tendance haussière ?

CLAUDE RIVAUD : Tout d’abord, il faut savoir que le cours de l’or ne connaît pas actuellement de correction importante par rapport à ses plus hauts de l’an dernier. Il faut en effet tenir compte du renforcement du dollar depuis le mois de janvier.

JEAN-BERNARD GUYON : Si l’or subit actuellement quelques à-coups en tant que matière première, il reste néanmoins la monnaie ultime. J’anticipe une bonne tenue de l’once en 2010, avec un cours qui devrait atteindre les 1.300 dollars dans le courant de l’année.
C’est un prix qui me semble correct compte tenu de l’incertitude grandissante qui règne actuellement sur les monnaies.

CLAUDE RIVAUD : La demande d’ETF s’est un peu effilochée, mais il n’y a eu aucun retrait massif. En plus, la Chine, qui souhaite faire rentrer sa monnaie dans le cercle des monnaies de référence, devrait poursuivre ses achats d’or. L’an dernier, elle a probablement acquis l’intégralité de sa production domestique, en forte hausse. Cette année, les achats devraient être encore un peu plus importants. C’est ce qui nous permet d’anticiper une poursuite de la tendance haussière du prix de l’or.
En plus, je n’attends pas de hausse des taux de la part de la Fed avant 2011, car le pic de chômage n’a pas encore été atteint. En plus, la première hausse ne devrait pas casser la tendance. Toutefois, à court terme, on ne peut pas écarter l’éventualité de repasser sous les 1.000 dollars l’once. Cela constituerait un point d’entrée sur le marché.

EMMANUEL PAINCHAULT : Nous anticipons une progression annuelle moyenne du prix de l’or de 100 dollars par an. Le prix de l’once devrait donc se situer aux alentours de 1.100 dollars sur l’ensemble de 2010, avec un prix plancher de 1.000 dollars. La corrélation négative qui été historiquement constatée entre le dollar et l’or n’empêche plus aujourd’hui le métal jaune de voir son prix poursuivre sa hausse.

Sébastien Lagarde : 2010 ne sera pas marqué par une correction sur le marché de l’or, en raison de l’offre physique, qui reste atone. En effet, la production minière est à la peine et l’offre des banques centrales s’est désormais tarie.

Emmanuel Painchault : En plus, 2009 a été marqué par une faible demande d’or de la part de la joaillerie. Un point bas a été atteint, qui s’explique en partie par le niveau des prix et en partie par la crise économique. Il est difficile d’anticiper l’amplitude de la reprise, mais elle permet de donner un plancher au prix.

LE JOURNAL DES FINANCES. Concernant les matières agricoles, pourrait-on assister à un emballement du cours de certaines matières, comme en 2007 ?

SÉBASTIEN LAGARDE : L’aléa climatique est primordial dans ce secteur. Aujourd’hui, on assiste à une pénurie sur certaines matières premières, ce qui explique le renchérissement des cours, beaucoup plus que la spéculation.
Par exemple, le cours du sucre s’est envolé du fait de fortes sécheresses en Inde, qui ont conduit le pays à redevenir un gros importateur de cette denrée. Les questions de stockage et de péremption sont également des éléments qui complexifient les projections. C’est aussi la raison pour laquelle les matières premières agricoles sont beaucoup moins financiarisées et sujettes à la spéculation que les métaux ou le pétrole.

JEAN-BERNARD GUYON : Si à court terme il est très difficile de savoir comment les cours vont évoluer, trop de facteurs aléatoires entrant en ligne de compte, il est en revanche certain que sur les cinq ans à venir on s’apercevra que c’est un très bon placement.

CLAUDE RIVAUD : La population aura toujours besoin de se nourrir, donc, il s’agit forcément d’un bon placement. Entre la croissance de la population mondiale, les besoins pour les énergies renouvelables et l’évolution des consommations, la demande mondiale devrait croître de 70 % d’ici à 2050, selon les études. La superficie des terres arables est en stagnation, ce qui conduira inexorablement à un renchérissement des cours, même si le rendement augmente. C’est ce qui explique que la Chine investisse actuellement dans des terres en Afrique. C’est la thématique de demain dans ce secteur.

Sébastien Lagarde : A long terme, les matières agricoles sont un domaine où l’équilibre de l’offre et de la demande va être le plus difficile à atteindre.

EN COMPLEMENT : Matières Premières : Entretien avec Evy Hambro, gérant du fonds BlackRock World Mining (cliquez sur le lien)

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