La propension au risque n’a jamais été aussi grande. Les marchés sont tellement affamés de rendement qu’ils achètent n’importe quoi.
PLUS DE BERTEZ EN SUIVANT :
Il y a une logique dans tout ce que l’on fait. Il y a une logique dans tout ce qui se passe ou se produit. Et quand on dit que Jupiter rend fous ceux qu’il veut perdre, il faut comprendre, à notre avis, que quand les Dieux veulent perdre les hommes, ils leur font oublier la logique. Le logos, c’est ce qui permet de comprendre les évènements et les comprendre, c’est la condition indispensable pour agir sur eux.
Le but des chefs, dans notre système fondé sur l’opinion, le rating et la communication, ne semble plus d’être le médiateur qui fait ressortir la logique des situations. Leur but semble être de la dissimuler et de la pervertir.
La crise que nous vivons n’est bien sûr pas une crise financière. La finance n’existe pas en dehors des hommes et des pouvoirs qui la font. La crise, c’est une crise de leadership, de commandement, de légitimité. Et cela va bien au-delà du sous-avatar déprécié que constitue la régulation.
Ce n’est pas un hasard bien sûr si les présentes réflexions préliminaires nous sont inspirées par ce qui se passe en Grèce. Jamais on n’aura vu pareille confusion, pareils mensonges. Jamais la parole des locuteurs n’a été autant utilisée pour dissimuler la pensée et, plus grave encore, son absence.
Depuis le 12 février, veille de week-end, la solution à la crise grecque est en place.
A l’heure où nous écrivons, le 19 mars, la Grèce a placé l’Europe sous le coup d’un ultimatum. Elle menace de faire appel au FMI, sous-entendu aux États-Unis. Trichet était contre le FMI, Sarkozy aussi, Merkel aussi. Mais coup de théâtre, alors que la Grèce n’a besoin de rien, qu’elle n’est pas en faillite, que son emprunt a été sursouscrit, elle change d’avis. Elle est maintenant pour le FMI plutôt que pour un package européen. Package dont Papandréou réclame la signature et dont il affirme en même temps ne pas avoir besoin. La folie règne en maître.
Les téléscripteurs affolés crachent vérités, contre-vérités et démentis. «Nous ne ferons pas défaut». «Nous n’avons pas besoin d’argent». «Notre plan d’austérité est déjà conforme à ce que demanderait le FMI». «Le FMI ne nous demanderait rien de plus». Et la Française Christine Lagarde, pour tout clarifier: finalement, tout cela, c’est la faute de l’Allemagne, «elle doit réduire ses excédents». La France rejoint le camp des Anglo-Saxons, du Financial Times et de Martin Wolf!
Martin Wolf : Cauchemar à Berlin (cliquez sur le lien)
Où est la logique? Elle n’est certainement pas dans la communication, succession de contre-vérités et de démentis. La logique est dans le monde réel, dans le sang et dans les larmes. Dans ce réel que gouvernements et médias ont beaucoup de mal à entrevoir, caché qu’il est par le tissu d’abstractions, d’imaginaire et de faux savoirs qu’ils ont jeté sur lui.
Les Grecs, la population, les citoyens, ce sont eux le réel. Ils ont donné un aperçu de l’écart qu’il y avait entre les abstractions séduisantes et bien lisses des chefs communicateurs et les réalités concrètes, denses, violentes de ceux qui sont censés constituer leur terrain d’application. Un redressement, cela ne se résume pas à une affaire de ratio. Cela se heurte à la logique de la vie et de la survie. Et donc à des rapports de force. Avec les Grecs, la crise grecque est sortie du monde du discours. Et cela fait réfléchir, surtout les Allemands. On sait maintenant que tout n’est pas possible. On sait qu’il y a des limites au pouvoir d’appauvrissement que s’octroient les gouvernements. Il y a des limites à leur pouvoir de taxation et de confiscation. Ces limites sont concrétisées par l’action sociale, par l’entrée en violence, par la déchirure des pactes de non-agression sur lesquels reposent les sociétés.
La Grèce n’étant qu’un début, c’est dans une perspective plus vaste que se développe la logique de la situation. En Europe, qu’elle soit dite du sud, latine, «club med» ou autre, on a acheté la paix sociale à crédit, avec la dette. Et arrêter la dette, c’est déclarer la guerre sociale.
Commentaire : Tragédie grecque – fin du 1er acte.mais la pièce montée Européenne à la «Madoff » suit son cours (cliquez sur le lien)
C’est la logique dans laquelle se trouvent l’Italie, l’Espagne et le Portugal, cela apparaît évident pour tout le monde, mais c’est aussi la logique de la France.
Cela est clair pour ceux qui savent lire les vrais chiffres de la situation française. Les chiffres qui ne dissimulent pas l’ampleur des engagements français, promis, dus, mais non financés. Cela est clair également pour ceux qui suivent le happening quotidien de la guérilla sociale. Même ampleur en relatif, mais en plus avec des valeurs absolues colossales, tels sont les déséquilibres français comparés à ceux des pays qui font la une des journaux. Mais surtout, même combinaison sociale «non malléable», le tout aggravé par une période de faible légitimité politique.
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Le gouvernement grec est entre le marteau et l’enclume. Les autres gouvernements européens s’apprêtent à y glisser la tête. Ils ont quand même quelques économistes non complaisants. Ils savent que la «fake recovery» sera insuffisante pour corriger les déséquilibres et que, tôt ou tard, les marchés vont dire non, les forcer à des décisions dangereuses. Une position de rigueur à l’égard de la Grèce constituerait une sorte de précédent, une sorte de préfiguration de leur situation future.
Trappe à Dettes : Rapport Moody’s / difficile travail d’équilibriste pour pays notés AAA(cliquez sur le lien)
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Les perspectives seraient plus engageantes pour eux si l’Allemagne s’anglo-saxonisait. Le fameux «l’Allemagne paiera» est toujours d’actualité, même si cette fois, ce qu’on lui demande, c’est simplement d’être plus laxiste, un peu moins Père Fouettard. Hélas, un pas dans cette direction serait tout, sauf insignifiant. Ce serait un pas qualitatif, fondamental. Ce serait un pas vers le fédéralisme fiscal refusé par le peuple et l’élite allemande. Ce serait tourner le dos au principe sur lequel repose le consensus allemand: on ne sort pas des difficultés par le laisser-aller ou par la dépense. On sort des difficultés par l’effort, par l’exportation, par la compétitivité, l’investissement, jamais par le gaspillage. Avec l’épreuve de la crise, l’Allemagne veut plus que jamais rester fidèle à elle-même, à ses valeurs, à son contrat social. Elle renvoie les Européens qui ne partagent pas ses valeurs jouer dans la cour avec leurs camarades anglo-saxons, leur inflationnisme, leur deficit spending destructeur.
WSJ : L’Allemagne face à un dilemme (cliquez sur le lien)
WSJ : L’Europe a besoin d’une union plus étroite (cliquez sur le lien)
La logique de la situation, c’est que tous les pays européens de comportement de type latin ont accepté l’Europe dans la mesure où ils ont cru pouvoir cueillir les fruits semés par les Allemands à la faveur de la grande période de convergence, mais que, maintenant que les fruits manquent, les tensions deviennent vives et ils se demandent de quoi ils peuvent bien profiter.
La communauté économique bien pensante voudrait peindre l’Allemagne en Chine. Il y a des similitudes. Mais elles sont superficielles et seuls les esprits faux peuvent s’y laisser prendre. La co-dépendance États-Unis/Chine n’a rien à voir avec une quelconque co-dépendance Allemagne/reste de l’Europe. La Chine est faible, c’est un colosse aux pieds d’argile, qui ne peut supporter ni la vérité ni la liberté. La Chine achète la paix sociale par le biais du client américain. L’Allemagne n’est pas la Chine, elle ne repose pas sur un régime autoritaire; elle bénéficie d’une véritable légitimité politique et sociale. La politique du gouvernement est en accord avec ce que souhaitent les citoyens, même si c’est quelquefois difficile. La Chine a peur de son peuple, l’Allemagne, elle, en est forte.
Dominique Seux : L’Allemagne, Chine de l’Europe ? (cliquez sur le lien)
Pendant ce temps, les illusions continuent, douces et endormissantes. Les places financières des grands pays industrialisés viennent d’inscrire de nouveaux records post-crise. Les plus hauts de janvier 2010 ont été dépassés. Personne n’a peur. L’appétit pour le risque n’a jamais été aussi grand. Le prix du risque est au plus bas, on en recherche, on en redemande.
Les marchés sont tellement affamés de rendement qu’ils achètent tout et n’importe quoi. Le pire et le meilleur. Et surtout le pire, car cela rapporte un peu plus. Bernanke vient de rappeler et de redire qu’il allait continuer le régime, les affamés de rendement seront sevrés pendant encore longtemps. On vient de rehausser le plancher en-dessous du prix des actifs en acceptant de répéter la petite phrase magique si douce aux oreilles de la finance «extremely low rates for an extended time».
Le sénateur Dodd, grand fossoyeur des GSE par le biais de la OwnerShip Society, se pare des vertus réformatrices de la rigueur, il tord les bras des banques américaines afin de les faire crier… afin d’éviter de leur faire vraiment mal.
Le Japon repart dans un nouveau round de quantitative easing. Obama critique les Chinois. Bref, business as usual. Rien ne peut empêcher l’irrésistible ascension sinon de la valeur du moins des prix des actifs à risques.
Et les fondamentaux?
Les baissiers qui n’ont pas encore été passés à l’abattoir continuent. Ils n’ont pas encore compris que de fondamentaux, il n’y avait plus. En tous cas pour bien longtemps. La nature des actifs a changé. Les actifs constituent non pas une réalité qui préexisterait, qui existerait en dehors. Non les actifs ce sont des outils de politique économique qu’ont confisqué, que se sont octroyés les responsables de la conduite des affaires. Les actifs ne valent plus en eux-mêmes, ils valent ce pour quoi ils sont instrumentalisés. De grande réconciliation entre les actifs et fondamentales, il n’y en aura pas avant longtemps, mais il y en aura une un jour. Il y en aura une le jour où les régulateurs, manipulateurs et gouvernants auront échoué et où le pouvoir leur échappera.
Il existe un chef des opérations de marchés de la Fed, son nom est Brian P. Sack. Il a donné récemment une conférence dans laquelle il a expliqué comment la Fed avait manipulé le prix des actifs à risque tout au long de la crise. Par ce qu’il appelle l’effet de portefeuille. Comme la Fed se prépare, vers la fin de l’année 2010, à faire la manœuvre inverse, il a la gentillesse, pour que tout se passe bien, de nous prévenir, de nous expliquer.
Jean Pierre Petit : FED /Quel contenu de l’Exit Strategy? (cliquez sur le lien)
Nous essaierons dans une de nos prochaines chroniques de vous décortiquer le contenu de cette conférence de Brian P. Sack (Remarks at the National Association for Business Economics Policy Conference, Arlington, Virginia).
Bruno Bertez agefi mars10
EN COMPLEMENT INDISPENSABLE : Bruno Bertez : Le Royaume-Uni pire que les Piigs (cliquez sur le lien)
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