Bruno Bertez : Goldman en vedette américaine
L’administration est prisonnière. Elle a fait un choix de sortie de crise qui passe par les banques et ne peut que faire semblant de les égratigner.
Après un vif recul vendredi 16 avril, les marchés financiers se sont rapidement stabilisés. Dès lundi, en cours de journée, on a vu une tentative de stabilisation. La bonne tenue de Wall Street l’après-midi est venue confirmer cette meilleure orientation. Mardi, le mouvement s’est amplifié.
Il faut noter qu’aux Etats-Unis, l’amélioration s’est faite sous la conduite des financières et singulièrement Citi et Goldman Sachs.
Ceci mérite d’être souligné et surtout gardé présent à l’esprit: depuis mars 2009, toutes les reprises de l’indice général, tous les rallys, ont été conduits par le secteur financier. C’est vrai de celui qui a donné le signal du départ, celui de mars à mai 2009; c’est vrai de celui qui a suivi de juillet à mi-octobre; c’est encore plus vrai du dernier en date, et qui est encore en cours, celui de février à avril. Quand les financières montent, tout monte. Et l’on peut ajouter, quand elles montent beaucoup, le reste monte moyennement.
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Il est évident, la simple observation des courbes comparées du secteur financier et du marché dans son ensemble, il est évident que le marché des actions ne va que quand les financières vont.
Le marché va là où les financières l’emmènent.
La plupart des opérateurs ou investisseurs qui ont raté le marché l’ont raté à cause des financières. Sachant que leur situation fondamentale réelle était très mauvaise, sachant que les résultats extériorisés étaient en grande partie fictifs en raison du «extend and pretend», ils sont passés à côté du mouvement.
Ils n’ont pas voulu croire à l’aspect téléonomique de la hausse, cet aspect sur lequel nous insistons depuis des mois. Ils sont restés fondamentalistes, value, alors qu’il eut fallu n’être que cynique: les financières montent parce qu’elles doivent monter. La courbe des taux d’intérêt hyperpentue et les spreads colossaux que les banques centrales leur fabriquent ne sont qu’un des aspects du raisonnement. La vérité complète, toute simple, est que de la même manière que l’on est tombé par la finance, on se relèvera par elle. Comme le dit Lloyd Blankfein, de Goldman Sachs, dont on reparlera abondamment plus bas «the financial system led us into crisis and it will lead us out».
Le système financier nous a précipité dans la crise et c’est lui qui nous en sortira. Et c’est très vrai.
Car c’est le choix américain, c’est le choix imposé au reste du monde.
Nous vous avons déjà décrit la séquence mais nous vous la rappelons:
1) bail out
2) taux zéro, courbe des taux très pentue afin de faire une rente aux banques
3) relance des marchés et profits colossaux par le trading
4) modification comptable,extend and pretend
5) recapitalisation pour les uns, augmentation des fonds propres pour les autres à la faveur de la hausse des bourses
6) relance du crédit. Nous sommes entre la phase 5 et la phase 6.
Juste un mot sur la question des résultats qui viennent d’être publiés par les banques. Dans leur écrasante majorité, ils ne sont bons que parce que l’on réduit les provisions pour pertes alors qu’on devrait les augmenter pour tenir compte de la hausse continue des prêts délinquants, du colossal inventaire caché et croissant dans le logement et bien sûr de la situation catastrophique dans l’immobilier commercial.
Les vrais revenus des banques ne progressent pas. Quand on réduit les réserves et les provisions, il est évident que l’on peut extérioriser des résultats spectaculaires même avec une baisse des revenus.
Mais en contrepartie, il ne faut pas s’étonner si cela choque.
Pour en revenir au marché, après une petite correction, il s’est stabilisé et visiblement il ne demande qu’à repartir. Les attaques contre Goldman Sachs ne sont pas nouvelles. Peut-être vont-elles s’amplifier et se généraliser. C’est la loi du genre, la loi du populisme à laquelle Obama et son Administration sont obligés de sacrifier avec 29% de popularité dans les enquêtes d’opinion dures et avec la perspective des élections de novembre.
Mais les marchés ne sont pas profondément inquiets. Le smart money sait que l’Administration est prisonnière. Elle a fait un choix de sortie de crise qui passe par les banques, elle ne peut que faire semblant de les égratigner; elle a besoin d’elles.
L’analyse pendant le week-end dernier du cas de la SEC contre Goldman Sachs a plutôt rassuré. La diffusion de la réponse de Lloyd Blankfein a fait le reste. On s’est aperçu que le dossier de la SEC n’est pas très solide. La réponse de Blankfein a visé juste. Elle a mis le doigt sur ses points faibles. En droit, Goldman Sachs n’a selon toute vraisemblance pas commis de faute. Le fait que la SEC n’ait pas osé inculper Paulson est révélateur de la faiblessede son dossier. Elle ne peut prouver le «Scheme» c’est à dire le montage, le plan, l’entente pour tromper les acheteurs de CDO. La SEC doit prouver que Goldman Sachs a trompé ACA, le collateral manager, sur le rôle de Paulson (vendeur et non pas acheteur), ce qui sera loin d’être facile, compte tenu de ce qui a été divulgué de l’affaire et du contenu du communiqué de Blankfein. Les marchés jouent Goldman vainqueur contre la SEC.
Bien entendu, nous sommes mauvaisesprits. Nous ne sommes pas loin de penser que la SEC et le gouvernementsont en train d’offrir, certainement malgré eux, à Goldman Sachs et à ses dirigeants, une très bonne occasion de se blanchir.
Et peut-être même une très bonne occasion d’améliorer leur situation en terme d’image. On aurait tort de sous-estimer l’imbrication, la symbiose entre l’Administration américaine et Goldman Sachs.
Une sorte de connivence conflictuelle entre les deux. Les modes de pensée sont les mêmes, les objectifs sont identiques, mais cela n’empêche pas les escarmouches et les conflits limités car chacun a ses contraintes et des comptes à rendre.
Mais le monde politique n’est qu’élu tandis que Goldman, lui, accomplit l’oeuvre de Dieu, «God’s work», n’est-ce pas?_
«We are doing God’s work»
L’affirmation de Blankfein «we are doing God’s work» fait sourire les commentateurs. Pour notre part, nous la prenons très au sérieux. Nous saisissons l’occasion, pour être honnête, le prétexte, de l’affaire en cours pour y revenir.
C’est très souvent que Lloyd Blankfein emploie un vocabulaire religieux pour caractériser l’activité et le rôle de son établissement. Passons sur ce trait de caractère bien compréhensible; Lloyd Blankfein a coutume de dire qu’il est infaillible. Comme Dieu.Passons, car ce n’est pas l’essentiel.
L’oeuvre de Dieu que le patron de Goldman Sachs décrit est la suivante:
«we help companies to grow by helping them to raise capital. Companies that grow create wealth.This, in turn, allows people to have jobs, we have a social purpose». Plus loin, «we have to tolerate the inequality as a way to achieve greater prosperity and opportunity for all». Plus loin encore pour revenir dans le religieux, «profit is not satanic».
En deux mots, les banques ont un rôle social, elles créent des richesses et des emplois. Les inégalités sont un mal nécessaire dont tout le monde profite.
Quiconque connaît les Etats-Unis sait à quel point la religion y est importante et à quel point elle soustend les choix économiques et sociaux. Lloyd Blankfein accomplit l’oeuvre de Dieu en ceci qu’il met en pratique avec une efficacité exceptionnelle les principes, les règles du système telles qu’elles résultent de l’ordre divin. Et on peut ajouter, de cet ordre qui, malgré Obama et le rejet de Bush, est encore la règleaux Etats-Unis. Le fait que la finance soit complexe,qu’elle soit obscure, qu’elle soit pleine de mystères ne peut que bien sûr faciliter et renforcer l’analogie avec la religion. Et Blankfein le sait lui qui se considère comme l’un de ses plus grands prêtres.
Mardi 19, au beau milieu des critiques et des attaques alors que l’Union Européenne, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, s’interrogent sur l’opportunité de poursuites contre Goldman Sachs, le grand prêtre nous montre une fois de plus que la main de Dieu n’a rien perdu de son pouvoir: Goldman Sachs annonce un doublement de son profit au premier trimestre 2010 par rapport à celui du premier trimestre 2009. (BBZ)
BRUNO BERTEZ Agefi avril10
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