Jean Pierre Petit : Quid des taux longs américains?
Leur récente remontée a suscité des craintes. Très excessives.
La récente remontée des taux longs aux Etats-Unis a suscité des craintes excessives de la part des investisseurs.
En fait, cette tension reflète d’abord une probable remontée du taux réel (moindre sur-épargne désirée qu’au moment du choc Lehman).
Ensuite et surtout, elle révèle une moindre aversion au risque et l’effet de la dégradation anticipée de la solvabilité des Etats ainsi peut-être de la progression des anticipations inflationnistes à la suite de la hausse des prix des matières premières.
De même les anticipations de réévaluation du renminbi ont pu générer des anticipations de moindres achats de bons du Trésor américain.
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Ces anticipations sont probablement excessives et la remontée devrait être modérée dans la mesure où l’inflation restera sous contrôle grâce au caractère laborieux du redressement, au maintien d’un «output gap» négatif et au maintien à un haut niveau du taux de chômage.
Par ailleurs, les taux courts nominaux resteront proches de zéro pendant encore longtemps et la Réserve fédérale n’hésiterait sans doute pas à ré-intervenir (à travers le «quantitative easing») sur le marché obligataire si les tensions étaient trop fortes. Elle sait en effet mieux que quiconque l’extrême sensibilité du marché immobilier aux taux longs.
Et pourtant, le discours est immuable: la hausse des taux d’intérêt est toujours perçue comme une mauvaise nouvelle pour l’économie et les marchés de capitaux.
Car la vision instrumentale du taux d’intérêt l’emporte hélas le plus souvent au profit d’une approche structurelle pourtant plus féconde.
La fonction du taux d’intérêt a toujours été dans l’analyse néoclassique, non pas d’élever le niveau de dépenses ou d’épargne selon les cas, mais de sélectionner les projets d’investissement les plus rentables.
Le taux d’intérêt, comme tous les autres prix doit révéler des choix rationnels et non pas subventionner des activités peu créatrices de valeur.
Dès l’avant guerre, Hayek et les membres de l’école autrichienne mettaient en garde contre les dangers d’un écartement trop élevé du taux d’intérêt de sa pente naturelle.
C’est la raison pour laquelle ils proposaient de privatiser la monnaie afin que les banques soient sanctionnées par le marché lorsqu’elles prêtent à un taux différent du taux naturel.
Toutes les crises que nous avons connues depuis 20 ans ont sanctionné des excès de liquidités et des phases de sur ou mal investissement: bulles immobilières de la fin des années 80, crise japonaise de la décennie 90, crise des pays émergents en 1997-98, krach boursier en 2000-2002, grande crise de 2007-2009 qui a sanctionné les taux bas à l’origine de la bulle immobilière et du crédit.
D’un point de vue «hayekien», la faillite des banques centrales et des autorités publiques aura donc été complète.
La considérable baisse des taux au cours des années 2000 a été d’une efficacité économique structurelle douteuse et contestable au plan social.
Belle allocation des ressources que celle qui a vu ainsi les pays émergents financer le déficit public américain, qui lui-même s’expliquait par les baisses massives d’impôts au profit des ménages les plus aisés, de la guerre en Irak et de la réforme de Medicare en faveur des seniors américains.
En permettant aux États de financer «sans pleurs» leur déficit, la baisse des taux, si elle est excessivement prolongée, favorise l’immobilisme institutionnel et la préservation des rentes de toutes sortes.
Pour les investisseurs, elle contribue à occulter systématiquement les risques.
L’échec aujourd’hui flagrant de la zone euro s’explique pour une part par une baisse inconsidérée et injustifiée des taux longs en Europe du Sud, qui n’a que trop favorisé les bulles immobilières et le financement sans contraintes des Etats.
Au fond, une baisse injustifiée des taux longs n’aboutit qu’à brouiller les choix, réduire l’horizon temporel des décideurs et favoriser, in fine, un certain gaspillage du capital.
Il est temps de quitter la vision utilitariste du taux d’intérêt et lui redonner sa véritable fonction de révélation des préférences.
JEAN-PIERRE PETIT Economiste et Stratégiste de marché avril10
BILLET PRECEDENT : Jean Pierre Petit : Trappe à Dettes / Au tour de la France (cliquez sur le lien)
A NOTER :
COMMENTAIRE : Face à des investisseurs moins gourmands pour les dettes publiques, les États-Unis se trouvent contraints d’emprunter à des taux des plus en plus élevés pour financer un déficit public qui prend déjà des proportions abyssales. Entre autres signes, le rendement du bon du Trésor à dix ans a fait le 5 avril une brève incursion au-dessus de la barre des 4%.
Il s’était installé durablement sous ce niveau depuis août 2008, n’ayant effectué que quelques incursions en juin dernier au dessus de ce seuil. Au plus fort de la crise financière, en décembre 2008, ce taux était tombé sous les 2,1%. Face au succès que remportait cet actif, considéré comme l’un des plus sûrs sinon le plus sûr au monde, le gouvernement pouvait se permettre d’offrir un faible retour, finançant la relance à bas coût.
La reprise économique, a priori une bonne nouvelle, est l’un des facteurs qui font remonter ce taux. Les investisseurs se détournent du marché des obligations d’État au profit d’investissements plus risqués, comme les actions. Mais le retour du bon à plus de 4% est aussi intervenu en pleine tempête autour des difficultés de la Grèce à financer sa propre dette….
Sur le marché immobilier: Les taux sur les prêts hypothécaires ont reculé pour la première fois depuis cinq semaines. Ils ont été de 5,07% en moyenne lors de la semaine finie le 15 avril par rapport à 5,21% lors de la semaine précédente et 4,81% au même moment de l’année dernière.
EN COMPLEMENT : Jean Pierre Petit : Faut-il craindre une remontée des taux longs? (cliquez sur le lien)
j’aimerais avoir les coordonnées de jean-pierre petit.
Il me semble l’avoir connu.
Merci et à bientôt.