Le déficit irlandais frôle les 12%, l’économie a fortement ralenti, le gouvernement cherche à redresser la barre sans aide extérieure.
Le Premier ministre irlandais, Brian Cowen, n’a pas la cote. D’après un sondage publié fin mars dans le “Sunday Business Post”, le chef du gouvernement de centre-droit en place depuis mai 2008 ne convainc plus que 3 Irlandais sur 10.Les Irlandais reprochent à leur premier ministre Brian Cowen d’avoir entraîné le pays au bord de la faillite.
Pas étonnant dans un pays touché de plein fouet par la crise et associé aujourd’hui à des États comme le Portugal ou la Grèce après avoir fait office de modèle économique. L’économie du “Tigre celtique”, dopée jusque-là par des crédits faciles (surtout dans les secteurs de la construction et de l’immobilier), des pratiques bancaires douteuses et des impôts plancher, fut la première de la zone euro à entrer dans la récession. Et çà, les Irlandais ne le pardonnent pas à Cowen, lui qui fut ministre des Finances dans le gouvernement précédent, celui de Bertie Ahern, et qui porte donc à leurs yeux une lourde part de responsabilité dans les malheurs que connaît aujourd’hui l’Irlande.
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“Les Irlandais n’ont jamais pensé que c’était à la France ou à l’Allemagne de leur venir en aide, contrairement à ce qui s’est passé en Grèce. Estimant que le pays était seul à devoir régler ses problèmes, au risque de faire faillite, ils ont compris qu’il fallait prendre des mesures énergiques pour s’en sortir. Et ils n’en veulent pas au gouvernement pour cela”, explique John FitzGerald, responsable de la recherche économique au sein de l’Institut irlandais de recherche économique et sociale. “Par contre, ils reprochent à Cowen de les avoir emmenés là où ils sont”, constate l’économiste irlandais.
Au final, le PIB irlandais s’est contracté de 7,1% en 2009 (après une baisse de 3% déjà en 2008), un record. Et le gouvernement qui n’attend pas d’embellie conjoncturelle avant le deuxième trimestre 2010, table encore sur une contraction de 0,25% du PIB cette année.
Sur le front des finances publiques, cette chute aux enfers s’est traduite par un déficit abyssal de 11,7% du PIB irlandais l’année dernière. Le gouvernement s’attend à enregistrer un déficit comparable cette année (11,6%). La Commission européenne, plus pessimiste encore, voit, elle, le déficit atteindre 14,7% en 2010.
Austérité forcée
Alors que d’autres dans la zone euro pouvaient se payer le luxe de laisser filer leurs déficits budgétaires pour donner un coup de pouce à leur économie, le Premier ministre irlandais a dû serrer la vis en réduisant les dépenses publiques au pire moment. Cette austérité s’est surtout traduite par une baissede 15% du traitement des fonctionnaires irlandais depuis mars 2009. Il faut dire qu’ils avaient le privilège plutôt unique de jouir de salaires moyens plus élevés que leurs confrères du secteur privé.
Le gouvernement Cowen s’est également montré beaucoup plus sélectif dans ses investissements publics depuis le début de la crise. Il va maintenant se concentrer davantage sur le volet “recettes” des finances publiques irlandaises. Il a déjà augmenté l’impôt sur les revenus, mais le gros reste à faire. L’assiette imposable, particulièrement étroite en Irlande, sera ainsi graduellement élargie.
Première mesure à avoir été prise à cet égard: l’introduction, en décembre dernier, d’une taxe carbone touchant la consommation d’essence et de diesel. À partir du mois prochain, elle sera étendue au kérosène et au LPG.
Le gouvernement envisage également la réintroduction d’un impôt foncier, probablement en 2011, après avoir supprimé dans les années nonante les deux impôts qui touchaient à la propriété. Il compte aussi facturer à l’avenir les ménages irlandais pour leur consommation d’eau courante, gratuite depuis 1997.
Sauvetage des banques
Notons que le vaste plan de sauvetage des grandes banques irlandaises dévoilé il y a peu par le ministre irlandais des Finances, Brian Lenihan, ne pèsera pas sur le déficit budgétaire du pays étant donné qu’il n’est pas repris dans les dépenses publiques.
Les contribuables irlandais sentiront toutefois passer la pilule. La NAMA, la “bad bank” mise sur pied par le gouvernement pour racheter les crédits immobiliers pourris des grandes banques, va racheter un premier bloc de crédits d’une valeur de 16 milliards d’euros avec une décote de 47%, ramenant son “achat” à un coût de 8,5 milliards d’euros. Mais au total, elle pourrait reprendre jusqu’à 81 milliards d’euros de crédits (en valeur nominale). “Les contribuables devront rembourser cet achat pendant au moins dix ans”, estime FitzGerald.
Une tare de plus pour des Irlandais alors que les premiers résultats tangibles de la politique d’austérité entamée l’année dernière se feront attendre, tant la crise économique est profonde. Le déficit public ne retombera en effet pas sous les 3% du PIB (limite fixée dans le Pacte de stabilité européen) avant 2014.
Pour FitzGerald, le gouvernement Cowen a globalement pris les mesures qui s’imposaient dans son budget 2010 et dans le plan de stabilité qu’il déposait en décembre dernier devant les instances européennes. Ces dernières ont pourtant fait la grimace, le Conseil de l’UE et la Commission européenne estimant que les autorités irlandaises devaient faire preuve de plus d’austérité, en piochant notamment du côté des pensions.
“Mais les autorités européennes font toujours cela, elles font peur aux gouvernements, puis une fois qu’elles voient qu’ils prennent des mesures, elles relâchent un peu la pression”, explique l’économiste irlandais. Et de fait, après avoir exigé de l’Irlande qu’elle entre dans les clous du Pacte de stabilité dès 2013, “une requête irréaliste” d’après FitzGerald, la Commission européenne lui a laissé jusqu’à 2014 pour se mettre en ordre. Entre-temps, le gouvernement Cowen s’était engagé à réduire ses dépenses publiques de 4 milliards d’euros en 2010 et à maintenir le pays sur une voie budgétaire particulièrement austère en 2011…
Les entreprises intouchables
Pas question, toutefois, de toucher au régime fiscal favorable dont jouissent les entreprises basées en Irlande, avec un taux d’impôt des sociétés de 12,5% à peine. “La question n’est pas du tout débattue”, constate FitzGerald. Et pour lui, elle ne doit pas l’être. “Depuis son introduction, dans les années 90, ce taux s’est avéré bénéfique pour l’économie irlandaise. Rien ne justifierait aujourd’hui de le relever”, estime l’économiste. Et de fait, un tel relèvement risquerait de pousser de nombreux investisseurs étrangers à aller voir ailleurs. Ce serait une catastrophe pour l’économie irlandaise, même si certaines entreprises étrangères ont déjà franchi le pas, comme Dell qui a délocalisé une partie de ses activités irlandaises vers la Pologne en 2009.
Catherine Mommaerts
source echo avril10
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