Pour les économistes, la crise grecque révèle des déséquilibres majeurs
Les solutions apportées seront sans doute bien insuffisantes pour remédier aux problèmes structurels de la zone euro.
L’Union européenne a laissé filé les déficits ces dernières années et en paie aujourd’hui le prix fort. La crise des dettes publiques menace de se propager via les banques européennes. Au-delà d’une aide ponctuelle de la BCE ou des Etats membres, la zone euro doit être repensée, peut-être même à travers une intégration politique et fiscale.
PLUS DECONOMIES EN SUIVANT :
LE JOURNAL DES FINANCES. Que révèle la crise de la zone euro ?
MATHILDE LEMOINE, économiste chez HSBC :
La crise actuelle remet les pendules à l’heure. Pour être « positifs », beaucoup voulaient croire que l’utilisation des politiques budgétaires et monétaires pour soutenir la croissance ne pouvait pas avoir de conséquences négatives. Or, si les plans de relance et les politiques de taux d’intérêt zéro ont permis de limiter la récession, ils peuvent engendrer de nouveaux problèmes sans gommer les anciens. Les déséquilibres courants américain et chinois persistent, mais, maintenant, il faut aussi gérer la sortie de ces politiques monétaires et budgétaires ultra-expansionnistes ainsi que la surchauffe asiatique. La crise grecque rappelle qu’il ne suffit pas d’accroître les dépenses publiques pour faire de la croissance, ce que la plupart des pays de la zone euro avaient oublié, à l’exception de l’Allemagne, de la Finlande et de l’Autriche.

La crise grecque a jeté le discrédit sur toute la zone euro. Les pays sont désormais regardés au cas par cas. Le Royaume-Uni est également surveillé.
SYLVAIN BROYER, économiste chez Natixis :
La crise grecque est une crise de liquidité, que la gouvernance européenne a laissée se développer.
La très forte croissance des dettes publiques est liée à la fois à des déficits structurels déjà élevés avant la crise, à la récession, au sauvetage des banques et aux plans de relance.
En Grèce, la situation est plus précaire, puisque le taux d’imposition y est inférieur de 10 points de PIB à celui des autres pays européens, et cela n’a jamais changé depuis l’adhésion à l’euro. Pourtant, le pacte de stabilité aurait dû contraindre la convergence des budgets. Mais il n’a aucun pouvoir coercitif. Les règles de la zone euro ont été bafouées jusqu’ici. Il est extrêmement confortable d’en être membre ! Eurostat sait pertinemment depuis 2001 que les comptes grecs sont totalement faux, et l’Union européenne en était avertie. Cela ne l’a pas empêchée de laisser faire. La BCE est aujourd’hui la seule institution européenne efficace.
On voit que le marché fait la distinction entre la crise de liquidité grecque et la crise économique au Portugal et en Espagne. Les CDS de ces pays ne devraient donc pas s’envoler au même niveau que ceux de la Grèce.
Mais il y a contagion financière. Elle s’opère par les portefeuilles obligataires des banques et assureurs européens. La note souveraine des titres espagnols a été abaissée, celles des banques espagnoles l’ont été aussi.
Les banques européennes sont obligées de provisionner les pertes, ce qui érode leurs fonds propres. Si cela continue, la liquidité va à nouveau poser problème. Souvenons-nous que pendant la crise des subprimes les banques devaient montrer leur bilan pour essayer de se financer à trois mois sur les marchés interbancaires. Les pertes potentielles peuvent être une menace pour la stabilité des banques européennes.
TRES FORTE AUGMENTATION DU COUT DES CDS SUR LES DETTES SOUVERAINES ET DETTES FINANCIERE EUROPEENNE
MATHILDE LEMOINE :
Les Etats vont venir au secours des pays en difficulté. La BCE pourrait aussi intervenir sur le marché secondaire de la même façon qu’elle a mis en place son programme de rachat de covered bonds.
Monétarisation de la Dette européenne : prêt pour le grand saut ??? (cliquez sur le lien)
Mais, attention, on ne fait que repousser la résolution de déséquilibres majeurs. C’est un peu comme un canard sans tête qui continuerait d’avancer. On sait que la croissance structurelle dans la zone euro est plus faible en raison de sa démographie et de ses moindres investissements en recherche-développement. Il faut peut-être accepter une croissance un peu plus faible pendant plusieurs années pour participer aux rééquilibrages mondiaux, à condition bien sûr de revoir la répartition des richesses.
Alain Madelin : La BCE a commencé à transformer l’euro en drachme (cliquez sur le lien)
SYLVAIN BROYER :
Plusieurs solutions s’offrent à la BCE pour sauver la situation. Mais, à la différence de toutes les banques centrales au monde (sauf la Chine), la BCE n’a pas l’obligation explicite d’être prêteur en dernier ressort. Elle peut choisir de ne rien faire. La crise grecque rend donc nécessaire un changement juridique des textes de l’Union. Etant donné qu’on est dans une zone monétaire déjà autofinancée, l’irrationalité des marchés et des agences requiert un fédéralisme fiscal. Le blocage est avant tout politique, car la mise en commun des recettes fiscales suppose que les hommes politiques acceptent de les partager avec des populations qui ne les élisent pas. C’est là où bute actuellement l’intégration européenne. Une Union monétaire sans pilotage politique tend à renforcer les spécialités productives d’un pays par le jeu des avantages comparatifs. Les Chinois et les Brésiliens préfèrent acheter des voitures allemandes. Qu’à cela ne tienne, laissons faire des voitures aux Allemands et occupons-nous, en France, de la finance et des services aux entreprises. Dans ses mémoires écrites il y a trente ans, Jean Monnet écrivait que l’euro n’était pas une fin en soi mais un véhicule qui nous conduit vers l’intégration politique et la paix en Europe.
ALEXANDER LAW, économiste chez Xerfi :
Nous sommes en effet obligés de recourir aujourd’hui à des rustines. Il fallait des règles. On a laissé s’instaurer un déficit discrétionnaire, et à présent on a perdu toute crédibilité. Personne ne peut maintenant croire à de nouveaux objectifs de rigueur. Toutefois, je ne crois pas à des spécialisations nationales, qui créeraient des tensions salariales très inégales, selon que la spécialité est échangeable ou non. Car la libre circulation du travail, qui permet une harmonisation des salaires, est théorique. Une politique monétaire commune serait alors très compliquée car les chocs seraient complètement asymétriques.
LE JOURNAL DES FINANCES. Compte tenu du contexte actuel, où faut-il investir ?
SYLVAIN BROYER :
Pour un investisseur, il faut envisager la zone monétaire européenne comme le Japon. C’est une zone monétaire qui est autofinancée. Elle n’a pas de déficit courant alors qu’il y a des écarts énormes entre ses membres, comme la Grèce, qui a 15 % du PIB de déficit courant depuis Platon – son adhésion à l’Union monétaire n’a jamais rien changé -, et les pays chroniquement en surplus, tels l’Autriche, les Pays-Bas et l’Allemagne. La moyenne de tous ces pays s’équilibre, ce qui veut dire que ce sont bien les pays de la zone euro qui se financent entre eux sans grande aide extérieure. On voit d’ailleurs que dans la crise grecque l’euro contre le dollar est très résistant, la faiblesse de la monnaie unique ces derniers mois étant due au décalage cyclique avec les Etats-Unis.
De toute façon, il ne faut pas attendre de forts rendements des papiers obligataires souverains de la zone euro, dont la croissance économique est faible. Il faut plutôt privilégier les actions des entreprises européennes de consommation qui font une part importante de leur chiffre d’affaires dans les marchés en forte croissance, en particulier en Amérique latine et dans l’Asie émergente. Il y a dans ces pays des effets de rattrapage et la création d’une classe moyenne, et pas de crise de la dette.
ALEXANDER LAW :
Il y a en effet une hiérarchie économique qui paraît aujourd’hui immuable, avec en tête de liste l’Asie émergente et l’Amérique latine, avec par exemple le grand retour en force de la consommation des ménages brésiliens. Les Etats-Unis ont affiché une robuste croissance en fin d’année dernière, et, après une dégradation de l’emploi en mars, le dernier indice du Conference Board reflète un solide retour de la confiance. Mais quand on a mis autant d’argent sur la table, la moindre chose que l’on puisse faire, c’est de s’offrir 2 % de croissance ! Enfin, vient la zone euro, qui aura une croissance molle cette année, après la pire crise économique depuis 1945. Les Allemands ont tout intérêt à préserver la zone euro, où ils font l’essentiel de leur surplus commercial. Espérons que la déstabilisation de la zone euro au regard des investisseurs extérieurs soit un épiphénomène. Et ce d’autant que les sommes en jeu sont ridicules : le PIB de la Grèce est de 240 milliards d’euros, contre 2.000 milliards pour la France. Ce qui serait plus ennuyeux, ce serait une crise en Espagne, qui ne représente pas 2 % mais 9,5 % du PIB. Obliger l’Espagne, qui compte aujourd’hui 20 % de chômeurs et dont les ménages sont lourdement endettés, à adopter une politique d’austérité beaucoup trop rigoureuse serait dramatique pour le pays. L’horizon de trois ans pour revenir à des comptes publics sains paraît très déstabilisateur.
Beat Kappeler : Un coup de bluff calamiteux (cliquez sur le lien)
MATHILDE LEMOINE :
On parle beaucoup de l’Europe, mais les Etats-Unis sont également dans une situation délicate. La Fed a acheté de nombreux actifs titrisés immobiliers, ce qui affaiblit tendanciellement le dollar. Les pays émergents ont de leur côté des économies très déséquilibrées, même si leur croissance sera durablement supérieure à celle des pays développés, compte tenu de l’effet rattrapage. La politique monétaire de taux zéro de la Réserve fédérale alimente ces zones en capitaux qui créent ainsi des bulles d’actifs, notamment dans l’immobilier. Il faut donc faire attention partout. Avec les politiques monétaires et budgétaires menées actuellement, il n’est plus possible d’identifier les prix fondamentaux des actifs.
Charles Gave : La crise de la Zone Euro est loin d’être terminée (cliquez sur le lien)
Classement des taux à 10ans au 5 mai
TABLE RONDE ANIMÉE PAR CAROLINE MIGNON | JDF HEBDO | 07.05.2010
EN COMPLEMENT : Grèce: comment éviter la contagion
Juan Flores, maître assistant au département d’histoire économique à l’Université de Genève, explique que depuis un siècle les Etats en défaut de paiement provoquent un effet de cascade
Andréas Hofert : Comment la crise grecque remet en cause l’ensemble de la zone euro (cliquez sur le lien)
Implications de la contagion grecque à l’échelle européenne (cliquez sur le lien)
Les marchés financiers ne parviennent pas à se rééquilibrer. Au contraire, une nouvelle vague de volatilité semble menacer la fragile récupération de l’économie mondiale. Les regards se tournent vers Bruxelles, Paris et Berlin, où la Grèce devrait trouver du réconfort. La propagation de la crise grecque semble inévitable. Les marchés se demandent quelles entités financières seront les plus touchées. Allons-nous vers un nouveau Lehman Brothers? Ou, pire encore, le cas grec serait-il seulement le début d’une nouvelle étape de la crise actuelle, qui cette fois menacerait les Etats directement?
Alors que certains pensaient entrevoir la lumière au bout du tunnel, le débat public semble de plus en plus dominé par des voix pessimistes.
En effet, la crise a affecté les finances publiques des Etats en deux étapes.
D’abord, les revenus ont diminué avec la chute de l’activité économique.
Ensuite, les dépenses ont augmenté de façon permanente, d’autant plus que certains Etats ont utilisé des programmes de relance pour sauver leurs économies et limiter l’augmentation du chômage. La pression sur les finances publiques des Etats augmente le risque de défaut (la cession des paiements de la dette). Les crises de dette souveraine, comme on les appelle dans le jargon économique, semblent faire leur come-back. A la différence des trente dernières années, la menace semble peser non seulement sur des pays en voie de développement, mais aussi sur des pays développés. En Europe, l’Irlande, le Portugal et l’Espagne apparaissent comme des candidats potentiels pour rejoindre le club des pays aux relations plus conflictuelles avec leurs investisseurs, comme l’Argentine ou la Roumanie.
Indépendamment de la résolution finale de la dernière tragédie grecque, la question qui nous occupe concerne les effets sur la crise économique internationale.
L’histoire nous dit qu’effectivement, les défauts de dette souveraine arrivent souvent par vagues.
Le mécanisme est le suivant:
un défaut durcit les conditions des marchés financiers internationaux. En conséquence, les pays dont les finances publiques sont faibles font face à de plus grandes difficultés pour emprunter. Enfin, dans une situation de dépression économique et de déficits budgétaires croissants, la solution la moins coûteuse dans le court terme devient la cession des paiements. L’histoire nous fournit plusieurs exemples de périodes de défauts «contagieux», le plus notoire étant celle des années 1930. Mais elle n’est pas la seule. Ainsi, la décennie allant de 1890 à 1900 fut une période pénible pour les finances publiques et les marchés de dette souveraine.
Après une décennie de folie dans les années 1880, l’Argentine fit défaut en 1890, suivie par l’Uruguay en 1891, le Portugal en 1892, la Grèce en 1894, et ainsi de suite jusqu’au défaut brésilien de 1898. La résolution des difficultés grecques avait passé par un soutien de l’Angleterre et de la France, qui demandèrent en échange un dur programme d’ajustement budgétaire. Ce genre de prêts soumis à des conditions économiques n’était pas exceptionnel.
L’Argentine et le Brésil ont dû également accepter des conditions imposées par des banques d’investissement anglaises en échange de soutien financier. Dans l’ensemble de la décennie des années 1890, les flux de capitaux internationaux chutèrent et ne reprirent qu’au début du XXe siècle. Ce qui vint après fut un final heureux pour l’économie mondiale. La croissance économique reprit et le commerce et les investissements augmentèrent jusqu’à la Première Guerre mondiale. Bien sûr, ce dénouement n’est pas allé sans exceptions. Pour le Brésil l’histoire a plutôt mal fini, et le pays eut besoin d’un nouveau programme d’ajustement de ses finances en 1914.
Devons-nous nous attendre à une nouvelle vague de défauts?
Un concept utile pour expliquer la propagation des crises financières est celui de la «contagion».
Les économistes parlent de contagion lorsqu’un défaut de dette souveraine ou plus généralement une crise financière affecte des pays tiers, même ceux qui ne semblent pas être directement liés au pays en crise.
On peut citer des exemples récents, comme le défaut mexicain de 1994, qui a affecté des pays d’Amérique latine, d’Asie, et d’Europe de l’Est ou la crise asiatique de 1997 qui s’est propagée depuis la Thaïlande vers d’autres pays émergents, et pas uniquement dans cette région d’Asie.
La contagion peut avoir deux explications, dépendant des perceptions des investisseurs sur le risque de défaut dans les autres pays.
Un pays qui subit des problèmes financiers depuis quelques années ne présente aucun élément de surprise. Donc, si les investisseurs anticipent un défaut comme fort probable, l’événement aura de faibles effets sur d’autres pays et se limitera aux pays qui partagent le même type de faiblesses dans leurs économies. Par contre, un pays qui entre en défaut sans que les investisseurs l’aient anticipé peut provoquer un nouveau contexte de volatilité et d’incertitudes ainsi que la retraite générale de capitaux vers des pays avec des actifs financiers plus sûrs (par exemple les francs suisses).
La Grèce peut encore devenir l’épicentre d’un séisme plus ou moins fort dans le monde financier. L’évolution de la situation dépendra fortement de l’agilité avec laquelle l’Union européenne et le FMI agissent. Pour les autres Etats, les effets à moyen terme semblent cependant limités. Les pays à plus ou moins haut risque – que cela s’avère vrai ou non – sont déjà bien identifiés (la Roumanie, le Portugal ou l’Argentine pourraient rejoindre la Grèce). Mais les autres Etats sont déjà avertis. Cela donnera plus d’arguments aux partisans du rétablissement de l’équilibre budgétaire et l’arrêt ou la diminution progressive des programmes de relance. Si la politique et les marchés financiers l’emportent, plusieurs pays décideront donc d’améliorer l’état de leurs finances, ce qui aura dans certains cas des effets de ralentissement sur la reprise économique.
Cependant, le problème affectera davantage les institutions financières à cause de leur exposition aux obligations des pays en difficulté. Néanmoins ces dernières semblent savoir gérer ces risques de façon indépendante. En d’autres cas, et sans plus de réformes du système financier mondial, il y aura toujours l’argent du contribuable pour les sauver.
Dimanche 9 mai 2010 :
Londres refuse de participer à un Fonds d’urgence européen.
La Grande-Bretagne refuse de participer, en y apportant sa garantie, au Fonds d’urgence envisagé pour aider les pays de la zone euro en difficulté, a indiqué dimanche une source diplomatique britannique à l’AFP. «Nous ne voulons pas participer à un Fonds de secours européen», a souligné cette source.
Les ministres des Finances des 27 pays de l’Union européenne doivent se réunir à partir de 15h00 (13h00 GMT) pour discuter d’un projet de mise sur pied d’un «Fonds de stabilisation de la zone euro» visant à octroyer des prêts de l’Union Européenne aux pays utilisant la monnaie unique qui seraient en difficulté.
L’idée de départ était que la Commission européenne puisse emprunter jusqu’à 70 milliards d’euros, en bénéficiant de la garantie de tous les pays de l’Union européenne, y compris ceux comme la Grande-Bretagne qui n’utilisent pas l’euro, puisqu’il s’agit d’un mécanisme de l’UE, selon des sources diplomatiques.
Pour valider un tel dispositif au niveau de toute l’UE, il faudrait l’approbation d’une majorité qualifiée suffisante des 27 ministres européens qui se réunissent à Bruxelles.
Le refus de Londres d’y participer pourrait contraindre la zone euro à se rabattre sur un mécanisme de prêts garantis par les seuls pays utilisant la monnaie unique, une option également à l’étude.
http://www.20minutes.fr/article/403317/Monde-Londres-refuse-de-participer-a-un-Fonds-d-urgence-europeen.php
Cette fois, c’est sûr : la zone euro va exploser.
Et peut-être même plus tôt que ce que l’on pensait.