Etats-Unis

Un travail de Sisyphe pour réduire le rôle de Wall Street

 Les banquiers décident-ils des lois qui les gouvernent?

PLUS DE BANKSTERS EN SUIVANT :

«L’existence d’un tel pouvoir est irréconciliable avec la nature et l’esprit de nos institutions.» Cette accusation du rôle des banquiers n’est pas tirée du dernier discours de Barack Obama. Elle date du début des années 1830 lorsque le président américain Andrew Jackson s’en était pris au patron de la plus grande banque de l’époque, la Second Bank. Lorsque aujourd’hui Washington s’en prend à Goldman Sachs, il n’innove donc guère. Si, au début du XXe siècle, Theodore Roosevelt s’était emparé du problème des trusts, c’est Franklin Roosevelt qui entreprit la réforme la plus sévère en 1933 et tint les discours les plus incendiaires.

Certains chiffres illustrent le pouvoir économique des banques. En 1983, Citibank était la première banque américaine avec 114 milliards de dollars d’actifs ou 3,2% du PIB. Quinze ans plus tard, neuf institutions avaient une plus forte part du PIB américain. L’an dernier le bilan de Bank of America représentait 16,4% du PIB, celui de JP. Morgan 14,7% et Citigroup 12,9%.

Les grandes banques ont presque retrouvé les bénéfices d’avant la crise en continuant de soigner leurs relations avec le pouvoir.

Dans les années 1990, les tentatives de réforme ont été d’autant plus aisément repoussées que l’innovation financière a été salutaire pour l’économie. Mais la crise a jeté un froid. Le citoyen n’accepte plus l’idée selon laquelle ce qui est bon pour Wall Street est bon pour l’Amérique.

Dans un nouvel ouvrage* sur ce troublant tissu de relations entre les capitales politique et financière, Simon Johnson accuse 13 banquiers. Les cibles de l’auteur, ce sont les banquiers à qui s’est adressé Barack Obama en mars 2009 pour leur signifier qu’ils étaient dans le même bateau que lui. La coopération n’avait guère duré. En septembre, lors du fameux discours d’Obama sur son projet de réforme, aucun banquier n’avait daigné se déplacer. Et lorsque les mois suivants, les bonus se sont envolés, la confiance l’a suivie.

Tout a pourtant changé. Si en France, depuis Beaumarchais, «tout finit par des chansons», aux Etats-Unis tout finit devant les tribunaux. Aujourd’hui Goldman Sachs est directement accusé par la SEC, les autorités de surveillance bancaire, de ne pas avoir fourni les informations nécessaires à deux singuliers acheteurs de CDO, une filiale hollandaise d’un sujet de la couronne britannique (RBS) et une filiale d’une banque publique allemande (IKB). Il aurait fallu indiquer la contrepartie.

Le combat juridique s’annonce terrible: A ma droite, Goldman Sachs, l’élite de la banque d’investissement, qui a toujours compté quantité d’anciens employés dans les rouages de l’Etat et qui a largement profité du sauvetage d’AIG. Une banque qui a mieux anticipé que d’autres l’éclatement de la bulle et qui tire 80% de ses revenus du trading et de ses investissements propres. Un groupe dont l’éthique est mise en cause, mais qui plaide son innocence.

A ma gauche, l’Etat américain, qui contrôle 90% du crédit hypothécaire américain, selon Gerald O’Driscoll, l’ancien vice-président de la Réserve fédérale de Dallas.

 L’Etat qui, par le Congrès, a fait le forcing pour que les banques octroient des crédits aux plus pauvres («subprime»). Un Etat qui, par sa banque centrale, a de longues années causé de vastes distorsions aux taux d’intérêt du marché, les portant à un niveau ridiculement bas. L’Etat, du parlement à la Fed, plaide l’innocence.

Curieux hasard, la plainte de la SEC survient au moment où le Sénat vote sur la réforme bancaire. Il est temps que la justice fasse son travail dans la sérénité et que les principes de base soient rétablis. Mais il nous semble que le modèle appliqué par Goldman avec le CDO Abacus réduit la valeur informative du prix. Or les recherches sur la crise ont montré que les prix ne reflétaient plus les choix des consommateurs. Pas seulement sur ce CDO. Ce n’était plus une économie de marché, mais un capitalisme de copinage, une économie du mensonge, selon Gerald O’Driscoll. On respectait certes la lettre de la loi, mais le concept de l’image fidèle (true and fair) s’est effiloché au fil des années. Les taux hypothécaires, subventionnés par la Fed, ne reflétaient pas non plus la réalité.

Trop de politiciens et de banquiers ont cassé la confiance du public.

 Plutôt qu’une alternative au capitalisme, mieux vaut permettre au système de prix de jouer sa fonction de mécanisme de transmission de l’information. C’est lui qui pendant des décennies a permis la croissance économique. Parce qu’il ne reposait pas sur les prix pour allouer les ressources, le communisme était promis à la chute, avait annoncé le libéral Ludwig von Mises dès les années 1930.

Il faut donc entrer dans les projets de réforme avec un autre instrument que la quête d’une alternative au capitalisme.

La boussole employée par le groupe d’experts suisses est la bonne. Mieux vaut une loi claire et précise, telle qu’un relèvement des fonds propres et des règles de liquidité, qu’une incursion politique dans les modèles d’affaires. Il ne faut pas que l’Etat se mette à la place de l’entrepreneur.

Le projet Obama comporte trop d’éléments idéologiques et redistributifs. Au nom de la protection du consommateur, il ajoute une couche administrative et oblige les entrepreneurs qui créent une start-up à demander une autorisation à la SEC avant de chercher un business angel.

Il faut éviter que le système de prix soit encore plus troublé et s’éloigne encore davantage de l’économie de marché. Les projets d’imposition doivent être lus avec cette même boussole.

* «13 Bankers: The Wall Street takeover and the next financial meltdown», Simon Johnson,
Edit. Pantheon, 2010, 320 pages.

Par Emmanuel Garessus le temps mai10

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