Libéralisme

Les embouteillages égalitaires par Beat Kappeler

Les embouteillages égalitaires par Beat Kappeler

  

La troisième voie des autoroutes réservée à ceux qui paient un peu plus? Cette initiative parlementaire de certains représentants de l’UDC suisse , dont son président Toni Brunner, est inadmissible du point de vue libéral. Par Beat Kappeler

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La troisième voie des autoroutes réservée à ceux qui paient un peu plus? Cette initiative parlementaire de certains représentants de l’UDC, dont son président Toni Brunner, est inadmissible. Elle est inadmissible d’un point de vue libéral de la société. Une interprétation libérale superficielle pourrait cependant faire admettre ce rachat de la rareté. Car sur les marchés on se procure ce que l’on souhaite et on est préparé à en payer le prix. Et si le prix est plus élevé, le sujet économique va se démener pour gagner l’argent nécessaire, ce qui en plus stimule la croissance économique pour tous. Les parlementaires UDC invoquent encore l’argument que l’on paie aussi le prix fort pour une meilleure nourriture, pour voyager avec les CFF en première classe, pour séjourner dans une chambre privée à l’hôpital.

Mais sur les autoroutes nous sommes en présence d’une rareté monopolistique. Le volume de l’offre est définitif, la demande supplémentaire ne le fait pas augmenter. On rationne son utilisation en roulant en file dans les embouteillages. Ainsi plusieurs principes chers à une société républicaine et libérale sont respectés. On est égal devant le temps et le temps ne connaît pas de hiérarchie de pouvoir d’achat. Ensuite, dans toutes les files de rationnement devant une offre inflexible, le premier venu est le premier servi (first in, first out). Celui-ci écope d’une prime, comme le participant futé ou matinal sur un marché l’obtient aussi. Et finalement, les utilisateurs des deux autres voies subventionneraient la troisième par leurs impôts et redevances. Car les représentants UDC parlent de 300 francs seulement pour la super-vignette. D’autres recommandent des prix différenciés de vignettes ou de tickets de train pour les heures de pointe. C’est une solution plus juste, cela vaut pour tout le monde à ces heures, et les queues restent l’ultime juge.

Car la file d’attente est ressentie comme une distribution juste, devant la caissière, à la poste, devant un musée, avant une manifestation sportive. Même si on peut se payer un siège plus confortable, au stade ou dans un train, le volume à disposition est soumis au régime de la queue. Et le temps de la représentation ou du trajet est néanmoins égal pour tout le monde.

On a appris à rendre les files d’attente plus supportables. Il y a de véritables techniques. Prenons la poste. Au lieu de soumettre les clients au hasard des guichets bloqués par des clients compliqués, on fait une seule file. Elle abaisse l’attente pour tout le monde en moyenne. En plus, on distribue des numéros, ce qui permet aux clients de bouger. Avant ces modernisations, il fallait recourir à des précautions, par exemple ne jamais se tenir à 17 heures derrière une jeune fille portant un sac. C’étaient les stagiaires d’avocats avec trente envois recommandés à enregistrer…

On peut différencier les files d’attente, comme au Colisée de Rome: la queue pour l’entrée est énorme, mais il y a une deuxième queue pour l’exposition spéciale qui, elle, est courte. Ou comme devant le Musée des arts modernes de New York, qui organise une deuxième file pour ceux qui montrent un billet d’avion partant la même semaine.

Il est impératif d’annoncer à l’avance si un guichet, ou une caisse, va fermer. On doit servir encore tout le monde qui est en train d’attendre. Sinon, les émotions des administrés vont bon train, à juste titre.

Dans le socialisme réel d’antan, une conception de l’égalité devant le temps un peu spéciale avait cours. Soudain, les caissières ou les employés fermaient le guichet, affichant un carton avec l’inscription «pause». Le droit du travailleur à son temps était alors imposé au prix multiple du temps des clients qui attendaient.

Les nouvelles formes de communication peuvent, à notre époque, relâcher un peu le diktat égalitaire des queues. Souvent, on peut choisir entre faire la queue physiquement et commander des tickets par Internet. Ou l’on peut s’acheter un abonnement de théâtre. On peut adhérer à une association qui dispose d’un quota de sièges. Ce sont des formes admissibles de contournement de la file, car ouvertes à tous. Ou bien ouvertes aux fidèles, aux assidus.

Je vous souhaite un bel été, et si vous êtes pris dans un embouteillage, jubilez, vous pratiquez l’égalité devant le temps.

source le temps juil10

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