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Konrad Hummler/Banque Wegelin : Commentaire d’investissement no 272 du 23 aout10

Konrad Hummler/Banque Wegelin : Commentaire d’investissement no 272 du 23 aout10

Konrad Hummler. Associé-gérant de la banque Wegelin, le Saint-Gallois est un banquier atypique. (Keystone)

Le commentaire très attendu de l’oracle de Saint Gall est désormais disponible , à consommer sans modération  

Trop gros pour ne pas faire faillite 

Nervosité et perplexité règnent sur les marchés financiers. Au lieu de résoudre les importants problèmes structurels, les plans de relance des Etats n’ont fait que les renforcer. Le Commentaire d’investissement Wegelin examine la probable persistance des taux bas et, dans ce contexte, émet des recommandations pour l’investisseur…Extraits et lien :

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La perplexité: phénomène d’actualité

Dans son Commentaire d’investissement intitulé «Trop gros pour ne pas faire faillite», le directeur de Wegelin&Co fustige la courte vue de certains acteurs du marchés.

(…) Lorsque des axiomes ou quasi-axiomes sont remis en cause, lorsque des questions de finalité se posent et que de très nombreux paramètres évoluent d’une manière «inédite», il ne faut pas s’étonner si l’un des baromètres de tendance les plus en vue, à savoir la bourse, tangue et roule comme un bateau sans quille ni gouvernail et dont les voiles se seraient déchirées. La désorientation que les marchés des actions montrent depuis quelques mois a mis bon nombre d’opérateurs à rude épreuve; et de leur côté, les commentateurs redoublent d’explications surinterprétées à propos d’événements confinant à l’insignifiance.

Les statistiques soi-disant si mauvaises en provenance des Etats-Unis en sont la dernière illustration. Bien sûr qu’il y a énormément de choses négatives à dire sur l’économie américaine, qu’il s’agisse de la persistance d’un chômage élevé, du non-assainissement de la situation sur le marché immobilier ou encore du creusement exorbitant de l’endettement public. Mais en l’occurrence, il n’y a là rien de très nouveau. Si quelques indicateurs, dont la variation trimestrielle du PIB par exemple, voient maintenant leur progression s’essouffler légèrement après s’être rapidement propulsés hors de la récession de 2008- 2009 (ce qui était parfaitement prévisible pour l’observateur objectif) et que ce simple fait suffit à provoquer la crainte d’un plongeon dans une nouvelle récession, c’est le signe d’une nervosité exacerbée. Double dip, «double creux» en français: tel est le mot d’ordre depuis quelques semaines. Mais la fébrilité est mauvaise conseillère; quiconque prétend déceler les retournements de tendance dans la deuxième dérivée pourrait bien se retrouver très souvent abusé par les fluctuations naturelles et l’oscillation des statistiques.

Non, la conjoncture n’a pas lieu de susciter des interrogations majeures, ni aux Etats-Unis, ni en Europe. Ceux qui ont basé directement leurs prévisions économiques sur la rapide reconstitution des stocks dans l’industrie (après le déstockage quasi instantané qui a suivi la panne majeure du commerce mondial survenue dans le sillage de la crise financière) ont tout simplement fait fausse route. Et ceux qui ont fondé leurs estimations bénéficiaires futures directement sur les résultats des entreprises dopés par la reprise, se sont franchement rendus coupables d’euphorie excessive. En clair, le scénario du «L incliné» que nous redoutions – soit une évolution conjoncturelle plutôt poussive sur les deux à trois prochaines années – semble se matérialiser progressivement pour les nations industrielles occidentales. L’Allemagne, et avec elle le soi-disant miracle de son industrie d’exportation: ici non plus, la surinterprétation donnée à une situation spécifique n’est pas indiquée. A l’échelle européenne, les statistiques dressent bel et bien le portrait d’une économie avançant au ralenti. Tout cela pour dire que la perplexité et la versatilité extrême des marchés boursiers n’apparaissent pas vraiment justifiées au regard des questions conjoncturelles.

Le ver se cache dans le domaine structurel: c’est là que la perplexité se révèle plus que légitime. Commençons par le système bancaire tel qu’il se présente au sortir de la crise financière. Jusqu’où a-t-il été assaini? D’un point de vue nominal, la situation ne semble pas si mauvaise – la profitabilité s’est nettement redressée, même auprès des établissements fortement ébranlés par la crise. La taille des bilans, comme ceux d’UBS ou de Citigroup par exemple, a été sensiblement réduite, et la situation au plan des fonds propres s’est améliorée dans une même mesure. So far, so good. Soit, mais le système bancaire remplit-il pour autant sa fonction économique dans les pays industrialisés occidentaux? Curieusement, le marché du crédit est pour ainsi dire au point mort, malgré l’approvisionnement en liquidités extrêmement avantageux fourni par les banques centrales (lequel, soit dit en passant, explique en partie la faiblesse des taux du marché monétaire dans toutes les principales monnaies). En d’autres termes, les banques n’assument quasiment pas leur rôle de «courroies de transmission» entre les banques centrales et l’économie réelle ou, dit d’une manière encore plus tranchante, elles sont restées dans une situation dysfonctionnelle depuis la crise financière. La Problématique? La masse monétaire M3, un agrégat qui n’est plus guère calculé par la banque centrale (pourquoi donc?) mais fait l’objet d’un suivi par quelques têtes pensantes, est toujours en chute libre aux Etats-Unis, tandis que les réserves excédentaires de la Fed conservent un niveau record.

On pourrait évidemment jeter la pierre à l’économie réelle, qui génère de toute évidence une demande de crédit trop modeste, en objectant que l’on ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif. Mais le peu d’empressement à investir est vraisemblablement le reflet du manque de propension au risque noté du côté des banques. Cette attitude de part et d’autre est des plus singulière pour ne pas dire déconcertante, au vu des taux d’intérêt nominaux très bas et des taux réels peutêtre même négatifs qui prévalent. Le ver doit se loger en profondeur, sans quoi il y a bien longtemps qu’une course à l’investissement et au crédit se serait amorcée…

Taux d’intérêt bas, apport record de liquidités, «assouplissement quantitatif» (synonyme d’approvisionnement direct en capital par les banques centrales), mise au placard des «stratégies de sortie» (autrement dit, fin de ces mêmes programmes d’assouplissement quantitatif): d’après la théorie monétaire courante, il y a un bon bout de temps que des pressions inflationnistes auraient dû apparaître! Perplexité donc également du côté des Cassandre d’inspiration monétariste: l’inflation est tombée au plus bas de part et d’autre de l’Atlantique, et aucun rétrécissement de l’offre ne se profile sur les marchés des biens, en raison des gains de productivité réalisés dans les marchés émergents entre autres. C’est comme si les faits donnaient raison à l’économiste keynésien émérite Galbraith, qui brocardait tout récemment encore les mises en garde à l’encontre des conséquences négatives d’une politique monétaire et budgétaire stimulante à l’extrême (The Economist, 12.08.2010, p. 60). Pour mémoire, TARP, le programme de relance du gouvernement américain, se montait à USD 700 milliards. Une enveloppe supplémentaire d’USD 800 milliards de dollars a vu le jour par la suite avec l’American Recovery and Reinvestment Act of 2009 (ARRA). Parallèlement à cela, le bilan de la Réserve fédérale est passé de 943 milliards en 2008 à 2’368 milliards en 2010, à des fins de rachat d’emprunts domestiques. Et du côté des agrégats européens et japonais, la situation se présente à peu près sous le même jour.

A vrai dire et ce serait là un motif de perplexité supplémentaire, le keynésianisme n’est pas sans susciter lui aussi moult interrogations, même en laissant de côté la question des résultats concrets. Car si tant est que la stimulation monétaire et budgétaire extrême ne s’avère pas dommageable en matière d’inflation, il est malheureusement apparu clairement dans l’intervalle qu’elle n’apporte pas grand chose de bon. Aux Etats-Unis, le chômage atteint toujours 9,5% (et se hisse à près de 20% si l’on prend en compte les salariés à temps partiel qui souhaiteraient un plein temps!), la situation sur le marché immobilier s’est tout au plus stabilisée, et l’élan du «Yes, we can!» ne suscite plus guère qu’un haussement d’épaules résigné.

Malgré le niveau plancher des taux d’intérêt, l’Américain moyen épargne pendant que l’Etat accumule déficit sur déficit. Après avoir été quasi nul pendant de nombreuses années, le taux d’épargne des ménages américains se situe désormais à 6,2%, alors que l’endettement du gouvernement fédéral s’est quant à lui accru de 28,4% depuis fin 2008. En d’autres termes, d’un côté, on pratique une stimulation sans précédent afin de préserver et de promouvoir la consommation, et de l’autre, cet effort de stimulation tombe largement à plat.

USA : il faut combattre le déficit par Martin Feldstein

Perplexité enfin face à la politique monétaire. La stimulation extrême à laquelle se prêtent pratiquement toutes les grandes banques centrales n’est pas critiquée «uniquement» d’un point de vue académique, mais elle est aussi remise en question par des gens du sérail. Ainsi, le rapport annuel de la Banque des règlements internationaux (BRI) consacre un chapitre entier aux conséquences potentiellement négatives de la politique des taux bas (80e rapport annuel BRI, Bâle, juin 2010, page 39 et ss).

BRI :Les dangers de taux bas prolongés

 Il y est question d’allocations micro-économiques inadéquates du côté des entreprises, de distorsions au niveau de l’économie intérieure mais également au plan international, et l’on y redoute notamment que dans leur quête de rendement toujours plus désespérée, les investisseurs en viennent à opérer de dangereuses prises de risque. Reste qu’aucun des esprits critiques ne s’est jamais prononcé sur ce qui serait un niveau de taux correct ou tout au moins approprié lorsqu’il n’y a pratiquement pas de trace d’inflation et que ce sont plutôt les craintes de déflation qui l’emportent. Il est facile de critiquer quand on n’a pas à proposer d’alternatives et à se prononcer sur leurs éventuels avantages et inconvénients… (…)

KONNRAD HUMMLER Wegelin&Co aout10 

EN LIEN :  http://www.wegelin-anlagekommentar.ch/download/medien/anlagekommentar/kom_272fr.pdf

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