Changes et Devises

Trappe à Dettes /Europe : Nous sommes au coeur de la crise…

 Réflexions sur la crise européenne par Guy Wagner

“ How did you go bankrupt ?” Bill asked

Two ways,” Mike said.” Gradually and  then suddenly.”

(Ernest Hemingway : The Sun Also Rises)

Après avoir été relégués à l’arrière-plan par l’anticipation d’un nouvel assouplissement de la politique monétaire américaine, les problèmes de la zone euro ont repris le dessus. Voici quelques réflexions à ce sujet : 

PLUS DE DETTES EN SUIVANT :

– La Grèce et de l’Irlande connaissent un problème de solvabilité et non pas de liquidité. Dans ces pays, le niveau de la dette dépasse tout simplement la capacité du pays à honorer cette dette. Prêter de l’argent à l’Irlande à un taux de 5,82%, tel que décidé par l’Eurogroupe et les ministres des finances de l’Union Européenne le 28 novembre, n’améliore en rien la capacité du pays à rembourser sa dette ;

 “Liquidité et solvabilité. Il y a une nette distinction entre liquidité et solvabilité, bien qu’elle paraisse floue en période de crise aiguë. La liquidité consiste à s’assurer qu’il y a assez de financement disponible pour ceux qui en ont besoin en période de stress, alors que la solvabilité est liée à la viabilité économique. Trichet a repris recemment cette distinction en estimant que les gouvernements étaient seuls responsables de leur crédibilité, car ils peuvent assurer la solvabilité de l’Etat et du système bancaire. A cet égard, la BCE semble adopter la théorie de Bagehot consistant à prêter des montants quasiment illimités aux banques viables à des taux d’intérêt commerciaux. “ 

– Un problème de solvabilité ne se résout pas en ajoutant encore davantage de dette. Une entreprise surendettée a en gros 3 choix : procéder à une restructuration de sa dette, se recapitaliser  ou augmenter sa capacité à honorer sa dette en augmentant son cash-flow. Pour un pays, ce dernier point équivaut à enregistrer une croissance nominale plus élevée que le taux d’intérêt qu’il paie sur sa dette. Ce faisant, le pays réduit son ratio dette publique/Produit Intérieur Brut (P.I.B.) et entre dans un cercle vertueux. A l’inverse, si le taux payé sur la dette est supérieur au taux de croissance du P.I.B., le pays entre dans un cercle vicieux. Aujourd’hui, l’Allemagne est dans un cercle vertueux, l’Europe du Sud et l’Irlande dans un cercle vicieux ;

– Le fait que les pays d’Europe du Nord arrivent à se financer à des taux avantageux (en partie d’ailleurs grâce à la crise) alors que ceux du Sud et l’Irlande doivent payer des taux de plus en plus élevés renforce encore l’écart de compétitivité entre ces deux régions. Cet écart est dû à l’évolution divergente des coûts salariaux (ajustés pour les gains de productivité) dans ces régions et constitue le principal défi pour la survie de l’euro dans sa forme actuelle. L’évolution divergente des coûts salariaux s’explique quant à elle par le fait que les pays du Sud n’ont pas utilisé les taux bas dont ils avaient hérité lors de l’introduction de la monnaie unique pour procéder à un assainissement des finances publiques ou à des investissements productifs. Ces taux bas ont par contre entraîné un phénomène de surconsommation et une forte hausse des prix immobiliers ;

– Pour redevenir compétitifs, ces pays ne peuvent plus procéder à une dévaluation de leur monnaie puisqu’ils font partie de l’euro. Le rééquilibrage devrait dès lors se faire par les coûts salariaux. Ces derniers devraient progresser nettement moins vite dans le Sud que dans le Nord. Etant donné qu’ils ne progressent pratiquement pas dans le Nord, ils devraient carrément baisser dans le Sud. Un tel ajustement est douloureux et impliquerait une diminution drastique du niveau de vie. Il n’est pas certain qu’il soit toléré par la population ;

– Les mesures d’austérité budgétaire généralement recommandées par des organisations comme le FMI ne fonctionnent pas dans la situation actuelle. La réduction des dépenses publiques et l’augmentation des impôts ont pour effet de réduire la croissance économique et donc les recettes fiscales, entraînant une aggravation du déficit budgétaire et donc la nécessité de procéder à de nouvelles mesures d’austérité et ainsi de suite. Par le passé, un pays qui traversait une crise provoquée par un surendettement ou un système bancaire affaibli pouvait la résoudre à travers des mesures d’austérité budgétaire, une dévaluation de sa monnaie et en profitant d’une forte croissance internationale. Aujourd’hui le problème du surendettement, de la fragilité du secteur bancaire et d’une croissance trop faible est généralisé dans les pays industrialisés. Dans un tel contexte, austérité budgétaire à large échelle sans possibilité de dévaluation s’apparente à du suicide économique ;

Pour l’Irlande le problème provient en grande partie du secteur financier. La récente crise irlandaise a été provoquée par l’augmentation du coût de sauvetage des banques irlandaises. La volonté du pays de ne pas laisser tomber ses banques, devenues beaucoup trop grandes par rapport à la taille du pays, a fait exploser le déficit budgétaire irlandais. L’Islande a pris la décision inverse. Elle a décidé de laisser tomber ses banques dont les dettes équivalaient à plus de 10 fois le Produit Intérieur Brut du pays. L’Islande traverse actuellement une récession sévère mais le pays commence à voir le bout du tunnel, aidé aussi par une forte dévaluation de sa monnaie. Tel n’est pas le cas pour l’Irlande qui enregistre un taux de chômage supérieur à 13 % (selon l’OCDE, il devrait plafonner à 8,1 % en Islande) et qui constate aujourd’hui déjà la fuite de  cerveaux ;

“L’électrochoc islandais mieux que la perfusion irlandaise

Reykjavik a annoncé hier sa sortie de récession. La stratégie de mise en faillite des banques semble être gagnante.

L’Islande, qui a annoncé hier être sortie de la récession, pourrait selon des économistes avoir finalement mieux géré sa crise qu’un pays comme l’Irlande endetté jusqu’au cou pour empêcher une chute de ses banques.

Les deux économies, florissantes au milieu des années 2000, ont toutes les deux subi le contre-coup de la tourmente financière à deux ans d’écart: l’Islande lors de l’effondrement de ses trois grandes banques en octobre 2008, l’Irlande cet automne lorsque la garantie d’Etat aux banques a fini par mettre les finances publiques exsangues.

Mais Reykjavik a été contraint, vue la taille disproportionnée de ses banques, de jouer l’électrochoc de la faillite plutôt que de les placer sous perfusion financière, comme l’a fait Dublin.

«Cette différence a entraîné à elle seule un résultat très différent entre les deux pays», souligne Tryggvi Herbertsson, professeur d’économie à l’Université de Reykjavik et conseiller de l’ancien premier ministre Geir Haarde.

«L’Irlande est maintenant surendettée et son système bancaire structurellement fragile. La différence avec l’Islande, c’est que notre système bancaire est propre. Une fois que la dette a été effacée, nous avons un système bancaire sain, alors qu’en Irlande il est cassé», estime-t-il.

«L’Irlande a été orthodoxe et responsable: garantie des dettes, austérité sauvage pour en payer le coût et évidemment, maintien dans l’euro. L’Islande a été hétérodoxe: contrôle des capitaux, forte dévaluation, et beaucoup de restructuration de la dette», souligne-t-il. «Et devinez quoi: l’hétérodoxie marche bien mieux que l’orthodoxie», assène-t-il.

L’île volcanique de 320.000 habitants vient de sortir de la récession pour la première fois depuis fin 2008, et selon les dernières estimations de la Commission européenne, le déficit public islandais devrait être de 6,3% du PIB cette année, alors que l’Irlande va afficher un trou exorbitant de 32% du PIB, dont 20% liés au soutien de ses banques.

Conséquence: la dette irlandaise va d’un coup approcher les 100% du PIB, dépassant celle de l’Islande, et le pays a demandé une aide de 85 milliards d’euros à l’Union européenne et au Fonds monétaire international (FMI).

Premier pays à être submergé par la tempête financière de 2008, l’Islande, déjà hors UE et hors euro, était initialement promise à occuper le rôle de paria économique de l’Europe.Mais depuis, d’autres pays européens en mauvaise posture ont eu besoin d’aide: la Lettonie puis surtout la Grèce et l’Irlande dans la zone euro, la menace planant désormais sur le Portugal. La récession, bien que douloureuse avec son lot d’émigrations, de nouveaux pauvres et de saisies immobilières, s’est révélée «moins lourde que prévue», comme l’écrit le FMI dans son dernier rapport sur l’Islande.

«La dévaluation de la couronne, qui a rendu les exportations islandaises plus compétitives, a été un facteur important pour limiter la récession islandaise», souligne Paul Krugman.«Je pense que cela nous a aidé durant cette période d’avoir eu la couronne plutôt que l’euro», opine le ministre islandais des Finances, l’eurosceptique Steingrimur Sigfusson.

Le rebond islandais, malgré une bonne croissance de 1,2% au troisième trimestre, devrait néanmoins rester modeste, selon les dernières prévisions officielles.Après une lourde récession de 6,8% en 2009, l’économie islandaise devrait encore reculer de 3% cette année avant de renouer avec une croissance limitée de 1,9% en 2011.” 

D’une manière générale, il devient d’ailleurs de plus en plus difficile de distinguer les pays de leurs banques. Le raisonnement devient circulaire : d’un côté, on ne peut pas demander aux détenteurs des emprunts grecs, irlandais ou autres de participer à une restructuration de la dette parce que ces détenteurs sont souvent des banques allemandes, françaises ou autres qui enregistreraient des pertes importantes en cas de restructuration, mettant en péril le système financier mondial. De l’autre, la vulnérabilité du secteur bancaire risque de mettre à contribution les finances publiques et augmente ainsi le problème de la dette publique et la possibilité d’une restructuration de cette dette dans certains pays ;

Dans une situation de crise, toute perte de crédibilité des autorités est dangereuse et risque de créer un phénomène de « self-fulfilling prophecy » (anticipant un défaut, les investisseurs vendent/n’achètent plus les emprunts d’un pays ce qui entraîne une augmentation du coût de financement du pays et provoque le défaut anticipé). Leur crédibilité est aujourd’hui entamée : les banques irlandaises qui sont à l’origine du dernier épisode de la crise avaient passé le « stress test » en été, l’Irlande était censée participer au sauvetage de la Grèce, et les annonces du 28 novembre ne semblent pas réalistes.

Dans un récent papier, Dylan Grice, l’excellent stratégiste de la Société Générale, montrait que le comportement des hommes politiques européens face à la crise de l’euro correspond au comportement que l’être humain a traditionnellement tendance à adopter lorsqu’il est confronté à un événement imprévu et hors de son contrôle : 

nier qu’il y a un problème,

nier que le problème est important,

nier que le problème nous concerne, respectivement que nous en sommes responsables.  

Chart

Image: Societe Generale

Il importe de noter que la remontée des taux obligataires dans des pays comme l’Espagne ou le Portugal n’est pas due aux « spéculateurs » mais aux ventes (respectivement au non-achat) d’investisseurs qui traditionnellement détenaient les emprunts de ces pays. La raison d’être d’un emprunt d’Etat en tant que classe d’actif est d’offrir à l’investisseur une grande sécurité et liquidité, une faible volatilité et une corrélation négative avec les actifs à risque. Les emprunts de certains pays de la zone euro n’offrent plus ces attributs et perdent dès lors leur base naturelle d’investisseurs (fonds de pension, compagnies d’assurance, etc. .) ;

Depuis que le plan de sauvetage de la Grèce a été annoncé en mai, le taux à 10 ans en Allemagne a reculé de 10 points de base (0,10%) alors qu’il a augmenté de 50 points de base en Italie, 110 points de base en Espagne et au Portugal, 320 points de base en Irlande et 360 points de base en Grèce. Ces taux n’existent pas dans un vacuum mais représentent le coût auquel ces pays devraient se financer (pour la dette à long terme) s’ils devaient faire appel au marché (ce qui sera à nouveau le cas au plus tard en 2013 lorsque le fonds de stabilisation se termine). La remontée des taux longs dans les pays d’Europe du Sud et l’augmentation du coût de la couverture contre un défaut de paiement (CDS) de ces pays montre que les investisseurs n’ont pas confiance dans leur capacité à honorer leur dette;

La survie de l’euro dans sa forme actuelle dépend en grande partie de l’Allemagne. Tant que le pays estime que les avantages de l’euro dépassent les inconvénients, il sera prêt à faire les efforts requis pour le maintenir. Le problème est que les inconvénients pourraient rapidement gagner en importance : si l’Allemagne garantit (ou fait semblant de garantir) la dette des pays à problèmes, la qualité de sa signature diminuera et son coût de financement augmentera (depuis octobre, nous assistons à une forte remontée des taux obligataires allemands à long terme). De plus, l’Allemagne enregistre à l’heure actuelle une croissance robuste et de nombreuses entreprises ont annoncé des augmentations salariales pour l’année prochaine.  L’Allemagne étant traditionnellement très sensible à tout risque inflationniste, le maintien d’une politique de taux d’intérêt très bas par la Banque centrale européenne (afin d’aider les pays du Sud) dans une telle situation pourrait à terme créer des problèmes ;

Il a toujours été dit que l’euro était une construction politique plutôt qu’économique. Il se peut que la crise actuelle conduise à une plus grande intégration politique et à une sorte de fédéralisme fiscal.  La zone euro deviendrait alors une grande famille où chacun prend soin de l’autre (et assume les dettes de l’autre). D’une façon ou d’une autre, ceci signifiera que le contribuable d’Europe du Nord sera mis à contribution pour sauver l’Europe du Sud plutôt que pour recapitaliser les banques de son propre pays en cas de restructuration de la dette du Sud. Pour les gouvernements d’Europe du Nord, ceci sera politiquement très difficile à faire passer ;

Les discussions actuelles sur une sorte de mutualisation des émissions de dettes publiques vont dans cette direction. Elles constituent une suite logique par rapport à la décision de l’Eurogroupe du 28 novembre de réduire le statut d’un emprunt d’Etat à celui d’un emprunt subordonné : “In all cases, in order to protect taxpayers’ money, and to send a clear signal to private creditors that their claims are subordinated to those of the official sector, an ESM loan will enjoy preferred creditor status, junior only to the IMF loan.” En d’autres mots, un pays ayant reçu un prêt officiel du Fonds Monétaire International ou dans le cadre du ESM (European Stability Mechanism) devra d’abord rembourser ce prêt avant de rembourser ses emprunts d’Etat. Cette décision fait qu’à l’avenir, le risque pour les détenteurs de ces emprunts de ne pas être remboursé à 100% augmentera. Ceci ne fera rien pour faciliter la capacité des pays à problèmes à se financer dans le marché à des conditions acceptables ;  

 

A moins d’arriver à un mécanisme de transfert fiscal, il est difficile de voir comment on pourrait à la fois conserver l’euro dans sa forme actuelle, éviter une restructuration de la dette de certains pays, protéger les banques et proposer aux Grecs, Irlandais, etc. une solution qui leur permette de venir à bout de leurs problèmes. Quitte à essayer, il faudrait à mon avis tenter de briser la problématique ‘pays – banques’ dont j’ai parlé au septième paragraphe. Ceci passera par une recapitalisation des banques considérées comme étant systémiquement importantes. Dans le contexte actuel, le secteur privé refuserait à mon avis de participer à une telle recapitalisation, du moins à grande échelle. Ce serait donc aux gouvernements d’injecter les capitaux nécessaires en instaurant par exemple un fonds dont l’objectif serait de recapitaliser les banques à problème de la région (pourquoi à l’heure actuelle l’Irlande est-elle forcée de sauver seule ses banques alors qu’une faillite de ses banques ferait beaucoup plus de dégâts en dehors de lIrlande qu’à l’intérieur du pays ?). Il me semble qu’un tel fonds ferait plus de sens que le Fonds Européen de Stabilité Financière (EFSF – European Financial Stability Fund) qui a récemment été mis en place pour soutenir les pays en difficultés de la zone euro. Une fois les banques recapitalisées, on pourrait réfléchir à comment restructurer la dette de certains pays ;

En fin de compte, les avantages du maintien de l’euro devront être comparés au coût des solutions nécessaires pour le sauver. Accabler les générations futures avec une dette énorme uniquement parce qu’un éclatement de la monnaie unique est ‘politiquement inconcevable’ n’est pas acceptable…

Guy Wagner Banque du Luxembourg mardi 07 décembre 2010

EN COMPLEMENT : Vers une aide internationale pour l’Europe?

La Grèce, l’Irlande et les autres pays en crise paient des taux d’intérêt insupportables

La Banque centrale européenne (BCE) a calmé le jeu jeudi. Elle a prolongé son dispositif pour assurer la liquidité aux banques ainsi que son programme de rachat de dette des pays en difficulté de la zone euro, notamment de l’Irlande et du Portugal.

Les places financières européennes ont par conséquent pris des couleurs jeudi et vendredi. Mais il ne s’agit que d’un emplâtre sur une jambe de bois. La moindre mauvaise nouvelle ne manquera pas de susciter de nouvelles frayeurs et de faire grimper les taux d’intérêt qu’exigent les investisseurs.

Le pire est à craindre

Les quatre pays malades – Grèce, Irlande, Portugal, Espagne – se soignent déjà à coups de remèdes de cheval. Pourtant, force est de constater que leur état de santé restera précaire pendant plusieurs années. Pire, la contagion pourrait s’étendre à d’autres pays (Italie, France, Belgique, Hongrie).

“Huit banques hongroises dégradées

L’agence de notation Moody’s a abaissé ses notes de dette et de dépôt de huit banques hongroises mardi après avoir abaissé la note souveraine de la Hongrie lundi. 

“L’abaissement était nécessaire pour que les notes de dette et de dépôt de huit banques hongroises reflètent la dégradation de la dette souveraine hongroise de Baa1 à Baa3 avec une perspective négative, qui a été annoncé le 6 décembre”, a annoncé Moody’s dans un communiqué. Sont concernées la banque OTP, la banque hypothécaire OTP Jelzalogbank, Erste Bank, MKB, K&H, FHB, MFB et Budapest Bank. Les dégradations passent pour la plupart de Baa1 à Baa2 ou Baa3.  Moody’s ajoute cependant que ces notes ne reflètent pas la force financière de ces banques, dont les notes BFSR (Bank Financial Strength Ratings) n’ont pas été modifiées.”

  Autrement dit, c’est la spirale de la dette et une dépendance accrue sur les marchés pour se refinancer. Ces derniers donnent déjà le tournis à de nombreux pays, qui doivent payer des taux d’intérêt insupportables, proches des 10%. A ces taux, c’est l’insolvabilité garantie.

Comment dès lors casser cette dépendance aux marchés intéressés surtout par un rendement sur les investissements? Les dirigeants européens ont déjà répondu à la question. En mai dernier, ils ont créé le Fonds européen de stabilisation (FES). Mais celui-ci doit aussi se financer sur les marchés. Dans le cas de la Grèce, les pays de la zone euro, aidés par le Fonds monétaire international (FMI), ont concocté un plan d’aide bilatérale de 110 milliards d’euros. L’Irlande, elle, a bénéficié d’un prêt de 35 milliards du FES. Ce dernier doit lancer une première émission de 2 milliards ces prochains jours. Les marchés souscriront-ils à cette émission? A quel taux? A voir. Devant l’éventualité d’un renversement de gouvernement à Dublin en janvier et du refus de nouveaux dirigeants de respecter les engagements pris avec Bruxelles et le FMI, le pire est à craindre.

Une alternative aux marchés des capitaux existe. Elle consiste justement à les éviter. Il s’agit d’alimenter le FES – il est question de le transformer en un Fonds monétaire européen – par des emprunts bilatéraux.

La Chine et ses réserves

«Lorsqu’UBS avait besoin de se recapitaliser, elle est allée chercher des fonds à Singapour. HSBC a sollicité les pays du Golfe. L’Europe, elle, peut faire appel à la Chine ou à d’autres pays ayant des réserves pour financer son fonds de secours, explique Jan Poser, analyste de la banque Sarasin à Zurich. C’est ce qui va se passer si les marchés ne se calment pas.» Tokyo, Pékin et Séoul détiennent déjà des obligations européennes. Le Royaume-Uni, la Finlande et la Suède, qui ne font pas partie de la zone euro, viennent au secours de l’Irlande.

Un autre phénomène peu courant pourrait aussi pousser les Européens à avoir recours aux crédits bilatéraux. «Le marché pourrait lui-même décider de ne pas participer aux émissions souveraines, poursuit Jan Poser. Il a montré des réticences récemment dans plusieurs cas.»

«Des pays comme la Chine pourraient en effet aider à financer l’Europe, un partenaire commercial indispensable, pour qu’elle ne s’effondre pas», ajoute pour sa part Michel Juvet, économiste en chef à la banque Bordier. Il s’agit de prêter à son débiteur pour que ce dernier continue à importer des produits chinois.» C’est certes un jeu dangereux: les risques augmentent en même temps que les créances. Mais, là, c’est aux Chinois de calculer et d’assumer les risques.

L’Europe peut aussi avoir recours à l’assouplissement quantitatif, à l’instar des Etats-Unis.

 Mais, au préalable, elle doit contraindre. Par ailleurs, elle doit prendre au sérieux l’idée de «haircut» proposée par la chancelière allemande, Angela Merkel. Celle-ci estime que les investisseurs privés doivent aussi assumer leur part de responsabilité dans la crise. Il est clair que cette solution comporte des risques pour le secteur bancaire.

Cela passe par un défaut de paiement et la négociation pour de nouvelles conditions de remboursement ou de rééchelonnement de la dette. Il est évident que les investisseurs ne vont pas aimer cette perspective, mais des précédents en Argentine et en Equateur montrent qu’ils savent s’adapter à cette exigence.

La solution qui consiste à contourner les marchés n’exclut en rien la nécessité des réformes structurelles et du redressement des finances publiques. De toute manière, les créanciers chinois ou autres formuleraient la même exigence.

Par Ram Etwareea/LE TEMPS dec10

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  Nous sommes au coeur de la crise par Kenneth_Rogoff

L’Europe n’est pas en train de sortir de la crise. Il lui faudra pour cela procéder à d’autres plans de sauvetage, mais surtout passer par une inévitable restructuration de ses dettes.

 Maintenant que l’Union européenne et le Fonds monétaire international se sont accordés pour fournir une enveloppe de 67.5 milliards d’euros à l’Irlande en soutien à son secteur bancaire en difficulté, la crise de la dette de la zone euro arrive-t-elle enfin à son terme ?

Malheureusement, non. En fait, nous n’en somme probablement qu’à mi-chemin de la crise. Bien sûr, une soudaine poussée de croissance pourrait encore résoudre tous les problèmes de dette de l’Europe – et d’autres pays, d’ailleurs. Mais ce scénario de rêve semble de plus en plus improbable. Le dernier round comprendra sans doute une nouvelle vague de restructuration des dettes européennes, comme celles qui conclurent la crise de la dette latino-américaine dans les années 1980.

Pour commencer, il fait s’attendre à de nouveaux plans de sauvetage, avec le Portugal en tête de liste.

 Avec un taux de croissance moyen de 1% depuis dix ans, et l’un des marchés du travail les plus sclérosés qui soit, il est difficile de voir comment le Portugal pourrait s’extraire du poids de la dette.

Ce poids comprend à la fois la dette publique intérieure (due par l’État) et la dette extérieure (due par l’ensemble du pays à des prêteurs étrangers). Les Portugais affirment à juste titre que leur situation n’est pas aussi grave que celle de la Grèce, qui est elle soumise à l’équivalent économique de soins intensifs. Mais le niveau d’endettement du Portugal reste néanmoins très préoccupant d’un point de vue historique (sur la base de recherches effectuées conjointement avec Carmen Reinhart). Avec un scénario de base d’une récession ou d’une croissance anémique couplée à une austérité budgétaire pour de nombreuses années à venir, il est probable que le Portugal fera tôt ou tard la demande d’une aide extérieure.

Le cas de l’Espagne est plus compliqué.

 Le gouvernement central est sans doute solvable, ce qui ne semble pas être le cas de plusieurs municipalités et établissements bancaires espagnols. La grande question dans ce cas est de savoir si le gouvernement central sera prêt, comme en Irlande, à assumer la dette privée (et municipale). A nouveau, l’histoire n’incite pas à l’optimisme. Il est très difficile pour un gouvernement central de rester sur la ligne de touche quand des acteurs clés de l’économie sont au bord de la faillite.

Mais le renflouement éventuel du Portugal et de l’Espagne n’est que la prochaine étape – pas nécessairement finale – de la crise. En fin de compte, des restructurations importantes de la dette publique et /ou privée seront nécessaires dans tous les pays endettés de la zone euro. Les plans de sauvetage du l’UE et du FMI ne sont après tout que des mesures provisoires : même des prêts à taux préférentiels doivent être remboursés un jour ou l’autre.

Confrontés à une croissance atone avant même l’adoption de mesures d’austérité, ces quatre pays européens doivent s’attendre à une décennie perdue comme celle qu’a connue une grande partie de l’Amérique latine dans les années 1980. La renaissance du continent et sa croissance dynamique actuelle ne sont intervenues qu’après des réaménagements considérables des dettes des pays de la région dans les lignes du plan Brady. De telles restructurations sont le scénario le plus plausible en Europe aujourd’hui.

Il semble parfois que le seul chef d’État de la zone euro prêt à envisager la probabilité d’autres restructurations de dettes soit la chancelière allemande Angela Merkel.

 Les Allemands ont été largement critiqués pour avoir dit que l’Europe n’avait pas de mécanisme clair pour faire face à un défaut de la dette souveraine, et qu’un tel mécanisme était nécessaire. Certains experts se plaisent à croire que l’Irlande s’en serait sortie sans dommage sans les déclarations maladroites de l’Allemagne.

Mais cela n’a aucun sens. Avec un endettement privé colossal, un effondrement des prix de l’immobilier et des créances extérieures s’élevant à dix fois le produit national brut (selon la base de données Reinhart-Rogoff), l’Irlande n’avait aucune chance de s’en tirer indemne. Encourager le pourrissement et l’aggravation du problème de la dette en la balayant sous le tapis au moyen d’artifices douteux ne peut qu’aggraver ce problème.

En juillet dernier seulement, les pays de la zone euro ont largement vanté les résultats des tests de stress des banques européennes qu’elles ont presque toutes passés, y compris les banques irlandaises, avec succès. Mais le refus de la réalité est un choix politique imprudent dans la gestion d’une crise financière. Le problème des dettes européennes devrait d’ailleurs être encore gérable – dans la mesure où les réaménagements et restructurations nécessaires sont mis en ouvre.

A cet égard, le sauvetage de l’Irlande est particulièrement déconcertant. Ce que l’Union européenne et le FMI ont réellement fait est de convertir une dette privée en une dette souveraine. Les obligataires privés, les investisseurs et les entités financières qui prêtent aux banques ont pu retirer leurs fonds en masse et les voir remplacés par une dette publique. Les Européens ont-ils décidé que le défaut de paiement souverain est plus facile à gérer, ou imaginent-ils que cela n’arrivera simplement pas ?

En nationalisant les dettes privées, l’Europe suit la même voie que les pays d’Amérique latine lors de la crise de la dette des années 1980. Dans ce cas-là aussi, les gouvernements ont « garanti » la dette du secteur privé pour finalement se retrouver en cessation de paiement. Puis, à la mise en ouvre du plan Brady, les créances bancaires furent réduites de près de 30 pour cent, soit quatre ans après le plus fort de la crise.

La plupart des analyses rétrospectives de la crise latino-américaine estiment qu’il aurait mieux valu pour toutes les parties concernées d’avoir entrepris bien plus tôt un réaménagement partiel de la dette. L’Amérique latine aurait pu renouer plus rapidement avec la croissance, et les créditeurs y auraient probablement trouvé leur compte.

Alors que les décideurs européens semblent passer d’un stade de déni à l’autre, il serait peut-être temps d’envisager l’avenir avec un peu plus de réalisme. Comme tout alcoolique en sevrage pourrait leur dire, la première étape est d’admettre, comme Merkel, que l’Europe a un problème.

Kenneth Rogoff

Professeur d’économie et de politique publique à l’Université d’Harvard. Il a été économiste en chef du Fonds Monétaire …

 SOURCE :Project Syndicate, dec 2010 Traduit de l’anglais par Julia Gallin

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Quand viendra le crépuscule par Beat Kappeler

«On dit que les Lydiens ont inventé l’argent. Mais pourquoi en ont-ils inventé si peu?»

 Cette boutade du dramaturge viennois Johann Nestroy est dépassée. Aujourd’hui, on crée de l’argent à tour de bras. Mais qui, au fait? Après la Banque centrale américaine, la Banque centrale européenne vient de continuer ses achats d’obligations des Etats. Par ce biais, les deux instituts d’émission mettent de l’argent nouveau en circulation et maintiennent les taux d’intérêt près de zéro. Cette pratique est significative à l’égard de deux aspects peu discutés.

D’une part, ces mesures permettent désormais de spéculer avec une garantie officielle.

Quand les décisions en question se dessinaient à l’horizon, il était possible d’anticiper la montée des prix des matières premières, de l’or et des actions en général. Flairant une inflation éventuelle, les acteurs se ruent sur les valeurs tangibles. En plus, si l’on ouvre le débit monétaire, les valeurs enflent, c’est presque une loi de la physique. Nous vivons dans un siècle d’or, il faut simplement quitter les marchés avant le crépuscule final, quand l’inflation force l’arrêt de la belle conjoncture, ou quand le deuxième aspect éclatera au grand jour.

Car d’autre part, les banques centrales enflent leurs bilans.

 L’émission monétaire est à leur passif, elles doivent cela au public. A l’actif de leur bilan, il y a les valeurs achetées avec cette manne monétaire nouvelle. Et là, la qualité commence à baisser fortement. Il y avait, avant 1971, de l’or. Il est en grande partie vendu.

 A sa place, aux Etats-Unis, il y a maintenant des paquets d’hypothèques et des obligations de l’Etat endetté jusqu’au cou. Pour l’euro, il y a des dollars ainsi «couverts», des obligations des Etats grecs, portugais, irlandais, et pour des centaines de milliards d’euros de papiers des banques privées de ces pays, ainsi que de l’Espagne. Voilà comment on les soutient, car les créanciers privés ont retiré l’argent. Si quelques pour-cent de ces avoirs dans le bilan de la Banque centrale européenne BCE perdaient leur valeur lors d’une restructuration des dettes (une banqueroute, en clair), le capital propre de l’institut d’émission serait anéanti. Ceci explique la manie de la BCE d’amener les Européens, donc l’Allemagne, à imposer des paquets d’aide à la Grèce, à l’Irlande, et bientôt au Portugal et de leur faire subir vingt années de déflation pour les repayer. La survie de tout le système bancaire et de l’institut d’émission en dépend. Alors, elle va financer, financer, financer. Et les profits dans les actions, stock-options, matières premières sont garantis d’office.

Les seuls milieux qui protestent, sotto voce, sont pourtant ces milieux des investisseurs, surtout anglo-saxons. Ils anticipent la fin dramatique de ce feu d’artifice.

Les manifestants et les critiques de toujours manquent à l’appel: je parle de la gauche. Ils proposent d’entrer dans ce club en faillite virtuelle, l’Union européenne, comme l’écrivait ici François Cherix ). Ou encore, ils se trompent de cible, comme la conseillère nationale des Verts, Adèle Thorens Goumaz, dans ce journal (et dans la même édition). La titrisation serait donc «à l’origine de la crise». Serait-elle donc contre les lettres de gage, ces produits parmi les plus sûrs, couverts par des hypothèques suisses de première qualité? Bien sûr que non, elle se dresse contre les hypothèques titrisées américaines.

Ce n’est donc pas l’instrument qui est faux, mais les hypothèques politisées des Etats-Unis des vingt dernières années, couplées dans ces instruments.

Ensuite, Adèle Thorens veut «un lien personnel entre le banquier» et l’investissement. Elle vise trop bas, car on discute le «narrow banking», à savoir des banques ne prenant plus de dépôts des clients et n’accordant plus de crédits, mais investissant l’argent des clients directement, sans le faire passer par leur bilan. Un tel système est sûr, comme les banquiers privés existants, et il ne crée pas de la monnaie scripturale. Avec ce système, la crise financière n’aurait pas eu lieu. Mais si l’on ne suit pas cette discussion internationale, on patauge dans des nuages roses. Dommage, les temps sont trop sérieux et demandent un vrai changement.

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Le rêve de Deng Xiaoping s’accomplit

Le grand bond en avant de Deng Xiaoping (1904-1997) s’est transformé en grand recul en arrière pour certaines contrées européennes, rappelle Bruno Colmant.

Après un voyage en Asie, une phrase de Montaigne, écrite en 1588, près d’un siècle après la première expédition de Christophe Colomb, revient à l’esprit: “Notre monde vient d’en découvrir un autre”. Un demi-millénaire après la découverte des Amériques qui bouleversa le monde, c’est l’Asie qui capturera désormais la croissance économique. La Chine retrouvera bientôt sa place de première économie mondiale, qui lui avait échappé au milieu du 19e siècle. En août 2010, le Chine est devenue la deuxième économie mondiale devant le Japon.

À Hong Kong, tout est calme. Les relents de la crise souveraine européenne sont signalés dans les journaux, mais la Chine ne s’y intéresse que distraitement. Les paquebots glissent silencieusement dans la moiteur du climat tropical, les banques sont prospères et les gratte-ciel s’essayent à se faire mutuellement de l’ombre. La ville est plus propre et mieux ordonnée qu’avant. Le bruit de fond subsiste, mais les iPhones et autres téléphones cellulaires capturent plus souvent l’attention des passants que les vieux trolleys à impériale. Pour peu, on se croirait à Singapour avec ses pelouses fraîchement tondues et ses arbustes parfaitement taillés.

À Shanghai, par contre, le centre du monde s’est déplacé quelques mois pour l’exposition universelle, au sein de laquelle le pavillon belge fut d’ailleurs une merveille. Shanghai, ce sont 20 millions d’habitants. Malgré une population qu’on dit vieillissante, la jeunesse curieuse est omniprésente, en connexion électronique instantanée avec des réseaux infinis de connaissances. Bien sûr, tout n’est pas parfait en Chine dont l’économie reste sous tutelle publique et les inégalités sociales croissantes. Là-bas, on sent que le monde de demain est en vibration. La jeunesse est projetée dans son futur et le pays constate de formidables percées académiques et éducationnelles dans les sciences exactes.

Europe pittoresque

Mais, pour l’Asie, l’Europe, c’est désormais très loin, et surtout c’est vraiment fini. Les anciens colonisateurs anglais, espagnols et portugais sont relégués à des époques oubliées. Alain Minc avait raison quand il craignait que l’Europe devienne, pour les Asiatiques, une pittoresque Suisse, avec des musées en plus.

 Au reste, on peut même s’interroger si les musées resteront des motifs de voyage puisque, surpopulation et coût des transports obligeant, les chinois commencent à construire, à l’échelle, les pièces architecturales européennes.

La crise bancaire, les risques souverains et les incertitudes sur la pérennité de l’euro avaient déjà fait mauvaises impression, mais c’est aujourd’hui davantage la conviction que l’Europe n’est plus un foyer de croissance. Même l’Amérique, dont le modèle a tracé les sillons de l’économie de marché, est regardée avec le respect poli des modèles qu’on se dépêche d’écarter, une fois que l’on acquiert une certaine autonomie.

Lorsqu’on combine en quelques semaines des voyages aux États-Unis et en Asie, on comprend que l’Europe prospère des trente glorieuses et du plan Marshall, c’est vraiment terminé.

 Le grand bond en avant de Deng Xiaoping (1904-1997) s’est transformé en grand recul en arrière pour certaines contrées européennes. Si la date de 1492 a souvent été présentée comme le seuil des temps modernes, il est probable que le 21e siècle a débuté en 1979, lorsque Deng Xiaoping définit les orientations de marché de l’économie chinoise, avec l’ambition d’en faire la première puissance mondiale.

Le futur s’est déplacé vers les océans atlantiques et pacifiques. De Gaulle avait rêvé d’une Europe qui s’étendrait de l’ouest vers l’est, de l’Atlantique à l’Oural. Nous avons le contraire, en termes de géométrie planétaire: nous avons une économie de croissance qui en est le négatif gaullien, s’étendant de l’est à l’ouest, c’est-à-dire de l’Oural à l’Atlantique, englobant la Chine, l’Inde, les économies asiatiques en croissance et États-Unis.

Illusion occidentale

Avec une naïveté coupable, nous avons été illusionnés par une globalisation que nous croyions s’effectuer à notre avantage. En fait, c’est exactement le contraire qui se passe. Nous avons confondu cette globalisation avec les temps anciens des colonies, où les richesses étaient importées des pays lointains à notre bénéfice. Mais la globalisation, c’est l’inverse: ce sont les pays lointains qui ont construit un formidable modèle d’épargne populaire dont nous sommes aujourd’hui les débiteurs.

La dernière décennie européenne fut d’ailleurs celle de l’illusion occidentale, c’est-à-dire celle de la politique monétaire accommodante pour éviter la confrontation avec l’inévitable appauvrissement que l’aboutissement de nos modèles sociaux

 C’était il est vrai facile de critiquer le capitalisme tout en bénéficiant de ses conjonctures heureuses pour vivre au crédit des marchés financiers. Trop longtemps, nous avons vécu dans l’anesthésie du modèle économique confortable des années soixante. Nous avons délégué à quelques hommes politiques introvertis les choix de sociétés.

Cette période est révolue. L’Europe est confrontée à ses tristes réalités

 La déflation, par exemple, en est le meilleur symbole: elle est caractéristique des communautés vieillissantes dont l’avenir sera appauvri. Après la déflation, ce sera évidemment l’inflation qui engloutira nos économies, gorgées de transferts sociaux et d’endettement publics presque impossible à rembourser.

Mais où sont nos rêves, nos ambitions?

Nous devons absolument prendre conscience des forces rotatives qui sont en train de modifier les équilibres du monde et nous imposer des visions et des courages professionnels basés sur l’effort et la force de caractère. Ce n’est qu’à ce prix que nous réussirons à dégager l ‘Europe d’un modèle de rentiers, afin de préparer la prospérité des générations futures. Ce qui devra changer, c’est la hauteur avec laquelle nous allons aborder les choses. Cela exigera de la vision, du recul intellectuel, de l’audace souvent impopulaire d’ailleurs -, mais surtout du caractère. La plupart des sociologues et historiens l’ont parfaitement démontré, ce qui crée le succès d’une économie, ce sont le caractère, l’ambition et une mentalité de résilience et d’entreprenariat. . Prouvons-le à nouveau.

Par Bruno Colmant Professeur à Vlerick Management School et à l’UCL dec10/Echo

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L’Europe à l’heure de vérité par Martin Wolf

Les lignes de fracture apparaissent désormais clairement au sein de l’union monétaire européenne. Sa promesse était que la zone euro épargnerait les crises monétaires à ses membres. Mais il faut être prudent dans ses souhaits : les crises du crédit ont remplacé les crises monétaires.

Pourquoi une union monétaire peut-elle conduire à des crises du crédit ?

Une des réponses est que les différences de coûts relatifs génèrent des déséquilibres commerciaux structurels – de vastes déficits extérieurs – lorsque les économies les moins compétitives sont proches de leur production potentielle. Les secteurs public et privé doivent alors dépenser plus que leurs revenus afin de préserver le plein-emploi.

Une telle dépense excédentaire doit être financée de l’étranger. Mais ces prêts finissent par se tarir. S’ils s’effectuent au travers du secteur bancaire, comme en Espagne ou en Irlande, il y a d’abord une crise financière. S’ils passent par le secteur public, comme en Grèce, la crise éclate d’abord dans les finances publiques.

Une autre réponse, plus profonde, est que le taux d’intérêt commun paraît très faible dans certains pays membres. Dans la zone euro, cet effet a été accentué par le fait que les taux d’intérêt mondiaux étaient bas et la demande dans les principales économies souffreteuses. Ces taux d’intérêt ultra-faibles ont suscité des bulles des prix des actifs et des booms du crédit dans les économies périphériques.

Dans ces conditions, ce que l’économiste John Kenneth Galbraith appelait le “butin” – le montant des sommes générées par la délinquance financière – continue de croître et finit par se révéler dans le krach.

Tandis que le système financier implose, l’économie s’effondre et les finances publiques, qui semblaient fortes durant le boom, subissent un retour de bâton.

Dans le contexte d’un taux de change flottant, une partie de la pression peut être allégée par une hausse du taux de change pendant le boom et une baisse de celui-ci pendant la crise. Dans le cadre d’un taux de change fixe, la rupture de ce lien et l’effondrement de la monnaie qui en résulte permettent habituellement de rétablir la compétitivité et la croissance, comme cela s’est passé dans les pays asiatiques les plus touchés par la crise de la fin des années 1990. Mais dans une union monétaire, ces soupapes de sécurité n’existent plus.

CRISE CONJUGUEE DU CREDIT ET DE LA COMPETITIVITE

Et cela donne lieu à une crise conjuguée du crédit et de la compétitivité. La solution à la baisse de la compétitivité passe par une forte diminution des prix. Ce qui aggrave la crise du crédit : on aboutit, comme vient de s’en rendre compte l’Irlande, à la déflation par la dette.

A l’époque du système monétaire européen (SME), on aurait assisté à des crises monétaires qui auraient vu les monnaies grecque, irlandaise, portugaise, espagnole, italienne, d’autres peut-être, s’effondrer par rapport au deutschemark. Cela est déjà arrivé à la livre sterling. Si l’Irlande était toujours dans la zone sterling, la livre irlandaise aurait chuté avec elle.

A présent, la zone euro doit résoudre ses crises de crédit. Et elle s’y prend mal. En dépit d’improvisations héroïques, les indicateurs de risque sur la dette souveraine des pays les moins crédibles ont atteint des niveaux élevés. Les marchés ont ignoré les risques pendant le boom, et se sont impitoyablement attaqués aux crédits les plus faibles pendant la crise.

La dynamique sous-jacente est, là encore, similaire à celle des crises monétaires. Dans ces dernières, les gouvernements se sentent contraints de proposer des taux d’intérêt tellement élevés qu’au lieu de renforcer leur crédibilité, ils la sapent. Dans les crises du crédit, les marchés imposent, là aussi, des taux insupportables. Un pays crédible bénéficie de taux d’intérêt faibles qui renforcent la confiance.

Un pays qui manque de crédibilité est soumis à des taux d’intérêt qui minent la confiance. Les attentes se nourrissent d’elles-mêmes. C’est ce qui se produit avec le crédit de la zone euro périphérique : en raison du niveau élevé des taux d’intérêt, les pays à croissance faible et à forts déficits budgétaires ne peuvent garantir un resserrement suffisant pour renforcer leur crédibilité. La rigueur pourrait très bien échouer à procurer la crédibilité qu’elle promet.

Dans ces circonstances, que doivent faire chacun des pays membres, et la zone euro dans son ensemble ?

Première réponse : surtout pas ce qui a été fait en Irlande. Le système bancaire irlandais, pire encore que d’être trop gros pour sombrer, est trop gros pour être sauvé. Le premier devoir de l’Etat est de se sauver lui-même, pas d’obliger ses contribuables à voler au secours des prêteurs imprudents. Et les contribuables d’un pays ne doivent pas dispenser ceux d’un autre pays de sauver leurs banques de leurs propres folies.

L’Etat irlandais aurait dû se sauver par une restructuration drastique des passifs des établissements financiers. La dette bancaire ne saurait équivaloir à une dette publique. Si tel était le cas, alors les banquiers devraient être considérés comme des fonctionnaires et les banques comme des services gouvernementaux. Ce sont plutôt les créanciers qui devraient subir les conséquences.

Reste la question des dettes souveraines. Ce dont on a besoin, et les dirigeants de la zone euro en conviennent, est une combinaison d’un généreux financement et de restructuration : le premier pour enrayer les mouvements de paniques auto-alimentés ; la seconde pour reconnaître les réalités de l’insolvabilité.

Mais aussi utiles que puissent s’avérer de tels expédients, l’appartenance à l’union a modifié la position financière de ses membres, qui ne disposent plus ni d’une banque centrale docile ni de la flexibilité monétaire. Cela a pour conséquence, et les marchés l’ont bien compris, qu’ils sont beaucoup plus susceptibles qu’avant d’être acculés au défaut de paiement.

Les seules portes de sortie seraient soit que la Banque centrale européenne (BCE) rachète la dette publique, soit que l’on crée une union budgétaire dotée de la capacité de venir à la rescousse de ses membres en difficulté. L’une et l’autre sont inconcevables. L’Allemagne serait certainement la première à claquer la porte.

La grande question à présent est de savoir si la zone euro va pouvoir éviter une vague de crises budgétaires couplées à des crises financières et, surtout, si l’union survivra.

Il s’agit d’une question plus politique qu’économique. Une union monétaire peut survivre à des défauts de dette souveraine. Mais la question est de savoir si ses membres continuent de penser qu’elle leur est bénéfique. Les pays excédentaires doivent à la fois financer les déficitaires, accepter l’ajustement extérieur ou entraîner la zone euro dans l’excédent extérieur. Pour les pays déficitaires, le prix d’une éventuelle sortie de la zone euro est d’être confronté à des crises de la dette. Si celles-ci ont déjà eu lieu, le coût leur semblera plus supportable.

Et s’ils pensent qu’ils ont remplacé les crises monétaires par des crises du crédit qui ne rétablissent ni la compétitivité ni la croissance, ils pourraient même considérer l’union comme une mauvaise affaire. Le ciment politique pourrait s’effriter. De telles calamités sont loin d’être impossibles. C’est à présent aux différents membres de veiller à ce qu’elles ne se produisent pas.

source LE MONDE ECONOMIE | 06.12.10 |Cette chronique est publiée en partenariat exclusif avec le “Financial Times”  (Traduit de l’anglais par Gilles Berton).

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La France en plein déni de “grosse dette” par Pierre Antoine Delhommais

Un percutant éditorial du Monde consacré à la crise de l’euro ayant cité L’Ecclésiaste (le 26 novembre), nous avons décidé de rester fidèle à cet esprit biblique. En choisissant de pardonner aux économistes leurs innombrables péchés et leurs immenses fautes. Leur incapacité à prévoir la crise, leur silence coupable de l’avant-Lehman Brothers et leurs bavardages incohérents de l’après. Nous sommes même disposés, dans notre bonté, à les écouter de nouveau.

Les économistes, d’ailleurs, ne se trompent pas non plus sur tout, tout le temps. Prenez le bon vieux Milton Friedman, par exemple, qui avait dit, il y a plus de vingt ans, que la monnaie unique, faute d’union politique en Europe, serait en grand danger le jour où l’Europe subirait un choc économique majeur.

 Même Dominique Strauss-Kahn est devenu friedmanien. Le directeur général du FMI vient d’expliquer que “les institutions européennes n’ont pas été à la hauteur pour gérer la crise”, qu’il est temps de songer à créer “un marché unique de l’emploi” en Europe et que “la solution la plus ambitieuse serait de créer une autorité budgétaire centralisée avec une indépendance politique comparable à celle de la Banque centrale européenne”.

Prenez les économistes qui jugeaient que la politique de taux d’intérêt bas menée pendant des années par la Banque centrale européenne (BCE), adaptée à des pays à faible croissance comme l’Allemagne ou la France, conduisait droit à la catastrophe et à des bulles immobilières les nations où elle était très forte, telles l’Espagne ou l’Irlande. Ils n’avaient pas tout à fait tort.

Comme n’avaient pas tort non plus les économistes qui ne partageaient pas l’optimisme du patron de la BCE, Jean-Claude Trichet, persuadé que le sens civique et sacrificiel des Irlandais allait leur permettre de surmonter sans problème leurs difficultés. Mais voilà, les vertueux citoyens de l’Ile verte n’ont pas fait mieux que les Grecs truqueurs de statistiques et fraudeurs fiscaux.

Prenez, enfin, l’économiste – inconnu, heureusement pour lui – qui a inventé l’acronyme PIGS, pour désigner les quatre pays (Portugal, Irlande, Grèce et Espagne) censés être les plus exposés à des crises de dette. Deux ont déjà chuté, les deux autres sont en grand danger. Mais comme elle était politiquement incorrecte, beaucoup n’avaient voulu voir dans cette trouvaille verbale nauséabonde qu’une énième preuve du complot de la presse anglo-saxonne, à la solde des spéculateurs, pour abattre l’euro. (Des spéculateurs, soit dit en passant, pas toujours très rationnels, mais plus clairvoyants que les régulateurs qui avaient donné, il y a quelques mois, un label de solidité aux banques irlandaises).

Parce qu’il avait été l’un des rares à prédire l’éclatement de la bulle du crédit, Nouriel Roubini a échappé à l’opprobre qui a frappé la profession des économistes. Il est très écouté, ce qui tombe plutôt bien, parce qu’il parle beaucoup, et qu’en plus, il a le sens de la formule. Et Roubini nous dit des choses pas très gaies.

D’abord que la zone euro va rétrécir, avec le départ des pays aux économies les plus fragiles. Le raisonnement semble imparable. Pour se sortir du piège de la dette publique, ces pays auraient besoin d’une forte croissance. Mais elle leur est doublement interdite. D’une part, ils ne peuvent pas dévaluer pour restaurer une compétivité qui de toute façon ne leur servirait pas à grand-chose car ils n’ont rien à exporter ; d’autre part, les mesures d’austérité budgétaire qu’ils prennent vont enlever le peu de dynamisme qu’il leur restait. “No future”. D’autant que les sauveteurs eux-mêmes refuseront tôt ou tard de secourir les Etats en plein naufrage, craignant pour leur propre solvabilité. “Personne ne va venir de Mars ou de la Lune pour renflouer le FMI ou la zone euro”, résume Roubini.

Pas très drôle non plus, ce que l’économiste américain annonce pour la France. “Par certains aspects essentiels, elle n’a pas l’air en bien meilleur état que les pays de la périphérie.” Et d’évoquer notamment la faiblesse du pouvoir et la difficulté à réformer.

Bien sûr on peut toujours se rassurer en se disant que Roubini exagère, qu’il entretient savamment son fonds de commerce et soigne son image de prédicateur d’apocalypse. Bien sûr on peut observer que la France a un système bancaire solide, qu’elle ne connaît pas de bulle immobilière et n’a pas les problèmes de compétitivité de ses voisins du Sud.

On peut se le dire, mais on peut constater par ailleurs que les banques françaises sont exposées aux pays à problèmes, que les prix du mètre carré flambent à Paris et que le pays enregistre des déficits commerciaux presque aussi élevés que les excédents allemands.

On peut aussi s’inquiéter de cette exception française en matière budgétaire, qui fait que le pays n’a pas connu un seul excédent entre 1931 et 1958, et plus un seul depuis 1973. S’alarmer enfin de cette “rigueur tranquille” – comme l’a qualifiée Les Echos – promise par le premier ministre François Fillon. Une “rigueur tranquille”, douce, dont il est permis de se demander si elle est à la hauteur de la situation actuelle et si elle ne relève pas du déni de réalité. Du déni “de grosse dette”, si l’on ose.

Comme si sa grande et belle et longue histoire immunisait la France, aux yeux de nos gouvernants, contre les maux financiers que connaissent ses petits voisins. Comme si ce passé prestigieux était un motif suffisant pour que les investisseurs étrangers conservent précieusement, comme des reliques, les centaines de milliards d’euros d’obligations du Trésor français qu’ils détiennent.

Mais méfiance. Le taux de détention internationale particulièrement élevé de la dette publique française (plus de 70 %) était hier considéré comme un formidable atout : les déficits publics étaient financés sans ponctionner l’épargne des ménages. Mais cela pourrait devenir demain une immense fragilité, pour peu que la confiance vis-à-vis de la France se lézarde. Et tourner à la débandade. “Revenez, fils infidèles” (Jérémie – 3, 14), supplieront alors, mais trop tard, nos dirigeants.

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Courriel : delhommais@lemonde.fr

Pierre-Antoine Delhommais le monde | 27.11.10 |

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