La reprise mondiale en danger par Stephen S. Roach
Pour la deuxième fois en moins de deux ans, l’état de l’économie mondiale suscite les plus vives inquiétudes ; autant s’y habituer. Dans le monde d’après-crise cela traduit une reprise avortée.
La raison en est simple. Le cycle habituel des affaires comporte un mécanisme naturel qui permet d’amortir les chocs inattendus. Plus le ralentissement économique est prononcé, plus forts sont la reprise et les forces qui la sous-tendent. Une reprise marquée en forme de V se caractérise par une résilience intrinsèque qui lui permet d’absorber les chocs sans trop de difficulté. Mais la reprise qui suit une crise est un phénomène très différent. En général elle manque de vigueur, de même que la baisse du chômage, ainsi que le montrent Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff dans leur livre This Time is Different.
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Ces reprises anémiques par définition ne bénéficient pas de l’effet d’amortissement des reprises en V. C’est pourquoi un choc exogène met en évidence leur vulnérabilité. Si elle est assez violente et touche une économie mondiale affaiblie dont le taux de croissance approche du niveau d’alerte (environ 3% de croissance annuelle), la rechute risque de se transformer en une récession à double creux tant redoutée.
C’est le risque couru aujourd’hui. La reprise est manifestement en panne d’énergie. A première vue les indicateurs sont bons : d’après le FMI le PIB mondial a augmenté de 5,1% l’année dernière et il devrait augmenter de 4,3% cette année. Mais comme cette hausse suit la contraction massive qui a accompagné la Grande récession de 2008-2009, on est loin de la reprise classique en forme de V.
Si les dernières prévisions du FMI sont exactes, à la fin de 2012 le PIB mondial sera encore inférieur de 2,2 points de pourcentage au niveau qu’il aurait eu si le taux de croissance moyen de 3,7% avait été maintenu. Même si (un grand “si”), l’économie mondiale maintient sa vitesse de croisière avec un taux de croissance de 4,3%, il faudra attendre 2015 pour qu’elle rattrape le niveau qu’elle aurait eu en l’absence de crise.
Cette reprise mondiale au ralenti met en évidence l’absence son manque d’amortisseur économique et sa sensibilité aux chocs. Or elle a subi toute une série de chocs au cours des derniers mois – de la crise des dettes souveraines en Europe, en passant par la catastrophe naturelle qui a frappé le Japon et la hausse du prix du pétrole, jusqu’au coup d’arrêt récent de la reprise immobilière aux USA. Si aucun de ces chocs pris individuellement n’est suffisant pour mettre un coup d’arrêt à la reprise mondiale, leurs effets additionnés le pourraient, spécialement dans un monde d’après-crise encore fragile.
La plupart des experts excluent une récession à double creux. Qualifiant avec optimisme de flottement temporaire le ralentissement en cours, ils attendent le rebond qui suit inévitablement un choc. Ainsi on peut tout à fait s’attendre à un redémarrage au Japon en raison de l’effort de reconstruction et de la relance de la chaîne logistique. Le recours récent de l’Amérique à ses réserves stratégiques de pétrole pour pousser à la baisse le prix de l’or noir pourrait aussi favoriser un rebond.
Mais après la pire crise et la pire récession des temps modernes, alors que des chocs risquent de pousser une économie mondiale déjà affaiblie vers son point de basculement, il est bien plus difficile d’atteindre le taux de croissance minimum nécessaire à une reprise en V. Le flottement temporaire risque de se transformer en naufrage.
Cette conclusion ne concerne guère les pays émergents en plein boom, notamment ceux d’Asie – la région qui détient le record mondial de croissance et qui tend à devenir le leader de ce que d’aucun appellent maintenant un monde à deux vitesses. Néanmoins, avec des exportations qui approchent le taux record de 45% du PIB de la région, l’Asie ne peut se permettre de prendre un choc extérieur à la légère, notamment s’il affecte une croissance déjà au ralenti dans le contexte d’après-crise du monde développé. Le récent ralentissement de l’activité industrielle chinoise illustre ce risque.
Les dirigeants politiques sont mal préparés à faire face à une succession de menaces sur la croissance. Ils continuent à privilégier des stratégies davantage conçues pour combattre les crises que pour favoriser la reprise d’après-crise.
C’est sûrement vrai pour les USA. Si la première période de relâchement monétaire de la Réserve fédérale américaine a permis de mettre fin à une crise aiguë, la seconde n’a pas véritablement permis une diminution du chômage et une reprise de l’économie réelle. Les consommateurs zombies de l’Amérique doivent faire ce qu’il faut pour redresser le bilan du pays et les travailleurs américains doivent acquérir les qualifications voulues pour occuper des postes de travail qui exigeant un savoir-faire nouveau. Or une injection sans fin de liquidité ne permet ni l’un ni l’autre.
Les autorités européennes sont dans le même état d’esprit. Prenant un problème d’insolvabilité pour un problème de manque de liquidité, l’Europe surfe de plan de secours en plan de secours. Pourtant ils ne sont efficaces que si des pays comme la Grèce échappent par la croissance au piège de la dette ou remettent en cause le contrat social auquel ils sont tellement habitués. Or ces deux voies paraissent hautement improbables.
Si comme il le semble la crainte de menaces récurrentes sur la croissance persiste au cours des prochaines années il ne faut pas s’attendre à des politiques monétaires et à des mesures budgétaires innovantes. Ne regardant pas au-delà de la prochaine élection, les responsables politiques se contentent de mettre en ouvre des mesures à court terme, qu’il s’agisse d’un nouveau plan de secours ou de l’injection à répétition de liquidités. Pourtant, après une récession comptable (balance-sheet recession) aux USA et avec le piège de la dette qui fait des ravages en Europe, cette approche est condamnée à l’échec.
L’injection de capitaux et les plans de secours servent à une seule chose : gagner du temps. Mais cela ne protégera pas du prochain choc une reprise anémique d’après-crise. Ce n’est pas la réponse adéquate pour des pays qui ont besoin avant tout de faciliter le désendettement de leur secteur privé, de réformer leur consolidation budgétaire et leur marché du travail et d’améliorer leur compétitivité.
Il est difficile de prévoir quand surviendra le prochain choc et quelle forme il prendra, sinon ce ne serait pas un choc. Mais il surviendra aussi inévitablement que la nuit succède au jour. Avec des dirigeants politiques réticents à entreprendre les réformes structurelles indispensables, la croissance va être à nouveau menacée – ou pire encore. Une reprise avortée souligne les risques d’une fin de jeu de plus en plus délicate dans le monde d’après-crise d’aujourd’hui.
Stephen Roach est enseignant à l’université de Yale et cadre dirigeant de Morgan Stanley
Project Syndicate,juin 2011.
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz