Commentaire de Marché

Un virage dangereux par Jeannette Williner

Un virage dangereux  par Jeannette Williner

Les chiffres le prouvent une nouvelle fois: l’effet de levier a été utilisé à outrance.

 

 On avait cru que les directions des établissements financiers et tous ceux qu’ils ont formés avaient compris qu’il fallait le remettre à sa place dans les différents produits financiers. L’effet de levier doit demeurer à un niveau n’engendrant pas de risque outrancier. Car s’il augmente les bénéfices de façon importante, il est logique qu’il puisse démultiplier les pertes.

Se priver volontairement d’une partie de ses gains réalisables n’est pas facile. Alors on continue dans la même voie. La logique aurait voulu que, l’argent étant rare compte tenu de l’endettement, les taux d’intérêt soient orientés à la hausse, que des réserves plus confortables soient reconstituées, que les capitaux propres soient remis à niveau, que des réglementations bancaires dignes de ce nom soient mises en place etc. Malheureusement rien n’a été fait. Tout le sera certainement mais pas encore cette fois et des pertes d’épargne considérables résulteront de cet attentisme quasi suicidaire.

PLUS DE WILLINER EN SUIVANT :

Il ne faut pas compter sur une sagesse soudaine suite à la décision allemande du 29. Même si les commentaires annexes ont précisé qu’il s’agissait bien de la dernière fois que l’on recourait au contribuable allemand, on aura oublié demain cette épée de Damoclès. Par ailleurs, le sauvetage autorisé par le vote allemand ne règle en rien la situation grecque. La Grèce ne peut en aucun cas rembourser sa dette: on peine d’ailleurs à imaginer suite à quelles négligences elle a pu arriver à une altitude pareille (de l’ordre de 350 milliards d’euros). Les prévisions trimestrielles d’Ernst & Young ne sont guère réjouissantes de ce point de vue d’autant plus que cette analyse insiste sur le fait que cette étape ne permettra peut-être même pas de procéder «à une faillite organisée» afin d’éviter le pire des désordres sur les marchés. Dès le mois prochain la Grèce manquera de liquidités à moins que le FMI, l’Union européenne et la BCE ne lui accorde un nouveau prêt d’urgence de 7 milliards. Alors, le léger mieux constaté sur les marchés n’est peut-être que le dernier virage sans visibilité offert aux investisseurs. La solution ne réside bien sûr ni dans une baisse des taux  par la BCE ni dans un élargissement des liquidités mais dans la prise de décisions incontournables que personne ne veut initier principalement pour des motifs électoraux. Et une nouvelle fois les banques seront mises en échec suite à leur engagement excessif dans les emprunts souverains.

La création de liquidités conventionnelles (QE) a certainement mis de l’huile dans les rouages grippés de l’endettement mondial mais a surtout alimenté la hausse des marchés d’actions, de devises et de matières premières. L’opportunité de gagner de l’argent a été offerte à certains investisseurs plus audacieux que la moyenne. Tel n’était pas le but premier. Par contre, les mêmes mesures ont sans nul doute retiré de l’argent des mains du consommateur et, à terme engendreront une inflation appauvrissant encore ce dernier. Certes, le panier de la ménagère est constitué de telle manière qu’aucune inflation n’y apparaît. La volatilité des prix de l’énergie ne restera pas sans conséquence sur le porte-monnaie des consommateurs et se répercutera jusque dans les produits alimentaires. Même les Américains pourraient être amenés à consommer moins de dinde suite à la hausse des tourteaux de soja, sommés qu’ils sont de fabriquer du brut d’origine agricole. De jour en jour on prend conscience du mal être de l’économie mondiale et, contrairement aux premières affirmations, le côté européen serait plus malade que le côté américain.

A l’heure actuelle et malgré la reprise des marchés, les mauvaises nouvelles s’accumulent. Le private equity manque d’opportunités et donc d’amateurs. Les hedge funds souffrent d’un retrait massif de leurs investisseurs. Les trackers ou ETF qui sont censés reproduire la marche des indices ou des marchés voient leurs petits clients protégés par les régulateurs européens qui constatant leur complexité estiment qu’ils ne sont pas à même de la comprendre. Bref, on est en pleine débandade malgré la sérénité que l’on cherche à afficher. Les formes de placement se multipliant et se transformant au fil du temps se sont fait une concurrence acharnée. Les manœuvres de ceux qui pensaient rendre plus attrayantes telle ou telle forme de placement sont devenues dangereuses pour les marchés. La volatilité de ces derniers s’est trouvée amplifiée par des accumulations infructueuses un peu dans tous les secteurs. Des achats massifs entrainent des ventes massives qui influencent les cours dans un sens ou dans l’autre au fil de la publication de chiffres relatifs à l’emploi, à l’immobilier ou, plus grave, à la situation d’endettement de divers pays. Or, le vote berlinois n’a rien changé à cette situation générale.

Combien de temps l’embellie va-t-elle durer? Impossible de le dire. Mais les marchés restent tout aussi sensibles. L’ingénierie financière ne peut plus jouer son rôle au moment présent et aucun amortisseur n’est envisageable dans le contexte actuel. Pire une puce pourrait provoquer un coup fatal. L’histoire ne se répète pas mais l’inspiration peut y être cherchée. On a parlé de l’Italie, de l’Espagne voire du Portugal. Ces pays ne sont pas en bonne santé financière mais d’autres ne vont guère mieux. On n’a jamais parlé de Malte. Pourtant ce petit pays, microscopique même en termes de population, tire ces bénéfices du tourisme et de l’exportation. Vu la conjoncture actuelle n’y a-t-il pas quelque souci à se faire? Les dettes publiques de Malte s’élèvent à 68% de son PIB. Pour le Portugal, on arrive à 93%, pour l’Espagne à 60%. Le côté européen de la crise de 1929-32 s’est construit à partir de la faillite d’une banque à laquelle personne n’aurait jamais pensé vu sa taille: le Creditanstalt de Vienne en 1931. Alors toute exceptionnelle que soit la croissance passée de Malte il faudrait cesser de regarder dans le rétroviseur.

Jeannette Williner Analyste indépendante oct11

Laisser un commentaire