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Billet Invité : Où l’on reparle des dérivés…par Jérémie T.A.ROSTAN

Billet Invité :  Où l’on reparle des dérivés…par Jérémie T.A.ROSTAN

 Accusés de la dernière crise financière, les produits dérivés sont d’avance tenus coupables de celle qui se profile. Véritables armes de destruction massive minant l’économie réelle, selon l’expression de Warren Buffet, ceux-ci seraient un véritable cancer, et la preuve d’un capitalisme financier malade d’avidité et de spéculation.

Au fond, les reproches faits à ces instruments sont au nombre de quatre. Il s’agirait là de pures spéculations, pour l’essentiel, atteignant des montant ridicules en raison d’invraisemblables effets de levier, et posant des risque systémiques du fait de leur insondable intrication et invraisemblable manque de régulation. 

Le sujet étant devenu si commun, la plus brève présentation semble suffisante. Après tout, ces  mystérieux ‘‘dérivés’’ sont simplement des contrats spécifiant des paiements en cas d’événements portant sur des éléments sous-jacents. Une description aussi simple recouvre bien entendu des réalités très différentes—a priori inimaginables, vraiment : les dérivés permettent aussi bien à une grande firme française d’assurer la valeur de ses ventes au Canada en monnaie du pays qu’à un particulier de miser sur le défaut de paiement d’un gouvernement des Caraïbes.

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Le premier blâme adressé aux dérivés est d’ailleurs d’être, pour l’essentiel, des instruments de spéculation. Un tel reproche repose sur la confusion selon laquelle la spéculation serait en elle-même inutile et nocive. Si les dérivés posent un problème quelconque, celui-ci doit provenir d’ailleurs cependant. La spéculation n’est en effet payante que si elle est correcte, donc aiguille le marché dans la bonne direction par son influence sur les prix.

À vrai dire, tout ce que l’on sait de la valeur totale des produits dérivés est qu’elle est phénoménale—aux alentours de 600,000 milliards de dollars… voire le double, ou le triple ! Sur cette base, beaucoup méprisent un tel marché virtuel plusieurs dizaines de fois supérieur au PIB mondial. Une telle attaque est pourtant infondée.

Imaginons une firme française vendant pour 1 million d’euros de marchandises au Canada. Si celle-ci désire s’assurer contre la variation du cours EUR/CAD, ainsi que contre l’évolution des taux d’intérêt dans cette monnaie, et que ses acheteurs font de même, il y a là, déjà, pour trois fois plus de dérivés que de sous-jacent. Que chacune des banques originant de tels produits les revende à d’autres, et qu’autant de spéculateurs joignent la partie, et le multiple atteint déjà 10. Il n’y a donc là rien d’étonnant. D’ailleurs, comparer le montant notionnel des dérivés à celui du PIB est fautif, et même trompeur, car ce dernier est, comme son nom ne l’indique pas, une valeur nette dont est retranché le gros des transactions intermédiaires qui sont le sang de l’économie réelle, et sur lesquelles portent les instruments dérivés.

Cela n’en est pas moins problématique, dira-t-on, dès lors que les montants en question impliquent d’insoutenables effets de levier et contaminent le système entier. En lui-même, ce dernier point implique peu, en vérité. Qu’une banque perde une certaine somme, ou bien que deux en perdent la moitié, l’effet global est indiscernable. Le problème de fond est donc celui du leverage. Mais là encore, rien que de très normal, à la réflexion. Les dérivés cibles de toutes les attaques sont les instruments négociés de gré à gré, parce que désignés sur mesure. Leur caractéristique est de porter sur des événements extrêmes, c’est-à-dire relativement peu plausibles, mais lourds de conséquences. Dans une telle éventualité, le porteur du risque est celui qui en prend le moins—et n’a donc aucune raison de thésauriser de vastes sommes. En fait, l’effet de levier doit être commensurable, pour son porteur, au risque encouru—c’est-à-dire aussi prévu. Il est certes facile, aujourd’hui, de dire que AIG n’aurait pas dû miser sur la stabilité du marché immobilier américain, ou que MF Global n’aurait pas dû miser sur la solvabilité des gouvernements sud Européens ; mais, quelques mois avant ces crises, les plus hautes autorités leur donnaient officiellement raison, du Président de la Réserve Fédérale au Premier Ministre de la France…  Jusqu’alors, on n’avait jamais vu les prix de l’immobilier chuter à l’échelle nationale, ni un État faire défaut—du moins chez les pays développés. De fait, les politiques qui se posent toujours, après-coup, en ardents défenseurs de la sage prévision n’avaient pas plus vu venir que les autres. Leur particularité, en revanche, est d’être la source du problème.

Celui des dérivés n’est pas leur montant astronomique, non plus que leur intrication, ou caractère spéculatif, mais bien le fait qu’il s’agisse d’assurances et de  paris macroéconomiques, c’est-à-dire portant sur des événements politiques, lesquels ont seuls l’ampleur et l’imprévisibilité requises pour générer les soudaines catastrophes dont on constate la multiplication.

S’il est besoin d’une régulation, c’est donc, avant tout autre, de celle l’intervention du politique dans l’économique.

Jérémie T.A.ROSTAN Le 1er novembre 2011

6 réponses »

  1. Les tradeurs feraient donc des paris de plusieurs milliards de Dollars sur les seuls dires des politiques qui seraient des menteurs ? Et moi qui croyaient qu’ils faisaient aussi des analyses complexes des comptes des entreprises ou des états…

    Dans votre essais pour excuser les dérives de la finances vous n’êtes pas très encourageants. En interprétants vos propos, on peut aussi penser qu’ils faut ajouter , à défaut de régulation, de la rigueur ou du professionnalisme dans le milieu – à moins qu’il ne s’agisse de bon sens – …

    Moi qui croyait que la finance était un outils pour financer l’économie réel, je m’aperçois , dans votre article, qu’il est sacrément défaillant car il n’est pas adapté au réel … mais temps qu’il rapporte nul besoin de le remettre en cause apparemment.

  2. Je me permets de répondre en usant de la citation–cela clarifie le propos.

    « Les tradeurs feraient donc des paris de plusieurs milliards de Dollars sur les seuls dires des politiques qui seraient des menteurs ? »

    Je crois qu’il y a là un raccourci dû à une mécompréhension. Je dis bien, d’une part, que les dérivés en question sont des spéculations macroéconomiques, dont le résultat dépend d’actes politiques, et, d’autre part, que les officiels n’étaient pas plus clairvoyant que les autres, quelques temps avant de grandes faillites; mais les deux sont sans lien direct. Ne serait-ce que parce que leur chronologie diffère.

    « Et moi qui croyaient qu’ils faisaient aussi des analyses complexes des comptes des entreprises ou des états… »

    Certes, mais il est difficile de calculer quoi que ce soit sur la base des comptes officiellement maquillés de la grèce, par exemple. En outre, la capacité d’un état à payer dépend de choix fiscaux normalement encadrés par l’état de droit selon lequel les emprunteurs doivent rembourser leurs dettes, point. Comment quantifier, il y a quelques mois seulement, la plausibilité d’un défaut de paiement d’une démocratie de la zone euro?

    « Dans votre essais pour excuser les dérives de la finances vous n’êtes pas très encourageants. En interprétants vos propos, on peut aussi penser qu’ils faut ajouter , à défaut de régulation, de la rigueur ou du professionnalisme dans le milieu – à moins qu’il ne s’agisse de bon sens – … »

    Je serais curieux de savoir quelles régulations… L’interdiction d’étendre le crédit, et donc les risques, lorsque la Fed baisse les taux d’intérêt? L’interdiction de prêter aux États les moins avancés de l’Europe lorsque ceux-ci font monnaie commune avec les gèants économiques du monde?

    « Moi qui croyait que la finance était un outils pour financer l’économie réel, je m’aperçois , dans votre article, qu’il est sacrément défaillant car il n’est pas adapté au réel … mais temps qu’il rapporte nul besoin de le remettre en cause apparemment. »

    Je crois retrouver ici, si je peux me permettre, un double-discours assez courant. Lorsque les États s’endettent, ou bien désirent faciliter l’accès à la propriété, ou bien les financiers suivent, et alors on les traite de tous les noms lorsqu’ils subissent les pertes dues à des illusions politiques, ou bien ils s’y opposent, et alors on les traite, par exemple, de spéculateurs conduisant les gouvernements à la faillite.
    De fait, normalement, lorsque les données et le jeu du marché ne sont pas faussées, le profit est la meilleure indication que l’on est dans la bonne voie, et l’avidité des financiers est le meilleur instrument d’allocation du capital qui soit.

    Jérémie T.A. Rostan

  3. Intéressant, mais que pensez-vous du reproche de manque de transparence fait aux marchés de dérivés et à la banque parallèle (« shadow banking »)… certes les politiques se moquent souvent du monde mais l’illusionnisme n’est pas seulement du côté des Etats… Par exemple, je connais quelqu’un à qui un simple conseiller UBS a fait perdre beaucoup d’argent.. La règle de séparation dépôts/placement ne doit-elle pas être rétablie ? Que les professionnels fassent ce qu’ils veulent, mais entre professionnels et à leurs propres risques…

  4. « Intéressant, mais que pensez-vous du reproche de manque de transparence fait aux marchés de dérivés et à la banque parallèle (« shadow banking »)… »

    De mon point de vue, l’offensive contre les dérivés, et plus généralement les innovations financiéres récentes, est mal placée. Si celles-ci sont problématiques, ce n’est jamais en elles-mêmes, mais toujours en raison des effets de levier qui les accompagnent. Or, pour que ces derniers puissent avoir lieu, il faut que les taux d’intérêt soient très bas et les fonds prêtables abondants. Sans la première condition, l’effet de levier ne paie simplement pas; sans la seconde, il n’est tout bonnement pas possible d’y recourir. Quelle que soit la malignité supposée des acteurs de la finance, seule la politique monétaire crée donc l’opportunité, d’une part, et les moyens, d’autre part, de leurs importantes prises de risque (en nature comme en valeur.)

    « La règle de séparation dépôts/placement ne doit-elle pas être rétablie ? Que les professionnels fassent ce qu’ils veulent, mais entre professionnels et à leurs propres risques… »

    Lors de la crise financiére aux USA, les banques mêlant ces deux activités s’en sont plutôt mieux tirées que les autres. L’autorisation d’un tel couplage a d’ailleurs aussi permis la réorganisation rapide du secteur par le biais d’acquisitions qui ont amorti la crise. Enfin, la consolidation est généralement une bonne chose, dès lors qu’elle rend les institutions… plus solides.

  5. Il y a bien un problème de « régulation », mais pas celui que l’on évoque dans la rue. Il ne s’agirait pas de réguler la spéculation, comme vous le dites justement, mais bien la manière de comptabiliser les transactions. Le (mé-)fait de faire sortir du bilan les actifs plombés. Or qu’entendons nous ces dernières années comme remède miracle officiel (surtout au niveau politique médiatisé) ? Abandon du Mark-to-market, Créations de bad-bank, en veux-tu en voilà, rachat de dette pourrie, etc… comme si tout allait s’arranger après ce refoulement Jungien hors de la conscience.

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