Cycle Economique et Financier

Sur la folle expansion du bilan des banques centrales

Sur la folle expansion du bilan des banques centrales

Le gonflement des bilans des instituts d’émission et l’adjonction de risques ne permettront pas de générer une croissance durable.

Bien que l’un de leurs principaux objectifs soit la stabilité des prix, les banques centrales se sont récemment livrées à des pratiques financières des plus expérimentales, tant par l’augmentation de la taille que par la modification du profil de risque de leurs bilans. L’opération de refinancement à long terme, menée cette semaine par la Banque centrale européenne (BCE), en est le meilleur exemple. A court terme, ces mesures d’«assouplissement quantitatif» et d’«assouplissement des conditions de crédit» permettent de faire monter le prix des actifs financiers qui, compte tenu de leurs courbes d’offre inélastiques, sont particulièrement sensibles aux injections de liquidités. Mais qu’en est-il de l’économie réelle ? Le gonflement des bilans des banques centrales et l’adjonction de risques ne permettront pas de générer une croissance durable, de réduire le taux de chômage ou de résorber l’endettement. A plus long terme, ils pourraient toutefois avoir des conséquences imprévues, comme des épisodes d’hyper-inflation, une perte de confiance dans la monnaie fiduciaire et une baisse de crédibilité dans la capacité des banques centrales à soutenir les monnaies et à assurer la stabilité des prix.

L’expansion sans précédent des bilans des banques centrales du monde entier est impressionnante. A titre d’illustration, le bilan de la Réserve fédérale américaine (Fed) est passé de 7 % du PIB en juin 2006 à 19 % actuellement (2900 milliards de dollars). Sur la même période, la Banque du Japon (BoJ) a vu son bilan augmenter de 16% du PIB à 31%, la Banque d’Angleterre (BoE) de 25% à 64%, la BCE de 14% à 24% et la Banque nationale suisse (BNS) de 23% à 68%.

Aussi préoccupant que cela puisse paraître, l’aspect le plus inquiétant est probablement la détérioration de la qualité des bilans qui a accompagné cette évolution. La Fed détenait par exemple 626 milliards de bons du Trésor américain en 2002, contre 1’800 milliards actuellement. Les titres adossés à des créances hypothécaires (Mortgage Backed Securities, MBS) représentent désormais 28% de ses actifs (836 milliards). On nous explique que la probabilité d’un défaut induit par les MBS est pratiquement nulle : les MBS sont garantis par Fannie Mae et Freddie Mac, eux-mêmes soutenus par le gouvernement américain, lui-même protégé par… la Fed et sa capacité à faire tourner la planche à billets.

Un cas de figure qu’on retrouve dans d’autres grandes banques centrales. Ainsi, la BCE détient 623 milliards d’euros de titres de résidents de la zone euro, y compris des emprunts d’Etat des PIIGS achetés sur le marché secondaire – soit une augmentation de 35 % depuis janvier 2000 – et 868 milliards de prêts et autres créances d’établissements de crédit de la zone euro et cela avant même la seconde récente opération de refinancement à plus long terme (Longer-Term Refinancing Operation, LTRO) – soit une augmentation de 376% depuis janvier 2000. Si les gouvernements font défaut et que la BCE essuie des pertes, elle devra être recapitalisée par… les gouvernements eux-mêmes, la forçant à déroger aux traités lui interdisant de monétiser la dette ou de faire tourner la planche à billets.

Au Japon, la BoJ détient 1300 milliards de dollars d’emprunts d’Etat nippons, de billets de trésorerie et d’obligations d’entreprises, contre 407 milliards en juin 1999. Lorsque la balance courante deviendra déficitaire, le recours à la planche à billets par la BoJ, déjà amorcé par la récente annonce d’un nouvel objectif d’inflation à 1%, pèsera lourdement sur le yen.

Ces mesures n’ont eu, pour l’instant, aucune incidence sensible sur l’économie réelle, principalement en raison de la forte chute du multiplicateur monétaire (rapport entre la masse monétaire au sens large – agrégat M3 – et la base monétaire), qui a baissé de 12,4 en juin 2002 à un peu moins de 6 actuellement aux Etats-Unis, et de 13 à 7 dans la zone euro. L’énorme augmentation de la base monétaire n’a pas été investie dans l’économie réelle; elle est conservée dans les réserves excédentaires des banques toujours réticentes à consentir des crédits, sur fond de processus mondial de désendettement, avec un plafonnement de la demande de crédit. Depuis juin 2002, la base monétaire de la zone euro a augmenté de 308% – à un taux annualisé de 12,6% – alors que la masse monétaire au sens large, qui représente l’argent circulant véritablement dans l’économie réelle, n’a progressé que de 6,1% par an. Sur la même période, la base monétaire américaine a augmenté de 15,6% par an et la masse monétaire au sens large, de 6,1% par an. L’économie réelle a pour l’instant été épargnée par la vaste expansion artificielle et la détérioration de la qualité des bilans des banques centrales. Mais que se passera-t-il une fois que la reprise se profilera, que les taux d’intérêt remonteront, que la vitesse de circulation de l’argent augmentera et que l’économie réelle sera inondée d’une monnaie papier déconnectée de toute production humaine réelle? La base monétaire devra alors être réduite de manière rapide et massive pour éviter l’apparition de tensions inflationnistes: un territoire inexploré pour les banques centrales, comportant d’importants risques politiques à long terme.

Stéphanie Kretz Lombard Odier, Genève mars12

2 réponses »

  1. Donc il ne manquait plus que la BCE, et avec Super Mario elle joue le jeu !
    Ma question est : comment la base monétaire sera réduite de manière rapide et massive pour éviter l’apparition de tensions inflationnistes:????????
    Ou alors il y aura de l’inflation ? Et à quel taux ? A deux chiffres ???
    Mais les Etats Unis sont sortis de la récession avec la guerre… Et les Allemands aussi avaient misé sur la guerre !

    ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ?

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