Behaviorisme et Finance Comportementale

Quand l’argent ne vaudra plus rien…

Quand l’argent ne vaudra plus rien…

On est en droit de se demander si le risque de krach n’augmente pas de façon inversément proportionnelle au nombre d’acteurs.

Depuis une vingtaine d’années, mais encore plus depuis 2007, la masse monétaire a pris des proportions démesurées, par rapport aux besoins de la production du commerce et de la consommation, en un mot, de l’économie réelle.

Cette tendance ne semble pas près de s’inverser: aux Etats-Unis, la Fed vient de franchir une étape supplémentaire en finançant directement le déficit public pour pallier la défection de la Chine qui limite ses achats de bons du Trésor américain; en Europe, la BCE vient de prêter quelques centaines de milliards d’euros aux banques, pour soulager un marché interbancaire toujours pas plus liquide qu’auparavant. Les banques préfèrent déposer quotidiennement des centaines de milliards d’euros auprès de la BCE, avec un rendement ridicule de 0,25%, plutôt que de prendre le risque de se faire mutuellement confiance.

Jamais l’argent n’a rapporté aussi peu. Jamais non plus la préférence pour la sécurité, liquidité ou or, n’a été aussi forte.

PLUS DE MONEY ET MOINS DE VALEUR EN SUIVANT :

L’innovation financière, la soupape de sécurité

En temps normal, avec une telle masse d’argent nous aurions dû connaître une inflation sans précédent, mais, grâce soit rendue à l’innovation financière, il n’en est rien. L’innovation financière a agi comme une soupape de sécurité jusqu’au moment, en 2008, où le château de cartes s’est écroulé une première fois. Depuis lors, les épargnants se méfient de tous les placements financiers, y compris les dettes souveraines, autrefois considérées comme les plus sûres. Les ventes d’actions se font hors Bourse à plus de 50%, sans aucune visibilité ni contrôle.

Les transactions boursières sont maintenant, à plus de 70% aux Etats-Unis et plus de 30% en Europe, le fait de traders à haute fréquence (HFT). Ceux-ci ne se préoccupent que subsidiairement de la valeur intrinsèque des produits; ils cherchent simplement à repérer les mouvements erratiques et leur objectif prioritaire est de tromper le marché.

Un fossé qui se creuse entre deux économies

En conséquence, la corrélation entre le jeu de l’offre et la demande d’une part, et le prix ,de l’autre, se réduit avec tous les risques que cela représente pour les petits porteurs. Ces traders ne se limitent pas aux titres de sociétés cotées: ils représenteraient près de 70% des ordres passés sur le marché à terme des produits pétroliers et les produits agricoles n’échappent pas au phénomène.

Aujourd’hui, les utilisateurs physiques de matières premières sont tout simplement devenus minoritaires sur leurs propres marchés. Cette intrusion n’est pas sans conséquence sur l’économie réelle: à mesure que la proportion d’ordres passés par des “utilisateurs physiques” s’amenuise, le fossé entre l’économie réelle et la finance se creuse.

Moins les prix des matières reflètent les valeurs intrinsèques, plus l’économie réelle souffre. Il ne faudra plus s’étonner de voir des évolutions comme celle du cours du pétrole qui, en 2008, est tombé de 140 dollars le baril à 40 dollars en quelques mois.

De moins en moins d’acteurs

Mais il y a plus grave: sur les marchés financiers le nombre d’acteurs semble se réduire comme peau de chagrin. En France l’autorité des marchés financiers a constaté que plus de la moitié des ordres de Bourse sur le CAC40 était le fait de trois traders. Sur le marché des produits dérivés, aux Etats-Unis cette fois, quatre ou cinq banques d’affaires se partagent de l’ordre de 80% du marché.

On est en droit de se demander si le risque de krach n’augmente pas de façon inversement proportionnelle au nombre d’acteurs. En effet, tous travaillent sur des modèles fondés sur la courbe de Gauss, une courbe qui élimine les hypothèses extrêmes, hélas bien réelles… Moins il y a d’acteurs, moins les hypothèses de travail ont de chances de se neutraliser, plus les effets procycliques peuvent se conjuguer. Le système touche-t-il à sa fin?

Il faut se faire une raison: avec les désordres commerciaux et financiers actuels, la masse monétaire ne cessera pas de sitôt d’enfler et avec elle la volatilité, l’insécurité et la méfiance. Pour y faire face, la seule recette appliquée jusqu’ici a été d’accroître encore la masse monétaire. Le cercle vicieux est parfait! Dans certains cas, il faut maintenant payer pour placer son argent en sécurité! Face à l’afflux de liquidités, la Suisse a dû se résoudre à mettre en place un intérêt négatif pour limiter la hausse de sa monnaie!

La banque centrale suédoise avait fait de même, en 2009, pour encourager les banques à prêter l’argent aux entreprises plutôt que de le déposer chez elle. Ces situations sont peut-être exceptionnelles, mais les tendances lourdes commencent, toutes et toujours, en étant marginales.

En économie, ce qui ne rapporte rien ne vaut rien. Si l’on suit cet adage, il y a de quoi se poser des questions sur l’avenir de la monnaie, car si le risque est le propre de l’économie de marché, il se calcule, l’incertitude pas.

Par Baudouin Dubuisson Administarteur de société et entrepreneur mars2012

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