Art de la guerre monétaire et économique

Les macro-malversations de la Fed par Stephen S. Roach

Les macro-malversations de la Fed par Stephen S. Roach

 Les effets secondaires de l’assouplissement quantitatif sont importants. Nombreux sont ceux qui s’inquiètent de la recrudescence de l’inflation.

On soigne l’économie américaine avec le mauvais médicament. Après avoir fait un mauvais diagnostic de la maladie, les décideurs ont prescrit un médicament expérimental non testé aux effets secondaires potentiellement graves. Le patient est le consommateur américain : de loin le premier au monde, mais à présent en proie à la pire déprime depuis la Grande Dépression. De récents résultats sur les dépenses des consommateurs des Etats-Unis sont épouvantables. Les dépenses américaines sur les dépenses de consommation indexées sur l’inflation de la croissance viennent d’être révisées à la baisse à 1,5% au deuxième trimestre de 2012, et semblent être en bonne voie pour connaître une augmentation anémique similaire au troisième trimestre. Pire encore, ces chiffres ne sont que les plus récents d’une tendance qui dure maintenant depuis quatre ans et demi. Du premier trimestre 2008 au deuxième trimestre 2012, la croissance annuelle des dépenses de consommation réelle n’a été en moyenne que de 0,7% : d’autant plus extraordinaire par rapport à la tendance d’avant la crise de 3,6% dans la décennie se terminant en 2007.

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La maladie est un bilan en récession de longue durée qui a transformé une génération de consommateurs américains en zombies: les morts vivants économiques. Pensez au Japon et à ses entreprises zombies des années 1990. Suivant le même scénario que la première des décennies perdues du Japon, leurs homologues sont en train de faire la même chose pour l’économie américaine.

Deux bulles, de la propriété et du crédit, ont permis une décennie de consommation excessive. Depuis leur effondrement en 2007, les ménages américains sont naturellement devenus obsédés par la réparation des dégâts. Cela signifie le remboursement de la dette et la reconstruction de l’épargne, et l’abandon de la demande des consommateurs dans le bourbier d’une faiblesse prolongée. Pourtant, le traitement prescrit pour cette maladie a aggravé le problème. Ancrée dans le déni, la Réserve fédérale traite la maladie comme un problème conjoncturel et déploie toute la force de sa politique monétaire pour compenser ce qu’elle croit être un manque temporaire de la demande globale.

La logique alambiquée derrière cette stratégie est assez troublante: non seulement pour les Etats-Unis, mais aussi pour l’économie mondiale. Il n’y a rien de cyclique dans les répliques sismiques durables d’une récession de bilan, maintenant évidentes depuis bientôt cinq ans. En effet, l’assainissement des bilans vient tout juste de commencer pour les ménages américains. Le taux d’épargne individuel n’était que de 3,7% en août 2012 – supérieur à la baisse de 1,5% de 2005, mais à la moitié des 7,5% de moyenne relevés lors des trois dernières décennies du XXe siècle. En outre, le surendettement reste massif. Le niveau global d’endettement des ménages s’élevait à 113% du revenu personnel disponible au milieu de l’année 2012, soit 21% de moins que son pic d’avant la crise de 134% en 2007, mais toujours bien au-dessus de la norme 1970-1999 de près de 75%. En d’autres termes, les Américains ont beaucoup plus de chemin à faire sur la voie de la restauration de leur bilan, ce qui ne laisse pas vraiment présager une insuffisance temporaire ou cyclique de la demande des consommateurs. En outre, l’approche de la Fed est gravement compromise par les soi-disant taux d’intérêt bloqués à zéro. Ayant épuisé ses points de base pour réduire ses taux d’intérêt, la Fed a fait appel à la l’aspect quantitatif du cycle du crédit, par injection de doses massives de liquidités dans les veines vides des consommateurs zombies. Afin de rationaliser l’efficacité de cette approche, la Fed a récrit le scénario sur le mécanisme de transmission de la politique monétaire discrétionnaire. Contrairement aux pratiques d’autrefois, quand la réduction du prix du crédit pouvait stimuler l’emprunt, «l’assouplissement quantitatif» fonctionne prétendument en stimulant les actifs et les marchés du crédit. Les effets de richesse produits par les marchés financiers effervescents sont alors présumés revivifier les «esprits animaux» assoupis et faire de nouveau dépenser les consommateurs, indépendamment des contraintes de bilan prolongées.

Mais il y a plus. Une fois réglé le problème de la demande, selon cet argument, les entreprises vont commencer à embaucher de nouveau. Et hop! une solution non conventionnelle satisfait comme par magie le mandat longtemps négligé de la Fed pour lutter contre le chômage. Mais la manœuvre politique de la Fed a mis les Etats-Unis sur la mauvaise voie. En effet, la Fed a doublé la mise sur une approche visant à recréer la folie d’un modèle de consommation dépendant du capital et du crédit – précisément l’erreur qui a poussé l’économie américaine vers le gouffre en 2003-2006.

De même que deux cycles précédents d’assouplissement quantitatif ont échoué à accélérer la restauration du bilan des ménages américains, il y a peu de raisons de croire que «AQ3» fasse l’affaire. L’assouplissement quantitatif est un instrument rudimentaire, au mieux, et qui opère par le biais de canaux très détournés – donc douteux. De manière significative, il ne fait presque rien pour atténuer le double problème de l’endettement excessif et de l’insuffisance de  l’épargne. Les politiques visant à une remise de dette directe et au renforcement des incitations à l’épargne – assurément controversées – s’attèleraient au moins au problème du bilan des consommateurs zombies.

En outre, les effets secondaires de l’assouplissement quantitatif sont importants. Beaucoup s’inquiètent de la recrudescence de l’inflation, même si compte tenu du relâchement démesuré de l’économie mondiale et de la probabilité qu’il se poursuive pendant les années à venir, cela ne figure pas en tête de ma liste de surveillance. Bien plus déconcertante est la volonté des grandes banques centrales – et pas seulement de la Fed, mais aussi la Banque Centrale Européenne, la Banque d’Angleterre et la Banque du Japon –  d’injecter massivement des liquidités en excès sur les marchés des actifs, excès qui ne peuvent être absorbés par la stagnation des économies réelles. Cela met les banques centrales dans la position déstabilisante d’abdiquer leur contrôle sur les marchés financiers. Dans un monde en proie à une instabilité financière apparemment endémique, ceci pourrait s’avérer être le développement le plus destructeur de tous. Les pays émergents s’alarment devant  la tactique imprudente des grandes banques centrales. Les dirigeants des économies émergentes craignent des retombées sur les marchés des matières premières, ainsi que des distorsions des taux de change et des flux de capitaux, qui peuvent compromettre leur propre implication dans la stabilité financière. Bien qu’il soit difficile de suivre les flux transfrontaliers alimentés par l’assouplissement quantitatif dans les pays soi-disant avancés, ces craintes sont loin d’être dénuées de fondement. Les injections de liquidités dans des pays développés à taux d’intérêt zéro envoient des investisseurs affamés de rendement faire des pieds et des mains pour dénicher ailleurs des opportunités de croissance. Alors que l’économie mondiale a connu des crises successives ces dernières années, le remède est devenu une partie intégrante de la maladie. Dans une ère de taux d’intérêt zéro et d’assouplissement quantitatif, la politique macroéconomique a été déséquilibrée par la dure réalité postérieure à la crise. Des médicaments non testés sont utilisés pour traiter la mauvaise maladie et on continue de négliger le malade chronique.

Stephen S. Roach/Project Syndicate Oct12

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