Philippe Bechade(Agora)/BFM 20 Mars 2013 et un point global sur la situation chypriote
Chypre: le secteur bancaire peut-il vraiment se relever?
Le Parlement chypriote a rejeté mardi soir le plan de sauvetage européen pour l’île après le tollé provoqué par la taxe sans précédent sur les dépôts bancaires qui y est prévue, mais les dirigeants de la zone euro ont immédiatement réitéré leur offre, estimant que la balle était « toujours dans le camp » de Chypre.
Comme l’Islande et l’Irlande avant elle, Chypre va devoir se battre pour empêcher son secteur bancaire hypertrophié de mettre le pays à genoux après le rejet mardi soir par le parlement du projet de loi sur la taxation des comptes bancaires.
Quelle que soit la solution alternative inventée par Chypre pour remplacer cette taxation, le parallèle avec les expériences islandaise et irlandaise de ces dernières années montre que l’assainissement risque de se faire dans la souffrance.
• Le gouvernement islandais a laissé ses banques faire défaut et introduit le contrôle des changes, ce qui a rendu plus difficile le financement de l’économie. L’Irlande a pour sa part nationalisé pratiquement toutes ses banques, ce qui a débuché sur un quadruplement de son endettement. • Les deux pays sont à nouveau en phase de croissance mais des problèmes de fond demeurent. Les particuliers des deux pays sont toujours noyés sous leur dette immobilière. En Irlande, le taux de chômage reste à 14% tandis que l’Islande hésite toujours à lever le contrôle des changes de crainte d’une fuite des capitaux étrangers. Tout cela augure de difficultés pour Chypre dont les banques souffrent à la fois de leur forte exposition à la Grèce et à des fonds russes de provenance parfois douteuse. Pour sauver ses banques et honorer les factures de l’Etat, Chypre a besoin de 17 milliards d’euros, soit près de l’équivalent de son produit intérieur brut (PIB) annuel. Dix milliards proviendraient d’un financement européen et le reste de la taxation des comptes bancaires.
Le secteur bancaire représente désormais huit fois la taille du PIB chypriote. Les dix milliards d’euros du renflouement chypriote, relativement faibles en valeur absolue par rapport aux plans de sauvetages grec et irlandais, respectivement de 240 et 67,5 milliards d’euros, apparaît énorme pour une île d’un million d’habitants seulement. Cela en dit long sur ce qu’est devenu le secteur bancaire.
Le fond de la crise Les banques chypriotes, qui ont profité d’un fort développement en Grèce qui leur a permis de doubler leur encours de prêts en six ans – il s’élève à 72 milliards d’euros – ont d’autant plus souffert de la crise grecque.
Les deux principales banques chypriotes, la Banque de Chypre et Marfin Popular ont dû avaler la dépréciation de la dette grecque aux mains des créanciers privés décidée fin 2011 par les dirigeants de la zone euro.
Pour sauver ses banques et honorer les factures de l’Etat, Chypre a besoin de 17 milliards d’euros.
Outre l’exposition à la Grèce, le secteur bancaire chypriote a grossi grâce à l’afflux de fonds russes à partir de l’effondrement de l’Union soviétique en 1991.
Le secteur bancaire représente désormais huit fois la taille du PIB chypriote. Ce ratio était de dix fois pour la petite Islande et de plus de quatre fois pour l’Irlande avant leurs crises. Dans les deux pays, les banques avaient profité de financements bon marché pour se jeter à corps perdu dans la spéculation.
PLUS DE CHYPRE EN SUIVANT:
Taux d’intérêt élevés, faible taxation – un traité règle notamment la double imposition avec la Russie – ainsi que la même tradition orthodoxe dans les deux pays expliquent l’afflux de fonds russes à Chypre. La ville de Limassol, centre financier de l’île, a été surnommée « Limagrad ».
Le tiers des 70 milliards d’euros de dépôts bancaires à Chypre est détenu par des non-résidents, pour la plupart russes. Au total, les dépôts ont augmenté de plus de 60% sur la période 2007-2012, selon les chiffres de la banque centrale.
Les spécialistes soulignent toutefois que les prêts accordés par les banques chypriotes sont financés à près de 100% par les dépôts. En Irlande et en Islande, les banques se finançaient sur les marchés et cela a signé leur arrêt de mort.
C’est en fait l’ampleur des entrées de capitaux à Chypre qui inquiète les autres pays européens, qui craignent que l’île ne soit devenue un paradis pour le blanchiment d’argent et la fraude fiscale. Selon la banque russe Alfa Bank, 70 milliards de dollars de fonds sortis illégalement de Russie ces 20 dernières années pourraient s’être déversés sur Chypre. Le « problème russe » En 2011, le pays a de fait été la destination la plus importante pour les investissements directs russes. Ils se sont élevés à 121,6 milliards de dollars sur un total de 362 milliards, selon les données de la banque centrale russe.
L’agence de notation Moody’s a indiqué la semaine dernière que les banques russes avaient environ 12 milliards de dollars de fonds placés dans les banques chypriotes à la fin 2012. Elle estime à environ 19 milliards de dollars le montant des dépôts des sociétés russes dans les banques chypriotes.
Ce sont des préoccupations qui ont incité les dirigeants de la zone euro le week-end dernier à taxer les comptes bancaires dans le cadre du plan de sauvetage. Malgré l’exposition de Chypre à la Grèce, les dépôts sont restés plutôt stables l’an dernier, en raison notamment de taux d’intérêt très élevés.
Pour le journaliste allemand Jens Berger, les Allemands sont mal placés pour donner des leçons de moralité aux Chypriotes concernant la présence de nombreux investisseurs russes. » Avant même que nous ne commencions à critiquer les Russes pour « leurs » holdings à Chypre : Regardons comment sont organisées les plus grandes compagnies allemandes ? Il n’y a pas une seule société figurant sur la liste de l’indice Dax qui n’ait pas sa filiale dans l’un des paradis fiscaux de l’hémisphère ouest ».
« On ne vole pas l’argent des Russes en toute impunité », affirme quant à lui le gourou de la bourse américaine, Dennis Gartman. « Chypre a été leur Suisse privée pendant des années. Les liquidités russes provenant d’activités légales ou non ont déferlé dans le système bancaire de Chypre depuis le début des années 1990. La beauté de l’île, la facilité d’accès et de départ de l’île, par avion ou par bateau ; le secret des lois bancaires ; le climat chaud méditerranéen et la facilité avec laquelle on pouvait soudoyer les autorités chypriotes, tout désignait Chypre comme la place parfaite pour les fuites de capitaux russes ».
Ces dix derniers jours toutefois, quand les rumeurs ont pour la première fois fait surface d’une mise à contribution des épargnants, deux milliards d’euros ont été retirés par les déposants russes, selon Thomas Keane, co-fondateur du cabinet d’avocats basé à Chypre Keane Vgenopoulou & Associates LLC.
• Selon les termes proposés pour le renflouement de Chypre, une taxe de 20 à 30% sera instaurée sur les intérêts rapportés par les dépôts et le gouvernement devra faire en sorte de ramener le secteur bancaire à la moyenne européenne de 3,5 fois le PIB en 2018. L’instauration d’un contrôle des changes pourrait s’avérer nécessaire.
« Même si une solution de compromis peut être trouvée, la confiance dans la sécurité des dépôts bancaires à Chypre pourrait avoir été définitivement ébranlée, notamment chez les déposants non résidents (…)« , commente Tristan Cooper, analyste crédit chez Fidelity Worldwide Investment.
« Cela risque de déclencher une fuite des capitaux une fois que les banques vont rouvrir et pourrait nécessiter l’imposition d’un contrôle des changes pour endiguer une escalade de la crise bancaire. Le parallèle avec l’Islande, qui elle aussi avait un système bancaire hypertrophié, sont préoccupants. »
La solution à Moscou?
Le ministre des Finances chypriote Michalis Sarris se trouve ce mercredi à Moscou pour tenter d’obtenir un soutien russe au lendemain du rejet par le Parlement du plan de sauvetage européen qui a provoqué la colère des Russes. Arrivé mardi soir à Moscou, Sarris devait rencontrer dans la matinée son homologue russe Anton Silouanov. Il devait demander une extension du crédit de 2,5 milliards d’euros accordé par la Russie à Nicosie en 2011, qu’il doit finir de rembourser en 2016, afin d’obtenir une bouffée d’air frais alors que l’île se trouve en pleine tourmente financière. Le Parlement chypriote a rejeté mardi le plan d’aide proposé par les bailleurs de fonds (Bruxelles et Fonds monétaire international), qui comprend une taxe sans précédent sur les dépôts bancaires. Ce prélèvement exceptionnel, de 9,9% sur les dépôts dépassant 100.000 euros, mettrait notamment à contribution les fortunes russes placées sur l’île en raison de son régime fiscal très favorable. Les experts estiment les pertes subies par les Russes à environ deux à trois milliards d’euros.
Sarris n’est pas le seul membre du gouvernement chypriote à Moscou puisque Reuters rapporte que son homologue de l’Energie, George Lakkotrypis, se trouve actuellement en visite en Russie, officiellement pour des raisons de tourisme. Cependant, pour certains, le ministre de l’Energie serait en train de négocier avec la société de pétrochimie russe Gazprom l’accès à certaines réserves de gaz offshore chypriotes qui ont été découvertes en bordure des eaux israéliennes en monnaie d’échange contre un nouveau prêt russe. A la fin de l’année 2011, Noble Energy a indiqué qu’il était possible de récupérer 5.000 à 8.000 milliards de pieds cubes de gaz naturel au sud de Chypre.
Selon Zero Hedge, la Russie envisage aussi de disposer à Chypre d’une base navale alternative en Méditerranée. Actuellement, la seule base navale russe en Méditerranée est celle de Tartous, en Syrie. Mais compte tenu de l’effondrement du régime d’el-Assad en Syrie, elle recherche un autre site dans la région. Chypre, qui dispose de plusieurs ports en eau profonde, qui est aussi très bien placée du point de vue géographique, sans parler du fait qu’elle héberge déjà de nombreux citoyens russes (50.000 des 800.000 habitants de Chypre sont d’origine russe), serait une bonne candidate. Une base navale russe à Chypre serait un cauchemar pour les Américains.
Les banques grecques l’Eglise Orthodoxe jouent la « solidarité »
La Grèce s’est dite prête à aider les banques chypriotes au travers de son système bancaire. Les principales banques grecques aideraient, si besoin, les banques chypriotes en rachetant les filiales qu’elles détiennent dans les trois grandes banques.
Les banques grecques ont reçu 50 milliards d’euros de la zone euro et du FMI pour mener à bien leur recapitalisation, en cours de bouclage, suite aux pertes qu’elles ont enregistrées lors des opérations d’effacement de dette souveraine imposées par les créanciers.
Le 11 mars, lors de la visite du président chypriote à Athènes, la presse grecque avait fait état d’une demande de Chypre à Athènes d’utiliser pour ses propres banques deux à trois milliards d’euros des 50 milliards reçus par Athènes pour recapitaliser ses banques. Cette demande n’avait pas été confirmée officiellement.
Ironie du sort malgré les difficultés des deux plus grandes banques du pays, la banque Laïki et Bank Of Cyprus, on apprend qu’au terme d’une transaction, l’ex-PDG de Bank of Cyprus, Andreas Eliades, vient d’obtenir une indemnité de départ de 2 millions d’euros.
Parallelement le chef de la puissante église orthodoxe à Chypre, Chrysostomos II, a déclaré mercredi être prêt à mettre les immenses avoirs de l’église à la disposition de l’Etat pour sortir de la grave crise économique, l’église se propose d’hypothéquer les biens de l’église pour l’achat d’obligations d’Etat, sans autre précision. L’église à Chypre est le plus important propriétaire foncier de l’île et a de nombreuses participations dans les sociétés. Il est également actionnaire de la banque chypriote Hellenic Bank. Mgr Chrysostomos a refusé de donner un chiffre précis mais estimé que les avoirs de l’église se montaient à des dizaines de millions d’euros.
Source L’Echo+divers Mars 2013
Catégories :BFM, Chypre, Commentaire de Marché, Europe, L'Etat dans tous ses états, ses impots et Nous, l'hérésie keynésienne, Les Tribulations de la Kleptocratie, Marché Obligataire, Marchés Financiers et Boursiers Actions, Mon Banquier est Central, Risques géopolitiques, sociaux, environnementaux et sanitaires, Russie, Trappe à Dettes
1 réponse »