Le carry-trade semble à nouveau très présent sur les marchés. Un signal potentiel d’une crise à venir. Par Andreas Hofert
Les conséquences prévisibles des opérations de portage
Très souvent, on me demande quel est mon plus grand regret en tant qu’investisseur. Il remonte aux mois qui ont précédé la crise financière en 2007. Je préfère vous rassurer tout de suite: non, je n’ai pas investi dans l’immobilier américain ou dans un dérivé de crédit à la mode.
C’est une opportunité sur le marché des changes qui est en cause. J’aurais dû prendre plus au sérieux certaines anomalies de prix sur ce marché, en raison des risques qu’elles signalaient et des opportunités d’investissement qu’elles offraient. Si je l’avais fait, j’aurais pu bénéficier de l’une des rares protections face au chaos dans lequel les marchés ont sombré en septembre 2008.
Lorsque nous nous étions penchés sur les cours des devises en 2007, mes collègues et moi avions alors constaté des anomalies flagrantes parmi les monnaies du G10: certains taux de change étaient très loin de leur juste valeur telle qu’estimée par l’un de nos modèles de parité du pouvoir d’achat. Entre janvier 2007 et août 2008, nous avions par exemple constaté une surévaluation du dollar australien (AUD) de plus de 60% face au yen (JPY). Moins de 3% des observations faites depuis janvier 1982 ont révélé une surévaluation aussi extrême. En creusant un peu plus, nous avons découvert que cette surévaluation était étroitement liée aux opérations de portage monétaire, communément appelées «carry-trades». Il s’agit d’une opération effectuée sur le marché des changes consistant à emprunter des fonds dans une devise à faible taux d’intérêt (aspect vente de la transaction) pour les placer dans une monnaie à plus fort taux d’intérêt (volet achat). Le différentiel de rendement entre les deux devises se traduit par un bénéfice si la variation du taux de change reste inférieure au différentiel de taux d’intérêt.
Par exemple, l’emprunt à court terme (trois mois) en JPY aurait représenté un coût annualisé de 0,9% par an en décembre 2007 si l’on prend comme référence les taux à trois mois sur le marché monétaire. L’investissement de cet argent dans l’AUD aurait généré un rendement de 7,3% par an. Par conséquent, cela aurait abouti à une plus-value annualisée de 6,4%, soit la différence entre le taux d’emprunt et le taux perçu avec la somme investie.
Mais ce n’est là qu’un aspect des carry-trades. Si cette stratégie est adoptée par de nombreux investisseurs, le cours du JPY baissera et celui de l’AUD montera. En d’autres termes, l’AUD s’appréciera face au JPY, avec à la clé une plus-value plus importante. Cela ressemble à une mine d’or, mais comme nous le savons tous – ou du moins comme nous devrions le savoir – rien n’est vraiment gratuit. La popularité de cette stratégie de carry-trade a créé en 2007/2008 une anomalie de cours frappante, avec à la clé un retour de balancier brutal lorsque la crise financière a atteint son paroxysme. Entre fin juillet et fin octobre 2008, l’AUD s’est déprécié de plus de 45% face au JPY. Quiconque ayant pris le contre-pied de la stratégie carry-trade en 2008 (c.-à-d. acheter le JPY et vendre l’AUD) en 2008 aurait bénéficié d’une couverture quasiment parfaite face à la crise financière.
A l’heure actuelle, nous observons à nouveau des anomalies sur les marchés des changes. Depuis septembre 2013, le dollar néo-zélandais (NZD) est surévalué de plus de 65% face au JPY (l’AUD ne l’est «que» de 55%). Les carry-trades feraient-il un retour en force? Une crise serait-elle prête à éclater? Malheureusement, l’analyse des marchés financiers n’est pas suffisamment simple pour que les analogies fonctionnent toujours.
En 2007, le Japon était un pays en déflation. Les anticipations d’inflation au Japon était nulles, voire négatives. Par conséquent, on pouvait s’attendre à ce que le pouvoir d’achat du JPY reste identique ou augmente par rapport à d’autres devises. Et, du coup, on pouvait anticiper que le JPY, préservant son pouvoir d’achat, s’apprécierait à un moment donné (c’est effectivement ce qui arriva).
Aujourd’hui, suite à la politique économique du gouvernement Abe, les perspectives d’inflation sont en hausse au Japon. Cela signifie que les acteurs du marché tablent sur une baisse du pouvoir d’achat du JPY. Par conséquent, cette fois-ci, il se pourrait bien que le cours du JPY soit rattrapé par sa juste valeur et non l’inverse, comme en 2008, où ce fut la juste valeur qui était rattrapée par le cours du JPY. Etant donné la sous-évaluation criante du yen, l’inflation implicite est gigantesque. A mon avis, c’est de côté-là qu’il faut chercher les irrégularités et la correction à venir.
ANDREAS HÖFERT Chef économiste UBS Wealth Management/ AGEFI SUISSE 13/8/2014
Catégories :Changes et Devises, Commentaire de Marché, Déflation, Indicateur des Marchés, Japon