Entretien Atlantico avec Philippe Simonnot
- Atlantico : 6 ans après la crise de 2008, les économies européennes ont moins bien récupéré que 6 ans après la crise de 1929. Faut-il comprendre que nous n’avons pas appris les leçons de la Grande Dépression ? Lesquelles en particulier ?
Philippe Simonnot : Nous n’avons pas appris les leçons de 1929 parce que nous nions l’origine de la Grande dépression, qui du reste était généralement méconnue à l’époque. Les crises de 1929 et de 2008 ont été, toutes deux, analysées comme résultant d’un excès des marchés et de la spéculation, alors qu’elles étaient toutes deux des déficiences d’origine étatique. Et l’on y a répondu après 2008 comme après 1929 par un recours accru à l’Etat, et donc, fatalement, par une augmentation de l’endettement public. Les économies européennes ont moins bien récupéré tout simplement parce qu’elles sont beaucoup plus étatisées et réglementées que celle des Etats-Unis, et donc plus éloignées des avantages et vertus d’un marché librement concurrentiel. Corriger les effets néfastes de l’étatisme par encore plus d’étatisme ne peut mener nulle part.
- En quoi l’action de l’Union européenne, qui a pour mandat de protéger ses Etats membres, s’est-elle révélée inadaptée ?
Philippe Simonnot : Loin d’être le havre de prospérité promis par ses promoteurs, l’Union européenne figure comme “l’homme malade” du monde, à cause principalement de sa monnaie toute nouvelle, mal conçue et mal gérée. A l’entrave de l’hyper-étatisme s’est en effet ajouté l’effet néfaste de “l’euro fort” fabriqué à Francfort. Situation qui n’est pas sans rappeler celle des années 1930 : à l’époque la Grande-Bretagne et les Etats-Unis ont profité pendant quelques années des effets bénéfiques à court terme d’une dévaluation sauvage de la livre sterling et du dollar. De même aujourd’hui, l’euro reste surévalué par rapport aux monnaies anglo-saxonnes malgré les efforts de la Banque centrale européenne pour accélérer le fonctionnement de la planche à billets pour parvenir au même rythme de gonflement monétaire que le Système de Réserve fédéral des Etats-Unis et que la Banque d’Angleterre.
- Alors que les dirigeants européens considèrent que la crise de la zone euro ne mérite pas plus d’attention qu’un simple déjeuner organisé ce vendredi 24 octobre, quelle responsabilité les élites européennes portent-elles dans la situation actuelle et le fait que la crise s’étale en longueur ? S’en étaient-elles mieux sorties à l’époque ? Pourquoi ?
Philippe Simonnot : Il est impossible aux dirigeants européens actuels de remettre en question l’existence de l’euro sans se ruiner eux-mêmes aux yeux des citoyens qui les ont élus en croyant à leurs promesses. La faillite de l’union monétaire serait la déchéance de toute une classe politique. On comprend que ces naufragés s’accrochent à l’euro comme à une bouée. Le résultat, en l’absence d’une véritable politique de libéralisation de l’économie, c’est la montée inexorable du chômage – et donc des extrêmes en tous genres, qui aggravent encore plus la situation en promettant encore plus de protection étatique, qui ne protège en fait que les nantis.
- Quelles erreurs commises dans les années 1930 ont été concrètement reproduites ? Comment l’expliquer ?
Philippe Simonnot : Les erreurs commises dans les années 1930, reproduites hélas aujourd’hui, se résument à une seule : l’impossibilité de comprendre que les méga-crises de 1929 et de 2008 sont les conséquences de l’abandon de la convertibilité-or des monnaies en août 1914 et du système monétaire dont elle était la clef de voûte. Il est tout-à-fait symptomatique qu’à l’occasion du Centenaire du déclenchement de la Première Guerre mondiale personne n’a songé à rappeler ce fait véritablement fondateur. Du règne de l’étalon-or on est passé du jour au lendemain au règne de la monnaie papier, c’est-à-dire de la fausse monnaie étatique. Résultat : le franc français, pour ne prendre qu’un exemple, dont la valeur était restée pratiquement constante de 1803 à 1914, ce qui n’avait pas empêché une expansion économique remarquable, a été dévalué de 99% de 1914 à 2002, date de sa conversion en euro. Et depuis le glissement continue comme pour le dollar, la livre sterling, le yen et le yuan. Fausse monnaie veut dire pouvoir exorbitant des banques, qui font chanter leurs banques centrales, inégalités monstrueuses au profit de la sphère financière, fuite en avant dans des investissements non validés par le marché (la Cour des Comptes vient de dénicher l’exemple des TGV, mais il y a des centaines d’autres cas, tout aussi coûteux), endettement généralisé, et finalement stagnation et chômage record de longue durée, qui signifie aussi destruction du capital humain se traduisant par une réduction du potentiel de croissance économique lui-même.
- Parmi les remèdes mobilisés pour surmonter les effets de la crise de 1929, lesquels seraient aujourd’hui pertinents ?
Philippe Simonnot : Le New Deal américain, tant célébré encore aujourd’hui, est un mythe qui continue à mystifier politiciens, économistes et journalistes. La crise de 1929 a été surmontée provisoirement aux Etats-Unis par Roosevelt par une dévaluation massive du dollar. En fait, le président américain n’a fait que retarder les échéances. Dès 1938, l’économie des Etats-Unis retombait dans l’ornière de la récession, et elle n’en est véritablement sortie que par la Deuxième guerre mondiale. Il n’y a donc aucune leçon à tirer de la gestion des années 1930, qui a emmené les peuples à un nouveau massacre planétaire. Ce qu’il faut, c’est réinventer, par le marché, une monnaie qui soit ancrée dans la réalité. Les écologistes pourraient se rallier à cette idée, car une monnaie gagée matériellement est forcément respectueuse de la nature. On en est loin ! Mais une mesure toute simple pourrait enclencher le processus en Europe : supprimer le cours légal de l’euro et donc ouvrir la concurrence entre les monnaies qui permettait à la bonne monnaie de chasser les mauvaises.
Philippe Simonnot, auteur de La Monnaie, Histoire d’une imposture, en collaboration avec Charles Le Lien. Perrin
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