Fascisme 2.0

Günther Anders : L’obsolescence de l’Homme

L’obsolescence de l’Homme

« Pour étouffer par avance toute révolte, il ne faut pas s’y prendre de manière violente. Les méthodes du genre de celles d’Hitler sont dépassées. Il suffit de créer un conditionnement collectif si puissant que l’idée même de révolte ne viendra même plus à l’esprit des hommes.

L’idéal serait de formater les individus dès la naissance en limitant leurs aptitudes biologiques innées. Ensuite, on poursuivrait le conditionnement en réduisant de manière drastique l’éducation, pour la ramener à une forme d’insertion professionnelle. Un individu inculte n’a qu’un horizon de pensée limité et plus sa pensée est bornée à des préoccupations médiocres, moins il peut se révolter. Il faut faire en sorte que l’accès au savoir devienne de plus en plus difficile et élitiste. Que le fossé se creuse entre le peuple et la science, que l’information destinée au grand public soit anesthésiée de tout contenu à caractère subversif.

Surtout pas de philosophie. Là encore, il faut user de persuasion et non de violence directe : on diffusera massivement, via la télévision, des divertissements flattant toujours l’émotionnel ou l’instinctif. On occupera les esprits avec ce qui est futile et ludique. Il est bon, dans un bavardage et une musique incessante, d’empêcher l’esprit de penser. On mettra la sexualité au premier rang des intérêts humains. Comme tranquillisant social, il n’y a rien de mieux.

En général, on fera en sorte de bannir le sérieux de l’existence, de tourner en dérision tout ce qui a une valeur élevée, d’entretenir une constante apologie de la légèreté ; de sorte que l’euphorie de la publicité devienne le standard du bonheur humain et le modèle de la liberté. Le conditionnement produira ainsi de lui-même une telle intégration, que la seule peur – qu’il faudra entretenir – sera celle d’être exclus du système et donc de ne plus pouvoir accéder aux conditions nécessaires au bonheur.

L’homme de masse, ainsi produit, doit être traité comme ce qu’il est : un veau, et il doit être surveillé comme doit l’être un troupeau. Tout ce qui permet d’endormir sa lucidité est bon socialement, ce qui menacerait de l’éveiller doit être ridiculisé, étouffé, combattu. Toute doctrine mettant en cause le système doit d’abord être désignée comme subversive et terroriste et ceux qui la soutiennent devront ensuite être traités comme tels. »

Günther Anders, « L’Obsolescence de l’homme », 1956

« Mais le plus dangereux ennemi que tu puisses rencontrer sera toujours toi-même  » – Nietzsche

EN BANDE SON : 

5 réponses »

  1. Le livre d’Anders « L’obsolescence de l’homme » date de 1956 (traduit en Français en 2002), alors que le texte chez Huxley date de son livre « Le meilleur des mondes » en 1939….. Bizarre…?

  2. L’obsolescence de l’Homme? Non, l’obsolescence PROGRAMMÉE de l’Homme!
    L’Humain a par dessus l’instinct des autres espèces cette surcapacité a en déformer le spectre d’action, l’étendre par une perversion univoque qui le conduit à proscrire les limites que la Nature prodigue aux autres espèces.
    L’état de Nature chez l’Humain a souscrit l’instinct aux horizons culturels. De l’instinct, il a traduit une pratique qui convenait à satisfaire ses besoins fondamentaux. Du rituel des actes à la réalisation des nécessités premières, il a, entre temps, domestiqué le feu des dieux. Ce feu fut aussi prométhéen , il l’a sacralisé et en a fait le cœur thermodynamique et spirituel de sa civilisation, le feu de son immense caverne, le foyer éclairant de sa réalité physique et symbolique.
    Du feu sacré, le Prytanée du Feu perpétuel, il sacralisa l’espace de vie, son territoire. Du feu domestiqué, il gouttait enfin au confort, celui de la protection face aux prédateurs mais aussi celui de pouvoir mastiquer plus aisément des aliments cuits ce qui devait lui apporter des nutriments nouveaux et bien mieux assimilables pour un cerveau en quête de développement cognitif.
    Tout aspect positif possède sa contre valeur négative et pour le feu ce fut: le confort.
    Ce confort s’accompagnait d’une libération du temps d’occupation pour les nécessités de survie… Les « loisirs » étaient nés, discrètement, subtilement et devaient offrir aux désirs le surplus que tout sujet appelait à lui dès lors qu’il en goûta les fruits.
    La culture, qui n’est que le nom attribué à nos rituels du quotidien et qu’instituait incidemment l’instinct de survie, a pu opérer une mutation lente; d’abord sacrée puisque toute action s’inscrivait en fidélité « comporte-mentalisée » des dieux dont on espérait la protection et l’assurance par leur mansuétude. L’Harmonie collective du monde se réglait en un temps sacré dans un espace sacré (Axis Mundis) c.à.d. autant cosmique que Naturel; ceci, afin de respecter l’équilibre entre le monde divin et les éléments constitutifs de la Nature dont l’Humain.
    L’appel du confort résonna donc chez l’individu comme un désir ardent, égotique, cupide et passionnel. Un besoin qui ne peut trouver aucune satisfaction définitive car les besoins sont comme les désirs qu’ils s’alimentent mutuellement et c’est là addiction et servitude véritable, premier critère de la servilité par l’ insatiabilité.
    Un souffle torride issu du brasier du cœur échauffait outre mesure ses instincts, tandis que la raison humaine habillait de toutes les vertus possibles et fantasmatiques pour fournir à un sujet pensant et agissant ( son Moi centripète et réflexif comme juge et arbitre de lui-même), une légitimité achalandée dans le seul tissus du mensonge. L’Ego adjurerait par la fuite en avant devant un vide existentiel que signifie cette indicible peur de la mort. Peur de la mort, de ses conséquences, qui pourtant le tenaillait sans relâche -qu’il en eut conscience ou non- et pour laquelle il sécrète l’espoir que l’ici-bas serait le continu dans l’au delà (voyez ses empereurs et le soin qu’ils apportèrent à se faire un mausolée « tout confort » à l’image des biens qu’ils chérissaient et qu’ils espéraient emporter avec eux dans un paradis aux accents si mondains).
    Ces humains là sont consumés par le feu sacré des passions, feu dévorant de l’intérieur mais projeté à l’extérieur car non domestiqué. Il détruit tous les jours un peu plus la Nature car il avilit aussi chaque jour ces « porteurs de lumière du monde » (sens étymologique de Lucifer) se relayant le flambeau de l’abetissement génération après génération, avilissant un peu plus la Nature Propre du sujet qu’il soumet en s’en faisant le porteur zélé.
    Qu’ils se prennent pour des dieux! Et les voilà esclaves de forces délétères qui les dominent.
    L’étude et le questionnement du Mal porte un nom savant: la ponérologie.
    La question du Mal est-elle étrangère à l’Humain comme le pensait Plotin, est-il le fruit convenu de la matière?: « Pour mieux déterminer le Mal, on peut se le représenter comme le manque de mesure par rapport à la mesure, comme l’indétermination par rapport au terme, comme le manque de forme par rapport au principe créateur de la forme, comme le défaut par rapport à ce qui se suffit à soi-même, comme l’illimitation et la mutabilité perpétuelle, enfin comme la passivité, l’insatiabilité et l’indigence absolues. Ce ne sont pas là de simples accidents du Mal, c’est pour ainsi dire son essence même : quelque portion du Mal qu’on examine, on y découvre tout cela. Les autres objets, lorsqu’ils participent du Mal et lui ressemblent, deviennent mauvais sans être cependant le Mal absolu.(…) nous ne sommes pas le principe du Mal, nous ne sommes pas mauvais par nous–mêmes ; les maux existent avant nous. Si les hommes s’abandonnent au vice, c’est malgré eux.(…) les hommes triomphent du mal par celle de leurs facultés qui n’est pas engagée dans la matière. » (1)
    Effectivement, on se détache des forces impériales du Mal dès lors qu’on commence à désirer s’en affranchir. C’est commencer par mettre des mots sur les maux puis des actes, comme un baume, sur des plaies. Le Mal cicatrise quand le bon remède est appliqué chaque jour: ce remède, c’est la connaissance qui mène au Savoir et qu’associée à l’expérimentation l’Etre transcende en Sagesse.
    Doit-on voir le Mal comme un incontournable de la Nature et de la matière ou ce qui se montre du Mal n’est-il autre que l’essence d’une chose insondable, une force en action qui cherche sa résonance dans sa contrepartie compatible? Est-ce là son évidente puissance délétère, qui, dans les interstices poreux du cœur Humain, pénètre et investit le lieu?.
    N’ y a t-il pas communication/interaction dans la Nature et « sur-nature » dans un jeu de puissances ou les pôles s’opposent selon des lois commandées par un Principe qui leur est supérieur?, Les forces s’attirent et se pénètrent mutuellement par les objets qu’elles soumettent et n’est il meilleur candidat que l’Humain, lui qui surclasse ses instincts?.
    Les forces sont en compétition, elles se nourrissent l’une au dépens de l’autre et l’autre vis à vis de l’une, elles sont les sons d’instruments nombreux pour une symphonie magistrale. Les silences, l’ordre et le chaos ponctuent l’espace qu’elles emplissent et animent ce grand ballet.
    Le Mal n’est-il finalement -comme l’amour et le bien- que le sous-produit manifesté d’une essence absolue comme l’Amour et le Bien peuvent l’etre au sens du Principe sur déterminant et archétypal ?… N’y a t’il -dans l’impermanent- qu’un absolu Bien, Vrai et Juste et n’est il dans le cœur de l’Humain qu’une possibilité du bien comme du mal et du vrai comme du faux? Il y aurait mesure du bien que par l’épreuve du mal et tout objet du bien comme du vrai serait aussi la condition sine-qua-non de l’Etre vis à vis de ses intimes manifestés dans ses externes: Les ombres sur les parois du prisonnier de Platon appellent la libération du prisonnier par la découverte du Feu Sacré avec lequel il ne fait qu’Un… puis au sortir du monde il découvre sa demeure essentielle, véritable: le Soleil immense et permanent.
    Tous les moyens mis en oeuvre pour désœuvrer l’humain sont autant de forces dédiées au chaos. Si la tendance longue inscrivait un optimum chaotique, soyez certains que le balancier parachèverait sa course pour mieux repartir en sens inverse… celui du bien…
    Il n’est de mérite plus grand dans l’obscurité des ténèbres que celui qui cherche et trouve son étoile, elle sera alors son guide et sa force. Si l’oeuvre démoniaque devait asseoir son pouvoir sur les Etres il échapperait à cette règle matricielle de l’enténèbrement quelques photons rebelles cherchant leur association pour rallumer le foyer du Bien, du Vrai comme du Juste dans le cœur et la raison unifiée d’une humanité avilie jusqu’ici par l’ignorance.
    « Pour triompher, le mal n’a besoin que de l’inaction des gens de bien » (Edmund Burke, 1729-1797)
    (1) http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/plotin/enneade8.htm

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