La protection de la liberté économique des individus a besoin de son pendant juridique, qui n’est pas conçu pour voler le fisc….
PLUS DE DETAILS EN SUIVANT :
Par Hans-Wolfgang Frick Groupe de Riencourt (Suisse)
A l’heure où le secret bancaire subit les attaques conjuguées des démocraties occidentales, il nous semble important de remettre en perspective ce principe juridique sous un angle éthique. Notre gouvernement a donc informé UBS, et de ce fait les autorités américaines, de son refus de voir l’instrument qu’est le secret bancaire vidé de sa substance pour laisser la banque se soumettre à une éventuelle décision judiciaire américaine. C’est ici la preuve que le secret bancaire ne relève pas seulement d’une bagatelle administrative mais trouve sa source dans les fondements les plus essentiels de notre Etat. Il est davantage un droit constitutionnel non écrit qu’une réglementation de pacotille.
Pas plus qu’une autre forme de secret, le secret bancaire n’est conçu pour tricher, voler le fisc ou échapper à ses obligations contractuelles. Le secret bancaire se conçoit comme le pendant économique de la protection de la sphère privée. Il peut se définir comme suit: «L’obligation de discrétion que les représentants et les employés d’une banque doivent garantir sur les affaires économiques de leurs clients ou de tiers, parvenues à leur connaissance dans l’exercice de leur profession.» Cette obligation en tant que telle ne libère pas le citoyen de ses devoirs vis-à-vis de son Etat, notamment celui de s’acquitter de ses impôts.
Au cours de l’Histoire, le secret bancaire a permis à des groupes persécutés d’échapper à des dictateurs peu scrupuleux pour lesquels les droits fondamentaux ne constituaient pas un corpus de règles privilégié. Il faut prendre en considération le grand rôle éthique que le secret bancaire a joué.
Avant l’énoncé légal même de ce principe, au stade de la coutume, les Huguenots ont pu se sauver des grandes manœuvres spoliatrices de Louis XIV qui n’a pas hésité à recourir à des espions pour tenter de confisquer leurs fortunes.
Il a aussi aidé une partie de la population allemande d’éviter d’être ruinée par l’hyperinflation de la république de Weimar.
Plus récemment, c’est en faveur des victimes du IIIe Reich qu’il a joué le rôle de bouée de sauvetage.
Aussi, certaines pratiques fiscales peuvent expliquer qu’un individu cherche à sauver le fruit de son travail face à l’arbitraire d’un Etat trop gourmand, voire exploitatoire. Le secret bancaire ne justifie pas la fraude, évidemment, mais peut constituer un frein à un appétit trop gourmand de certains Etats.
Un grand nombre de personnalités menacées qui ont cherché abris en Suisse ont pu le faire grâce au secret bancaire.
Il est d’autant plus surprenant que l’Angleterre rejoint la meute opposée au secret bancaire alors qu’elle offre elle-même aux riches étrangers un régime fiscal des plus favorables qui n’a rien à envier à notre système juridique.
Pour un libéral, la société doit accorder à l’individu le droit de se développer. Les contraintes doivent être limitées, tout comme les capacités de nuisance de l’Etat sur la sphère privée. Cette sphère privée n’a d’existence réelle que si elle est accompagnée de mesures qui garantissent une certaine intimité.
Il nous semble essentiel que les questions patrimoniales restent avant tout le domaine du propriétaire. Les possibilités pour la collectivité de mettre son nez dans une affaire doivent se limiter au strict minimum et assurer certaines garanties de procédure. Etaler au grand jour le revenu ou la fortune d’un individu ne doit dépendre que de sa propre volonté, faute de quoi la sphère privée n’est qu’une chimère. En dehors d’une procédure pénale, il n’est pas imaginable que quelques fonctionnaires puissent décider la levée de la protection de la sphère privée. L’attitude américaine est à ce sujet seulement partiellement indéfendable, notamment à cause des activités d’UBS sur place. En effet, les méthodes de pirate qu’a employées la banque suisse ne sont pas dignes d’un établissement de cette taille et de cette réputation. A ce titre, la banque zurichoise sera condamnée. Il est néanmoins important que l’on ne jette pas le bébé avec l’eau du bain et que l’on sache distinguer ce qui est condamnable – l’instigation à la fraude – de ce qui doit être impérativement conservé – le secret bancaire.
La problématique du respect de la sphère privée se pose tous les jours et, chose curieuse, les fronts se retournent dès que les banques ne sont plus dans le coup. Prenons le débat sur l’introduction de passeports biométriques. Une grande partie de la gauche martèle que l’adoption de ces nouveaux documents d’identité ouvrira une nouvelle ère de fichage des citoyens, l’Etat recevant la responsabilité d’informations beaucoup trop sensibles.
Mais de quelles informations parlons-nous? D’une photo couleur, d’une copie d’empreintes digitales? Ces données ne véhiculent aucune information sur la personnalité du citoyen. On ne peut pas deviner le mode de vie, les choix de consommation ou les ambitions professionnelles d’un individu à partir de ses empreintes digitales ou de sa photographie. Au regard de la protection de la sphère privée et de la menace de fichage brandie par certains, il paraît beaucoup plus urgent de défendre le secret bancaire que de s’attaquer aux nouveaux documents d’identité. De même, les défenseurs de la protection de la sphère privée sur Internet ne peuvent pas simplement passer sous silence celle du secret bancaire. Votre adresse Internet ne contient en tant que tel pas d’information susceptible de vous décrire, et par là même de vous nuire.
Le secret bancaire n’est pas seulement un outil pour frauder. Prétendre le contraire revient à dire que le secret médical ne sert qu’à protéger les criminels. Dans un cas comme dans l’autre, le secret peut être levé, pour de justes motifs, suite à une procédure dans laquelle chacun dispose du droit d’être entendu et de faire valoir sa cause. Ce n’est pas l’administration qui, unilatéralement, décide de la levée du secret, mais un juge libre et impartial statuant sur des faits. Bien que la question soit pour nous particulièrement importante sous un angle économique, le secret bancaire nous renvoie à des problématiques éthiques et aux garanties fondamentales dont dispose tout citoyen face à l’Etat. Négliger cette dimension, soit pour mieux enterrer l’instrument, soit pour l’utiliser à mauvais escient, n’aura jamais pour effet que d’éloigner le débat de l’essence du secret bancaire.
EN COMPLEMENT INDISPENSABLE : Laissez les banques suisses en paix
PIERRE BESSARD Economiste
La semaine dernière, un client américain de la banque suisse UBS admit avoir rempli une fausse déclaration d’impôt et dissimulé des millions dans des comptes suisses. Pour certaines personnes, sa plaidoirie confirmera leur impression de la Suisse comme havre pour criminels et dictateurs qui veulent protéger leurs fonds du fisc ou de toute surveillance. Mais pour nous ici en Suisse, nos lois sur la sphère privée financière constituent un fondement de la dignité individuelle et des droits de propriété essentiels.Malheureusement, la confidentialité, l’un des traits caractéristiques de l’activité bancaire suisse, est soumise à de plus en plus de pressions. La crise économique mondiale a amené certains gouvernements à intensifier leurs efforts pour convoiter des recettes fiscales à l’étranger – et la Suisse, qui représente près de 30% de toutes les fortunes privées offshore, est une cible naturelle.
En début d’année, la Suisse a été placée sur une «liste grise» par l’Organisation de coopération et de développement économiques et menacée avec des sanctions financières, ce qui a conduit le gouvernement à renégocier provisoirement des accords fiscaux avec une douzaine de pays jusqu’ici.
La plupart de ces accords exigeraient de la Suisse de transmettre des informations financières personnelles à des fins fiscales en consonance avec les standards de l’organisation.
Le Département américain de la justice est allé encore plus loin et a intenté une action contre UBS demandant les noms de 52.000 titulaires de comptes soupçonnés de dissimuler des fonds du fisc américain. (Les Etats-Unis et la Suisse se sont mis d’accord vendredi en 15 sur le principe de régler cette affaire de manière extrajudiciaire.)
La Suisse, qui abrite un nombre impressionnant de sociétés globales, a aussi été critiquée par l’Union européenne pour offrir des conditions fiscales trop favorables, dont des exemptions pour les revenus générés à l’étranger. Mais ce que les critiques oublient, c’est que ces pratiques bénéficient également d’autres pays. Les sociétés suisses uniquement emploient des centaines de milliers de personnes aux Etats-Unis et en Allemagne, par exemple. Les filiales de sociétés multinationales paient en général l’impôt sur le bénéfice là où elles opèrent, si bien qu’avoir leurs quartiers-généraux en Suisse peut aider des entreprises à éviter une multiple imposition dans des pays à impôts élevés et ainsi à préserver des capitaux productifs pour leurs investissements.
Jusqu’à récemment, le gouvernement suisse avait fermement insisté sur la souveraineté suisse et refusé de fournir une assistance à d’autres gouvernements dans les cas d’évasion fiscale – à savoir lorsqu’un contribuable ne déclare pas un revenu, soit intentionnellement, soit par négligence. Alors que la fraude fiscale est considérée comme un crime ici, l’évasion fiscale ne l’est pas (bien qu’elle puisse faire l’objet d’amendes). La particularité suisse de considérer l’évasion fiscale comme une simple offense administrative a une longue histoire. Nous estimons que l’Etat existe pour nous servir, et non l’inverse. Nous sommes d’accord de payer des impôts – et de nombreuses études montrent que les Suisses sont extraordinairement honnêtes lorsqu’il s’agit de payer les impôts qu’ils doivent – mais nous pensons que ce n’est pas le rôle de l’Etat que de s’introduire dans notre sphère privée pour nous les soutirer. Cette attitude remonte à la fondation de la Suisse au XIIIe siècle. Le ressentiment des communautés suisses d’origine envers ce qu’ils considéraient comme l’oppression fiscale des Habsbourg contribua à les pousser à exiger leur indépendance en 1291.
Aujourd’hui, les citoyens suisses continuent de voter sur les augmentations d’impôts (qu’ils acceptent parfois) par référendum. Ces limitations saines de l’Etat contrastent avec le concept orwellien du «citoyen transparent» dont chaque action est connue de l’Etat.
Nous considérons notre système comme un pacte social entre citoyens et gouvernants. Les lois suisses sur la sphère privée préservent les droits de propriété essentiels. Le secret bancaire fut introduit en 1934, lorsqu’il s’agissait notamment de protéger l’identité et les biens de Juifs d’Allemagne nazie. (Malheureusement, ces mêmes règles ont rendu l’accès difficile à ces comptes pour certains descendants sans documentation appropriée, ce qui a mené à un accord extrajudiciaire en 1998 aboutissant au paiement de 1,25 milliard de dollars par les banques suisses afin de régler les actions en justice liées à l’Holocauste.) La corruption, les expropriations, le crime et la persécution de différentes minorités demeurent des risques dans la plus grande partie du monde. Pour les personnes menacées par ces risques, la sphère privée financière peut protéger leur propriété légitime. Certains feront valoir que les comptes suisses offrent la même protection aux criminels, mais en réalité, les dispositions contre le blanchiment d’argent sont sévères. Les banquiers suisses doivent connaître leurs clients et l’origine des fonds qu’ils acceptent. Ils doivent alerter les régulateurs s’ils soupçonnent une activité criminelle. La confidentialité bancaire bénéficie d’un soutien très fort en Suisse. Selon le dernier sondage annuel de la firme M.I.S Trend, 78% favorisent le maintien des lois telles qu’elles sont, et 91% indiquent qu’ils tiennent à leur sphère privée financière. Ces résultats sont particulièrement importants, étant donné que les citoyens suisses devraient voter finalement, en référendum, sur les traités fiscaux renégociés.
Si le gouvernement échoue à convaincre une majorité de votants, les traités n’entreront pas en vigueur. Mais s’ils sont ratifiés comme prévu, le gouvernement suisse ne devrait accorder qu’un échange d’informations dans des cas individuels avec un soupçon raisonnable de fraude fiscale. Les autres gouvernements devraient considérer cela comme un compromis équitable. Nous ne résoudrons pas le problème mondial de l’évasion fiscale en punissant les déposants honnêtes et en détruisant les traditions suisses.
Cet article a été publié dans sa version originale anglaise dans le New York Times et l’International Herald Tribune du 3 août 2009.
Catégories :L'Etat dans tous ses états, ses impots et Nous
J’ai lu votre article dans “Le temps” ce jour je crois.
C’est bien entendu mon point de vue que j’avais défendu dans mon blog, un peu en sommeil en ce moment.
Le problème de l’économie mondiale en occident en ce moment n’est pas que la Suisse ait un secret bancaire, mais que les autres pays occidentaux n’en aient plus.
Cordialement
Pierre MICHON