Behaviorisme et Finance Comportementale

L’économie psychologique appliquée aux classements académiques

Pour mieux dénoncer et renouveler la methode qui prévaut à l’établissement de ces classements et l’impact induit sur les travaux des chercheurs…

L’évaluation de la recherche académique ne cesse d’être affinée, détaillée, et contrôlée, mais les bases méthodologiques sont problématiques, selon le professeur zurichois Bruno S. Frey. Celui-ci propose de nouvelles bases théoriques qui s’appuient sur l’économie «psychologique». L’idée consiste à choisir entre la quête d’argent ou la recherche d’autonomie du chercheur.

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La gouvernance de la recherche académique devient problématique si l’on en croit l’un des plus éminents chercheurs suisses, Bruno S. Frey, et sa collègue Margit Osterloh (1).

De plus en plus, les universités emploient des méthodes de classement de leur compétitivité semblables à celles des entreprises privées.

Les universitaires sont ainsi payés en fonction de leur rendement, lequel est mesuré par des ratings, des citations, des classements et la capacité à lever des fonds. Les mécanismes sont de plus en plus affinés et complexes, mais ce choix se fonde sur une théorie qui pose problème. Il s’agit de la théorie de l’agence (asymétrie de l’information). Plutôt que de remettre en cause la méthode elle-même, on entre dans des détails toujours plus absurdes, regrettent les auteurs.

Les résultats des classements, qu’on appelle aussi bibliométrie, sont rarement concordants . Ils mènent à un fort biais anglo-saxon, sur-pondèrent certaines revues ou publications, sans parler d’erreurs plus ou moins manifestes dans la gestion des résultats.

De plus, le fait de connaître le mécanisme de sélection amène quantité de scientifiques à développer des stratégies pour «battre le système» et se retrouver bien classés. Bruno S. Frey parle même de «prostitution académique» à propos des 25% d’auteurs qui modifient leurs résultats en fonction des suggestions de leurs juges, alors même qu’ils savent que les modifications exigées sont fausses.

Enfin, contrairement à l’idée d’autonomie des chercheurs, cette prolifération d’instruments de mesure conduit de plus en plus de politiciens et managers extérieurs au système à porter un jugement définitif sur les chercheurs.

Pourtant peu de gens remettent en question cette méthode de sélection académique. S’y opposer signifierait une peur de la concurrence. On suit les règles et on paie des «stars» académiques, peut-être inutilement. Et en tout cas, on produit une recherche scientifique de plus en plus homogène. La bibliométrie est une chasse à la place plutôt qu’une volonté de faire avancer la recherche, selon les deux économistes zurichois.

Il existe une alternative à la bibliométrie, «l’économie psychologique», expliquent-ils. Il s’agit d’une critique des hypothèses mêmes du modèle de comportement de l’homo economicus que proposent les chercheurs, et qui stipule que: la rationalité de l’individu est limitée. Sa motivation n’est pas seulement dépendante de récompenses externes mais a aussi ses raisons propres. Enfin ses besoins vont au-delà de la seule dimension financière. La curiosité est par exemple un besoin profond de l’individu.

L’économie psychologique est très récente, même si elle s’appuie sur les travaux de Merton en 1973, lequel avait parlé du «goût pour lascience». Cette approche accorde un poids majeur à des motivations telle que l’autonomie du chercheur, la reconnaissance et le feedback de la part des pairs, notamment par des «Awards» plutôt qu’un bonus financier. Elle se traduit par une sélection approfondie du chercheur puis d’une garantie d’autonomie dans ses travaux. Mais sur la question de l’allocation des sources de financement, l’économie psychologique n’en est qu’à ses débuts.

(1) Research governance in academics: Are there Alternatives to Academic Rankings? Margit Osterloh, Bruno S. Frey, CESifo Working Paper 2797, 2009

Emmanuel Garessus le temps jan 10

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