La crise financière de 2009 s’est transformée en angoisse budgétaire pour 2010. Cela est particulièrement vrai dans la zone euro. Fin janvier, les écarts de taux d’intérêt sur les obligations grecques et les Bunds allemands ont atteint 3,86 points de pourcentage. Il existe aujourd’hui un risque de crise de confiance “autogénérée” qui pourrait avoir des conséquences néfastes pour d’autres membres vulnérables de la zone.
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L’opinion courante est que les crises de ce type résultent des mauvaises politiques menées dans certains pays. On évoque leur trop grande souplesse budgétaire et la rigidité de leur économie. Le fruit de pareils péchés est l’austérité. Et ce n’est qu’après une longue période de pénitence que la brebis égarée peut revenir dans le troupeau de la stabilité. La Grèce tient à la perfection ce rôle de pécheur : Athènes reconnaît même avoir “trafiqué” ses statistiques officielles.
L’Irlande et l’Espagne ont aussi connu de spectaculaires détériorations de leur déficit public -il devrait s’être creusé, respectivement, de plus de 12 % et de 10 % du produit intérieur brut (PIB) entre 2007 et 2010. Or ces pays n’étaient jusqu’ici guère connus pour leurs errements budgétaires.
L’opinion courante voudrait également qu’une fois effectuées les corrections nécessaires en termes de dépense publique et de flexibilité, les pays concernés retrouvent le chemin de la croissance, comme ce fut le cas pour l’Allemagne après les douloureux ajustements opérés par Berlin au début de la décennie 2000.
Cette même opinion estime par ailleurs que l’existence d’énormes déséquilibres entre les balances des comptes courants au sein de la zone euro n’a aucune influence ni sur le problème ni sur sa solution. Car il n’y aurait pas plus de raison de s’inquiéter de ces déséquilibres que de s’inquiéter de ceux que l’on peut observer entre les divers Etats des Etats-Unis.
Cette opinion répandue est, hélas, stupide. Car si les décideurs n’en prennent pas conscience, ces déséquilibres risquent de conduire la zone euro vers de fortes tensions. L’affirmer est certes brutal mais tant que la Banque centrale européenne (BCE) tolérera une faible demande dans l’ensemble de la zone euro tout en laissant les pays du centre, au premier rang desquels l’Allemagne, présenter des excédents commerciaux massifs, il sera pratiquement impossible pour les membres les plus faibles de sortir du piège de leur insolvabilité. Le problème auquel ils sont confrontés ne peut en aucun cas être résolu par la seule austérité budgétaire. Ils ont besoin d’une énorme relance de la demande extérieure comme débouché à leur production.
Le point commun des pays en difficulté est qu’ils ont bénéficié de booms alimentés par le crédit. Leurs secteurs privés ont dépensé infiniment plus qu’ils ne gagnaient, faisant gonfler les recettes fiscales, contractant la dépense publique et générant des déficits commerciaux gigantesques mais aisément financés. Cela a également bénéficié aux exportations et à l’activité économique de leurs partenaires commerciaux.
Puis est arrivé le crash. Le nombre des emprunteurs privés solvables s’est réduit comme peau de chagrin. La dépense privée s’est effondrée, tout comme, par voie de conséquence, les positions budgétaires. L’emprunt public a remplacé l’emprunt privé comme contrepartie à des déficits extérieurs importants, mais en voie de contraction.
Que se passerait-il si les gouvernements réduisaient eux aussi leurs dépenses ? Dans une économie privée de la possibilité de compenser l’austérité par des mesures sur la monnaie ou le taux de change, toute réduction des dépenses peut conduire à une réduction au moins équivalente de la production à court terme. Vouloir réduire le déficit budgétaire de 10 % du PIB exigerait une réduction réelle de 15 % du PIB, en prenant en compte la baisse consécutive des recettes fiscales. Le PIB se contracterait donc lui aussi de 15 %. Cela paraît désastreux – et ça l’est.
Peut-on comparer cela avec la désinflation compétitive menée par l’Allemagne au début des années 2000 ? Une telle comparaison serait inepte.
Tout d’abord, le déficit budgétaire allemand n’a jamais plafonné qu’à 4 % du PIB en 2003. Ensuite, l’Allemagne a compensé l’extrême faiblesse de sa demande intérieure par une demande extérieure vigoureuse, tant de la zone euro qu’au-delà. En vérité, jusqu’à 70 % de l’augmentation du PIB du pays entre 1999 et 2007 est imputable à l’augmentation de ses exportations nettes.
L’Allemagne doit aujourd’hui renvoyer l’ascenseur. Plus précisément, la seule façon pour les pays membres de la zone euro de réduire leurs énormes déficits budgétaires, sans que leurs économies s’effondrent, serait soit de créer une nouvelle bulle du crédit du secteur privé, soit de susciter une forte progression de leurs exportations nettes. La première solution n’est pas souhaitable ; la seconde exige une compétitivité accrue et une demande extérieure soutenue.
Aujourd’hui, il n’existe ni l’une ni l’autre. Avec une devise européenne forte et une inflation faible en zone euro, il est difficile de pouvoir espérer de gagner en compétitivité.
C’est pour cela que les déséquilibres des balances des comptes courants au sein de la zone euro ont leur importance. Non seulement parce qu’un déficit des comptes courants contribue à saper une demande déjà faible, mais encore parce qu’il s’agit de pays entiers, et non de morceaux d’un seul pays.
Leurs électorats ne prendront certainement pas à la légère le fait que leur gouvernement se retrouve insolvable ou que leur pays subisse plusieurs décennies de ralentissement économique. Par ailleurs, si le gouvernement fédéral américain continuera de fonctionner quel que soit l’avenir de la Californie, l’Europe, elle, n’a pas de… gouvernement fédéral.
Alors, que faire ?
Si l’objectif est d’éviter le désastre, la réponse doit être un soutien budgétaire temporaire aux pays en difficulté, une solide demande consolidée dans la zone euro dans son ensemble, et un rééquilibrage substantiel de cette demande, emmené par l’Allemagne.
Le soutien budgétaire devrait être conçu pour empêcher qu’un effondrement de la confiance à court terme déclenche un défaut de paiement. En retour, les pays les plus faibles devraient s’engager dans la voie d’une réduction du salaire nominal et adopter un programme de compression de leurs dépenses.
En dehors de l’aide technique qu’il pourrait apporter, je ne vois aucune raison justifiant une intervention du Fonds monétaire international (FMI). Son immixtion démontrerait en fait que l’Union monétaire… n’en est pas une.
L’autre solution consisterait à laisser les pays vulnérables à la merci des vents contraires. Mais une union monétaire dont le pays moteur, non seulement exporterait la déflation, mais resterait les bras croisés pendant que les autres s’effondrent, irait au-devant de graves ennuis. Seule l’Allemagne est en mesure de décider si elle souhaite ou non que l’Union monétaire prospère.
Cette chronique de Martin Wolf, éditorialiste économique, est publiée en partenariat exclusif avec le “Financial Times”.
LE MONDE ECONOMIE | 15.02.10 (Traduit de l’anglais par Gilles Berton)
BILLET PRECEDENT : Martin Wolf : Il n’y a pas que les banques (cliquez sur le lien)
EN COMPLEMENT : Commentaire : Grèce –Portugal – un aperçu de l’abîme économique (cliquez sur le lien)
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