Douce France

Eric le Boucher : Portraits de France

Sarkozy: les usines, c’est son truc

Le président de la République a décrété que la production industrielle française devait augmenter de 25% d’ici à 2015. Fanfaronnade qui fleure bon le gosplan soviétique ou ambition réaliste?

PLUS DE SOCIALISME ET DETATISME EN SUIVANT :

 «J’ai la profonde conviction qu’un pays qui n’a pas d’industrie n’a rien à vendre et finit par s’appauvrir.» Nicolas Sarkozy est un «industrialiste». «Les usines c’est mon truc», aime-t-il dire. Ou encore: «A tous ceux qui s’interrogent, je livre un principe fondateur à toute la politique que j’ai voulu mener, dès avant 2007 et plus encore aujourd’hui: la priorité absolue donnée au redressement de l’industrie française.» Jeudi 4 mars en clôture des Etats généraux de l’industrie à Marignane, le président de la République a fixé pour objectif une augmentation de plus de 25% de la production industrielle française d’ici à la fin 2015. Un tel «objectif» décrété par le chef de l’Etat fleure bon le soviétisme…

Est-ce une fanfaronnade? Une des promesses exagérées d’un Nicolas Sarkozy qui en rajoute toujours un max? La production industrielle française a cru de 10% de 1997 à 2007, juste avant la crise, soit 1% par an. Gagner 15% en 5 ans paraît illusoire, même si la crise a creusé les indices et si les chaînes repartiront vite. Mais on doit noter que l’industrie allemande a cru de 33% ces mêmes dix années d’avant crise. Le pari n’est donc pas si impossible, même s’il impose une sacrée «rupture» de tendance.

Il ne faut pas «stabiliser» l’emploi industriel

Comment? Différentes mesures sont annoncées: des aides (1 milliard), une fiscalité incitative pour les brevets, un livret «épargne industrie» et un rôle interventionniste de l’Etat actionnaire. L’axe macroéconomique, confirmé, est une maîtrise du coût du travail déjà engagée par l’abandon des coups de pouce au Smic ou la réforme de la taxe professionnelle. L’idée neuve est d’organiser un lien durable entre les grands groupes et leurs sous-traitants pour que, sur les différentes «filières»,  cesse la politique de pressurisation permanente des prix, que les PMI puissent rétablir leurs marges et  investir sur le moyen terme.

L’ensemble n’est pas sans cohérence. Notamment par l’accent mis sur la recherche. Mais deux questions demeurent. La première est la nature du défi. L’important n’est pas, comme Nicolas Sarkozy s’en alarme, une baisse de la part de l’industrie dans le PIB, à 16% en France contre 30% en Allemagne, ou de l’emploi industriel, tombé de 4 millions en 1990 à 3,1 millions en 2008. Le président a tort de vouloir «stabiliser» l’emploi industriel. D’abord, parce que les statistiques sont floues et que beaucoup d’emplois de services hier internalisés dans les usines en sont sortis (externalisés) aujourd’hui. Dans les faits ce sont des salariés (comptables, nettoyage, restauration…) qui travaillent encore pour l’industrie. Mais surtout parce que la valeur ajoutée migre de la fabrication vers l’amont, la conception, et l’aval, la commercialisation et que les «emplois qualifiés et bien payés» suivent. L’économiste Daniel Cohen avait montré comment Nike soustraite en Chine pour 3 ou 5 dollars la fabrication de ses chaussures vendues 50 ou 100 dollars la paire, mais conservant par devers lui l’essentiel de la valeur. La fabrication n’est plus que très marginale.

Une politique qui rappelle 1981

Il est vain et dangereux de s’alarmer du «déclin industriel» si cela aboutit à forcer des industriels à conserver des emplois de basses qualifications en France, ce qui abîmera leur marge, leur avenir et in fine  leurs emplois. Le cas de Total obligé de garder des raffineries sur-capacitaires et déficitaires en France en est le triste exemple. Les délocalisations ne sont pas un mal, si les entreprises y trouvent manière d’améliorer leurs résultats donc leurs investissements. Ce qui compte, ce ne sont pas les usines mais la conservation des emplois qualifiés en France.

Dans quels secteurs? Il est là aussi curieux de voir l’Etat donner «sa» liste de secteurs stratégiques: le numérique, l’énergie, les transports, la pharmacie, le luxe et l’agroalimentaire. Et les autres secteurs, l’Etat les abandonne? Cette politique industrielle, qui plus est déclinée en «filières», rappelle le début de la gauche après 1981. Faut-il rappeler qu’elle a été un échec. A l’époque, il fallait défendre la machine-outil, le textile et l’informatique, mais l’argent public n’a pas suffit. L’idée de la politique sectorielle est attirante, l’Asie a montré que cela pouvait marcher. Mais la France n’a jamais été capable de la mettre en œuvre de façon efficace. Chez nous, le succès industriel repose sur les grandes entreprises pas sur les secteurs.

Que manque-t-il dans cette politique industrielle sarkozienne? D’abord d’être encore trop axée sur la «recherche» et pas sur sa valorisation par l’innovation. Le marketing compte plus que les brevets dans le monde moderne, regardez Apple!

L’exemple allemand

Mais ensuite et surtout de n’avoir pas d’axe macro-économique solide. La réussite française, ses grandes entreprises, ont pu croître et s’internationaliser, grâce à une politique macro-économique de long terme, trans-partis politiques, appliquée de 1983 à 1995: la «désinflation compétitive». C’est là l’erreur de fond du président Sarkozy que de détester cette politique qualifiée de «pensée unique». Elle a permis de regagner en compétitivité sur l’Allemagne, comme le montre la réduction du déficit extérieur et sa transformation en excédent à l’époque. L’important, c’est l’investissement et investir ne se décide par à cause d’aides d’Etat. La bonne politique industrielle est essentiellement une bonne politique macro. Or, depuis douze ans, c’est l’Allemagne, sous un gouvernement social-démocrate comme chrétien-démocrate. qui marque des points en améliorant sa compétitivité.

À LIRE ÉGALEMENT: Le déclin de la France et de l’Europe s’accélère, L’Allemagne et la France sur des trajectoires divergentes et L’inévitable déclin de l’industrie auto française ne doit surprendre personne

Michael J. Boskin : La politique industrielle renait de ses cendres…very bad news !!!! (cliquez sur le lien)

Entretien avec Beat Kappeler à propos du grand plaidoyer pour la réindustrialisation (cliquez sur le lien)

Sarkozy: la rupture, jusqu’au cégétisme?

L’alliance entre le président de la République et Bernard Thibault est flagrante.

Relisez toute l’histoire du début du quinquennat et vous verrez en permanence affleurer la trame d’une alliance objective passée entre Nicolas Sarkozy, le président de la République, et Bernard Thibault, le secrétaire général de la Confédération générale du travail (CGT). La pitoyable affaire Total, la nomination d’Henri Proglio (le candidat de la CGT) à la tête d’EDF, la réforme des régimes spéciaux de retraite réalisée avec de très avantageux accommodements cédés aux bastions de la CGT, le changement de la représentation syndicale qui favorise les organisations les plus grosses, donc la CGT: la liste des gages donnés est longue.

La nostalgie de l’enfance

Il y a beaucoup de raisons de fond qui soutiennent cette hypothèse. Les réflexes idéologiques d’abord. Nicolas Sarkozy donne souvent des signes d’une nostalgie de son enfance sur tout sujet, mais notamment sur l’idée du gaullisme. Son conseiller Henri Guaino vante le programme gaullo-communiste du Conseil national de la Résistance, et une lecture de la politique du Général consiste, en effet, à souligner l’«alliance» conclue entre lui et le PCF (dont la CGT était le bras) pour repousser les socialistes et autres «représentants de la IVe». Une politique couronnée de succès jusqu’à l’arrivée de Giscard en 1974. Nicolas Sarkozy chausserait aujourd’hui les bottes du grand homme.

Le besoin politique ensuite. Ayant fait campagne sur un programme de «rupture» qui insiste sur l’adaptation de la France à la compétition mondialisée, il provoque, sitôt élu en mai 2007, une levée de boucliers des syndicats, qui veulent faire barrage «au passage en force». Son autre conseiller proche, Raymond Soubie, a précisément pour fonction de déminer l’avancée des réformes en les négociant largement et directement avec les partenaires sociaux. Pourquoi avec la CGT plutôt qu’avec la CFDT, le partenaire précédent du pouvoir de gauche ou de droite? A cause d’une réelle attraction de fond: le «travailler plus pour gagner plus» est naturellement plus proche de la CGT que de la CFDT.

Cette grande alliance Sarkozy-Thibault est évidemment ni officielle (surtout pas) ni permanente, elle a ses heurts nombreux. Mais elle s’ancre dans la durée car elle est légitime. On l’a vu dans la crise, au cours de laquelle les concessions faites par le gouvernement, il y a un an, en faveur des chômeurs et des démunis ont déminé le terrain social devenu très dangereux. Le dialogue a permis d’éviter des embrasements et, sur le terrain, les SUD et autres représentants de l’extrême gauche ont été repoussés des usines occupées. L’anticapitalisme ne donne pas du travail, la CGT et la CFDT, en position de négociation, si. La crise de 2009 aura été une sorte de 1995 à l’envers, une défaite des thèses de la lutte radicale et la victoire du réformisme. La logique sarkozyenne est de favoriser le réformisme au sein de la CGT, il n’est pas sans y parvenir. C’est, pour la France, à mettre à son crédit.

Il ménage au lieu de bousculer

Reste que cette politique néo-gaullienne présente deux gros désavantages. Le premier est son rapport qualité-coût. La réforme des régimes spéciaux de retraite, c’est maintenant établi, est passée, mais elle est ruineuse pour l’Etat tant les concessions ont été trop nombreuses. Il faudra revenir dessus. Non sans grande difficulté, car la CGT se dira légitimement «flouée». A EDF, on peut se demander si le coût du «deal» avec Veolia n’est pas le maintien en place de la quasi-cogestion avec la CGT.

Le deuxième désavantage est encore plus lourd. Le choix fait de moderniser la France avec le premier des syndicats, et non pas contre, relève d’une tactique légitime, mais elle éclaire aussi un certain type de modernisation que veut engager Nicolas Sarkozy. La CGT occupe des bastions que le président doit forcément ménager quand il faudrait les bousculer. Les raffineries de Total en sont un exemple très malheureux. La campagne pour les régionales ne justifiait pas que la CGT soit défendue sur une ligne aussi archaïque de sauvetage de raffineries surcapacitaires et déficitaires. Sauf à penser que le président est, plus encore qu’on ne le dit ici, d’accord au fond avec la CGT sur l’avenir industriel du pays. Ce serait alors très inquiétant. L’alliance Sarkozy-Thibault ne serait alors pas modernisante mais rétrogradante.

Eric Le Boucher: Et vous? Vous l’aimez l’agriculture?

Il va falloir d’ici à 2050 nourrir 9 milliards de personnes en doublant la quantité de nourriture produite.

De Gaulle y promenait volontiers sa grande carcasse et ses grosses lunettes, Pompidou s’y forçait, Giscard y brillait par ses connaissances (comme toujours et partout), Mitterrand évitait ce «peuple de droite», et Chirac y restait des heures, comme chez lui.  Nicolas Sarkozy s’y sent mal, pas seulement à cause de la gaffe du «casse toi pauvre con!» de 2008. Trop citadin, trop jeune, issu de l’immigration par son père aussi, rien ne l’attache vraiment à la glaise de Beauce, à l’artichaut breton ou au Reblochon. Même le vin n’est pas son fort.

Famines et guerres

C’est bien sûr une faute. Politiquement, puisqu’il vexe un électorat traditionnel de son camp dans une période de dramatique effondrement des revenus des paysans; ils sont retombés au niveau de 1990. Symboliquement, puisque la société française plonge dans un retour à la nature, dont l’agriculture, dans sa version bio, est un composant. Economiquement enfin puisque le secteur «primaire» est promis, contrairement aux apparences, à un grand avenir. Il va falloir d’ici à 2050 apprendre à nourrir 9 milliards d’individus en doublant la quantité de nourriture produite, dans un cadre complexe de manque d’eau, de sols limités et dégradés. L’agriculture du XXIe siècle est au centre d’enjeux planétaires considérables, susceptibles de créer des famines et des guerres.

La France est la première puissance agricole d’Europe, deuxième exportatrice mondiale après les Etats-Unis et devant le Brésil. Son blé, sa viande et son lait commandent en aval une industrie agro-alimentaire à fort potentiel d’emplois. Toutes ces raisons auraient dû convaincre le président de la République d’inaugurer ce salon traditionnel de la Porte de Versailles, «la plus grande ferme de France». Il va le clore, mais le mal est fait.

Des taureaux forts comme des hippopotames

Au Concours général agricole qui sélectionne pendant le salon les meilleurs animaux et produits depuis des lustres, les taureaux ont doublé de poids en un demi-siècle. Ils rivalisent aujourd’hui avec des hippopotames. Ce résultat est le fruit d’un constant effort de taille, ou, plus généralement, de productivité. La «révolution verte» d’hier, aujourd’hui mal nommée puisqu’elle s’appuyait sur les engrais, les produits chimiques et les aliments recomposés, a permis depuis les années 1930 une hausse continue des rendements et, pour le consommateur, une baisse des prix. La part des revenus des ménages consacrée à la nourriture a pu baisser fortement pour laisser place aux autres dépenses de logement, de loisirs et de culture. Ce succès est dû aux agriculteurs.

Aujourd’hui, la mondialisation fait naître des nouvelles puissances, comme le Brésil, qui visent à devenir dans l’agriculture ce que la Chine est à l’industrie. Les rapports Nord/Sud mais aussi Sud/Sud sont à redessiner. Parallèlement, l’investissement des  marchés financiers dans les matières premières agricoles, parce qu’ils y voient des raisons structurelles de hausses des cours, vient perturber la stabilité des prix dans une activité qui a besoin du contraire. L’agriculteur ne peut pas semer à l’automne sans savoir si le prix de ses céréales sera le simple ou le double à l’été suivant.

Ne comptez plus sur les politiques

Dans ce cadre mondial mouvant, il faut en Europe une deuxième révolution verte qui parvienne à maintenir la hausse des rendements mais en réorientant fondamentalement les stratégies pour aller vers moins de chimie et vers plus de qualité. Il faut le faire dans un contexte de rigueur budgétaire qui va pousser les Etats-membres à couper dans les crédits de la PAC (Politique agricole commune) à partir de 2013. Les citoyens de la majorité des pays les encourageront. Faudra-t-il renationaliser les aides agricoles d’une façon qu’il faudra rendre conforme aux traités?

Toutes ces questions soulignent pourquoi le monde agricole est fondamentalement perturbé, sinon perdu. Ce n’est pas aux seuls Etats de répondre, au contraire peut-on dire, il faut imaginer des agricultures plus autonomes des aides publiques: elles représentent pour la première fois en 2009  plus de 50% des revenus des agriculteurs français! C’est évidemment beaucoup trop. C’est pourquoi la non-venue de Nicolas Sarkozy à la porte de Versailles donne, finalement, un signal de lucidité pour les agriculteurs: ne comptez plus sur les politiques pour vous sauver.

LIRE EGALEMENT SUR L’AGRICULTURE: Ni le marché, ni les aides ne sauveront l’agriculture, Réguler l’agriculture pour lutter contre la faim et Ecologie: nos sols se dérobent

La France ne peut pas se permettre l’arrêt des réformes

Sans «choc de compétitivité», la croissance sera insuffisante pour réduire le chômage et les déficits.

Nicolas Sarkozy a été élu, il y a trois ans, sur le thème des réformes. Après l’immobilisme du «roi fainéant» Chirac, il proposait un changement radical: «la rupture». Sitôt à l’Elysée, il engageait le fer sur tous les terrains: fiscalité, marché du travail, réformes de structure, nombre de fonctionnaires, universités, recherche, justice, institutions… . Pas un domaine n’a été abandonné.

Las, ces réformes, Nicolas Sarkozy les a manquées. Pour l’opinion de gauche, elles ont été d’emblée «favorables aux riches». Le bouclier fiscal qui limite à 50% de ses revenus l’impôt d’un ménage, est l’erreur fatale de départ. Le dîner du Fouquet’s et le bouclier: Nicolas Sarkozy servait sur un plateau des arguments aux socialistes pour dire: «On veut bien des réformes mais pas celles-là!». A toutes les occasions, ce diable de bouclier a été très efficace pour démolir tous les plans d’économies proposés par le gouvernement et pardonner l’absence de projets alternatifs de la gauche.

Pour l’opinion de droite, le président a fait les réformes de façon brouillonne et insuffisante. Jean-Pierre Raffarin, lui si critiqué par François Fillon et par Nicolas Sarkozy au lendemain des régionales perdues de 2004, prend aujourd’hui plaisir à condamner sur son blog «l’agitation réformatrice qui génère une certaine anxiété». Le symbole est ici la taxe carbone, faite pour attirer le vote écologiste mais d’une justification économique bancale et si mal conçue qu’elle a été repoussée par le Conseil constitutionnel.

Que faire maintenant de ces réformes? La sévère défaite des régionales comporte un vote de rejet du président. Est-ce aussi un vote de rejet des réformes? Le dilemme est entier: s’il les poursuit, le président sera critiqué pour s’entêter et «n’avoir pas entendu le message des Français». S’il arrête, il se «chiraquise».

La lecture des sondages n’aide guère. Selon BVA pour Les Echos, 40% des Français seraient pour qu’il fasse «une pause», 28% pour qu’«il ne change pas le rythme» et 22% pour qu’«il accélère le rythme». Un léger avantage à la poursuite des réformes mais, le résultat (40% contre 50% pour) manque de clarté.

La solution «Chirac»

Que faire? Le problème de Nicolas Sarkozy est que la crise a considérablement renforcé le besoin de réformes. A cause de la dette, d’abord. Le déficit des finances publiques dépasse 8% du PIB (Produit intérieur brut), 110 milliards d’euros, il semble impossible de le ramener sous la barre des 3% en 2013, comme promis à Bruxelles. Et comment faire? Est-il possible de ne pas augmenter les impôts? A cause de la croissance, ensuite. La crise a fait perdre 0,5 point de croissance potentielle à la France (comme dans les autres pays européens, il est vrai). Comment les rattraper? Le scénario officiel d’un retour à 2,25% d’expansion en 2011 n’est acheté par aucun économiste. La consommation devrait fléchir avec les tensions sur le pouvoir d’achat. Les investissements manquent cruellement (le vrai sujet) et l’export n’a plus assez de souffle d’entraînement. Bref, on s’est installé dans une zone molle entre 1 et 1,5% de croissance pour longtemps. Seules des réformes très fortes pourraient «rompre» avec cette perspective.

Le premier scénario serait de considérer que beaucoup de réformes ont été faites depuis 3 ans et qu’elles vont porter leurs fruits. Il suffit d’ajouter à cette liste le dossier des retraites, sans heurter l’opinion craintive, sans trop se mettre à dos les syndicats tout ragaillardis par ces élections, et puis de se contenter d’une baisse normale des déficits, sur la lancée du cours précédent d’avant crise. Cette politique d’apaisement intérieur serait accompagnée d’une part d’un discours  «protectionniste» de la France, de ses usines et des plus démunis, et, sur le front extérieur, d’une forte mobilisation de Nicolas Sarkozy  (président du G20 à partir de novembre prochain).  C’est le scénario Chirac: en clair, on ne change plus grand-chose avant 2012.

La solution «Schröder»

L’autre scénario serait celui du deuxième mandat de Gerhard Schröder, le chancelier de l’Agenda 2000. Lui est ses alliés verts (dont Joschka Fischer, l’ami de Daniel Cohn-Bendit…) ont coupé clair dans l’Etat providence et dans les salaires réels pour mener, sans fléchir, «une politique de l’offre» très musclée. Faut-il que la France emprunte à son tour cette voie? Avons-nous besoin, comme le dit Jacques Attali d’«un choc de compétitivité»? La réponse est nettement oui. Notre commerce extérieur comme le manque de projets d’investissements privés prouvent que la France a besoin d’une «rupture» de sa trajectoire économique. Il suffit de noter que la France dispose proportionnellement de 3 fois moins de robots que l’Allemagne dans ses usines, y compris les PMI. Il faut considérablement rehausser la productivité donc la rentabilité et l’investissement.

La réduction du périmètre de l’Etat (englobant les institutions régionales et locales) serait un des moyens d’y parvenir (moins de prélèvements serait autant d’argent laissé dans la sphère privée). Mais à la condition de ne pas couper (là aussi) dans les investissements publics. C’est dire l’effort gigantesque qu’il est nécessaire d’engager au plus vite dans les dépenses de fonctionnement de l’Etat, ce qui passe par une remise à plat de la fiscalité et des financements de la protection sociale. Il faut dire clairement les choses: en Allemagne, la compétitivité perdue lors de la réunification a été retrouvée par les réformes Schröder mais au prix d’un filet de protection sociale nettement moins maillé. Voilà le difficile choix à faire.

Mettre la France sur la voie allemande au moment où Christine Lagarde critique la politique d’outre-Rhin? Imiter ceux qu’on vilipende? Ce n’est paradoxal qu’en apparence. L’Allemagne a fait ses choix, elle gagne des parts de marchés sur ses voisins dont la France (y compris en agriculture!). Pour les années qui viennent de deux choses l’une. Ou bien Berlin corrige le tir et infléchit sa politique vers une stratégie de la demande «à la française»,  et ouvre des débouchés plus larges à nos industriels exportateurs, auquel cas la rigueur française pourra être assouplie à due proportion. Ou bien Berlin refuse et la France, sous peine de perdre toujours et encore de sa croissance au profit de sa voisine, devra mener une politique de l’offre «à la Schröder».

Demande ou offre, apaisement ou détermination, en clair: la ligne Henri Guaino ou celle de François Fillon? Jusqu’ici Nicolas Sarkozy a toujours repoussé cette alternative avec agacement, il voulait tout conduire à la fois. Il agissait beaucoup mais, quant à la ligne directrice, il avait conservé le «ni l’un-ni l’autre», le ni-ni cher à François Mitterrand. Il doit comprendre aujourd’hui que c’est justement ce que les Français lui reprochent.

À LIRE ÉGALEMENT: Les réformes ratées de Nicolas Sarkozy et Pourquoi la méthode Sarkozy ne fonctionne plus.

La France, pays malheureux (MàJ)

Alors qu’ils sont moins touchés par la crise, les Français dépriment largement plus que leurs voisins. Pourquoi?

 [Mise à jour 26 mars 2010] Selon les derniers chiffres publiés ce vendredi par l’Insee, le moral des ménages français est en baisse, l’indice perdant 1 point en mars (à -34). Cette baisse est continue depuis janvier.

***

Mais d’où çà vient? Les élections régionales ont été une nouvelle occasion de constater l’incroyable déprime des Français. Ils ont les dépenses sociales les plus élevées du monde, la crise les a, objectivement, moins frappés que les autres, et il n’est question que «d’hésitation entre l’abattement et la colère», de «désillusions», de sentiments de «très grandes difficultés», de «détresse», de «vulnérabilité». Le même constat est fait par les candidats qui ont parcouru les marchés de l’extrême droite à l’extrême gauche, toujours aussi noir.

Jean-Paul Delevoye, le médiateur de la République, s’alarmait dans les mêmes termes psychologiques dans son rapport remis en février. La société est «en grande tension nerveuse». Elle est «fatiguée psychiquement». Pire, elle «se fragmente», elle se disloque au point, note-t-il, que «le chacun pour soi a remplacé le vivre ensemble».

L’angoisse de la chute

Mais d’où ça vient? La première explication est élémentaire, elle concerne les sans-travail ou ceux qui ne peuvent, malgré un travail, joindre les deux bouts. Ils sont 15 millions, estime Jean-Paul Delevoye, à compter chichement pour terminer le mois à 100 euros près. Un Français sur quatre! C’est énorme. Mais les autres? «L’angoisse du déclassement augmente», ajoute le médiateur. Les autres ont «peur» de tomber. Pourquoi? Parce qu’ils ont le sentiment d’avoir «perdu le contrôle de leur vie», explique Brice Teinturier dans le rapport 2010 de TNS Sofres sur «L’Etat de l’opinion» (au Seuil). Il note que les éléments positifs (un pouvoir d’achat en hausse même modérée, une consommation qui reste forte, des logements améliorés, une espérance de vie augmentée…) permettent à 65% des Français de juger leur situation personnelle «meilleure que celle des Français» en général. Paradoxe qu’on observe aussi dans la natalité: faire des enfants prouve que les choses ne vont pas si mal que ça. Mais malgré cette sauvegarde personnelle, «la peur» est là, elle plane au-dessus de tous les Français.

La mondialisation serait-elle la cause de cette menace? Sans doute, mais elle touche autant les autres Européens, or nous sommes les plus pessimistes des Européens. Seuls 20% des Danois voient dans la mondialisation «une menace pour l’emploi», 38% des Allemands, 40% des Italiens et 73% des Français.

Mais d’où ça vient? Il faut se reporter à Yann Algan et Pierre Cahuc pour avancer dans la compréhension du «mal français». Les deux économistes avaient décrit La société de défiance qu’est la France dans un livre en 2007. Ils y reviennent dans un long chapitre d’un livre collectif. Reprenant les nombreux sondages, ils confirment que les Français sont parmi «les plus malheureux» des Européens. La «désillusion» et la «perte de confiance» dans la justice, les partis politiques, les syndicats, tous les pouvoirs en vérité, est croissante. Cette méfiance se résume par un chiffre véritablement sidérant: 52% des Français pensent que «de nos jours, on ne peut arriver au sommet sans être corrompu».

Corporatisme et incivisme

Les auteurs expliquent ensuite que méfiance et incivisme vont de pair. Or, les Français sont inciviques: «Trouvez-vous injustifiable de réclamer indûment des aides publiques?»: 89% des Danois disent «oui, c’est injustifiable», 70% des Britanniques mais seulement 38% des Français, bons derniers. Profitez du système, puisque les autres le font. Du coup, seuls 25% des Français «font confiance aux autres». Rappelons que nous sommes le pays qui donne des leçons de «solidarité»…

Mais d’où cela vient-il? «De mai 1940», répondent les auteurs dans un passage très original. Avant Vichy, les Français étaient dans la moyenne européenne, ils faisaient confiance. C’est après qu’ils décrochent. Est-ce la défaite? La collaboration? Probablement. Mais aussi la suite. Selon Algan et Cahuc, c’est la forme de notre modèle social, étatiste et corporatiste, construit à la Libération, qui est à l’origine profonde du mal français. «Le corporatisme, qui octroie des droits sociaux associés au statut et à la profession de chacun, segmente et opacifie les relations sociales.» «L’étatisme qui réglemente l’ensemble des domaines vide le dialogue social, entrave la concurrence et favorise la corruption.» La France des statuts n’accepte pas le traitement égal de tous. Sortir de la défiance devrait être la ligne de «réformes profondes du modèle social» pour assurer les mêmes droits pour tous. Le bonheur commence quand on cesse d’envier, grincheux, l’herbe de ses voisins.

Arrêtons de parler des retraites, il faudrait les baisser

La France doit d’abord retrouver une dynamique de croissance et d’investissement.

La façon dont le président de la République a présenté ses deux dernières années de mandat en focalisant l’attention sur la réforme des retraites est dangereuse. Dangereuse vis-à-vis des partenaires sociaux car il en fait un test de leur combativité. Ils vont se sentir renforcés avant cette bataille «décisive». Dangereuse vis-à-vis des marchés financiers qui en ont fait un test exactement inverse, celui de la volonté d’assainissement des comptes publics par la France. Nicolas Sarkozy s’est coincé d’avance à décevoir soit les syndicats soit les marchés, lesquels risquent de monter les taux d’intérêt sur les bons du Trésor. Pour un pays dont la dette atteint 1.500 milliards d’euros, un point de plus coûte 15 milliards, soit plus que les 12 milliards de déficit prévus en 2012 pour la caisse vieillesse…

La France a des problèmes plus graves

Ce n’est pas très malin de mettre autant en avant cette réforme des retraites. Ce n’est pas non plus très sérieux. Car comme l’a dit avec raison François Chérèque, de la CFDT, la France a des problèmes plus graves. D’abord parce que, sur le fond, sauver les retraites c’est s’occuper encore et toujours des vieux et qu’il est temps, enfin, de s’occuper de ceux qui souffrent vraiment, c’est-à-dire les jeunes. Les dépenses de retraites représentent 12,4% du PIB de la France contre 7,7% en Suède, pays très «social», et 8,7% au Japon, pays très «vieux». Ne trouvez-vous pas qu’on devrait enfin changer de priorité et dire la vérité crue: il faut que les pensions baissent (pas les plus faibles bien sûr) pour décharger un peu les épaules de ceux qui travaillent? Le débat est ouvert.

Le problème plus grave de la France est sa compétitivité. Christine Lagarde a reçu beaucoup de critiques pour avoir dénoncé la politique macroéconomique allemande qui, abaissant ses coûts et asséchant sa demande interne, pénalise ses voisins. «Ce n’était pas le moment», a-t-on reproché à la ministre. Au contraire, il n’était que temps! Et la fin de non-recevoir que lui a sèchement renvoyée la chancelière Angela Merkel prouve que la patronne de Bercy pointait juste. L’Allemagne ne joue pas un jeu coopératif. On peut comprendre: il fallait à notre voisine se refaire une santé après la ruineuse réunification et reconstruire sa compétitivité.

Aujourd’hui, c’est fait. Or, Angela Merkel n’entend pas infléchir d’un iota cette politique de l’offre. Le syndicat IG Metall fait le même choix. Même si le sujet ne fait pas complètement consensus outre-Rhin –le président de la Bundesbank ayant mis des réserves, ce qui n’est pas rien!– il faut que la France en tire la conséquence: la guerre des coûts est déclarée au sein de la zone euro.

La grève des investissements

Les exportations françaises représentaient 56% des exportations allemandes en 2000 et seulement 37% en 2006. Les industriels français vont continuer de perdre des parts de marché si la trajectoire n’est pas, ici aussi, nolens volens, réorientée vers une politique de l’offre. Il ne sert plus à rien de se plaindre et d’argumenter que ce jeu non coopératif des Allemands est mauvais pour l’Europe dans son ensemble, il faut réagir. Dès que la reprise est assurée (à la rentrée?), le curseur de la politique macroéconomique française devra se déplacer vigoureusement de la demande vers la compétitivité. Encore une fois, ce schéma n’est pas du tout idéal pour l’Europe mais la course de l’Allemagne impose à ses partenaires de lui emboîter son pas mercantiliste.

Concrètement, il faut que la France sorte de ce qu’on peut appeler sa grève des investissements. L’Etat, a souligné le président de la République, ne dépensait plus que pour son fonctionnement, il a créé le grand emprunt pour corriger le tir. On pouvait en débattre, mais c’est fait. Il reste maintenant à sortir le secteur privé de son sous-investissement chronique depuis plus de dix ans. Les entreprises françaises utilisent trois fois moins de robots que les allemandes, par exemple. Même réticence, hors exceptions, pour les dépenses de recherche-développement. En gros, nos géants du CAC distribuent trop de dividendes et n’investissent plus qu’à l’étranger.

Comment faire? Mettre à plat la fiscalité: les impôts et taxes sont «peu orientés vers la compétitivité», résumait le dernier rapport du Conseil des prélèvements obligatoires.

Réformer les retraites? Certes! Mais retrouver une stratégie de croissance post-crise est beaucoup plus fondamental que d’assurer aux baby-boomeurs retraités leurs douces croisières aux Caraïbes.

Eric Le Boucher slate mars 2010

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