La Chine est la cible de critiques américaines pas toujours judicieusement posées
Parce qu’elle garde sa devise, le yuan, sous-évalué face au dollar. Des voix qui s’élèvent aux Etats-Unis (politiques, exportateurs) estiment que la faiblesse du yuan donne aux producteurs chinois un avantage compétitif injuste.
Washington dit donc souhaiter une appréciation du yuan, pour permettre à ses producteurs de redevenir compétitifs. Le débat n’est pas nouveau.Je l’ai d’ailleurs déjà évoqué dans de précédents billets .
Commentaire : La Chine et ses réserves/La nouvelle force mondiale (cliquez sur le lien)
Mais la réalité en fait assez complexe mérite que l’on y revienne sous un angle cette fois non pas chinois mais américain
PLUS DE YUAN EN SUIVANT :
Historique
Précédemment, au fur et à mesure que les déséquilibres de l’économie américaine se sont aggravés, le dollar américain s’est déprécié face à la plupart des devises. Mais le yuan chinois gardait quant à lui un lien de parité avec le dollar.
Il est ainsi resté stable face à la devise américaine jusqu’en juillet 2005. A partir de ce moment, il a commencé à s’apprécier. En l’espace de trois ans, il a grimpé d’environ 20% face au dollar. Si cela demeure plus faible que le renforcement de l’euro depuis 2001 (38 pourcent), l’appréciation du yuan ne diffère que peu de celle du taux de change effectif vis-àvis de l’ensemble des partenaires commerciaux des Etats-Unis. Certes, une appréciation du yuan n’implique pas que la monnaie ne demeure pas à un niveau sous-évalué. Estimer le niveau «normal» d’une monnaie est toutefois un exercice très difficile
Mais en 2008, la crise est venue changer la donne.
Depuis juillet 2008, Pékin fait tout pour maintenir la stabilité du taux de change entre le dollar et le yuan, à environ 6,82 CNY pour 1 USD.
Réalité complexe
Les voix qui s’élèvent en faveur d’une hausse du yuan semblent omettre divers facteurs qui font qu’une telle hausse ne serait pas nécessairement une bonne affaire pour les Etats-Unis. L’ajustement du taux de change peut n’avoir qu’un impact restreint sur le déficit commercial pour plusieurs raisons.
. Tout d’abord, les exportateurs chinois pourraient préférer l’absorber dans leurs marges plutôt que d’imposer des hausses de prix au consommateur américain.
. Ensuite, la Chine exporte des biens qui ne sont plus produits sur une large échelle aux Etats- Unis (comme les textiles). Il serait alors difficile pour les Américains de substituer des biens locaux aux importations.
• Si la Chine est un gros exportateur de produit finis, elle est aussi un grand importateur de produits semi-finis. De nombreux produits « made in China » sont des produits assemblés en Chine (main d’oeuvre bon marché), à partir d’éléments fabriqués ailleurs. Le yuan n’est donc pas le seul à influencer le prix des produits finis chinois.
Même en cas de hausse du yuan, le prix des produits finis chinois pourrait rester compétitif.
D’ailleurs, leur avantage est à ce point confortable que des hausses de salaires viennent d’être décidées dans les grandes provinces industrielles (+13 à 20% ce qui n’est pas rien !!!).
• Certes, un yuan plus fort donnerait un pouvoir d’achat accru aux ménages chinois, qui pourraient acheter plus de produits importés. Mais au vu des tendances actuelles, les exportateurs américains ne seraient pas ceux qui en profiteraient le plus.
Les Coréens et les Japonais, qui proposent une offre plus adaptée, pourraient davantage en tirer parti.
• Plus grave : si on supprime le lien de parité entre yuan et dollar et que le yuan grimpe, les bons du Trésor américains perdront de leur valeur pour les Chinois, qui en achèteront beaucoup moins. Pas une bonne affaire pour les américains.
Car qui au monde, mis à part la Chine, dispose de l’épargne nécessaire pour placer dans les énormes émissions d’obligations que les Etats-Unis prévoient ces prochaines années ? Sans la Chine pour financer la dette américaine, le risque est grand de voir les taux flamber (les Etats-Unis devront offrir plus pour placer leurs obligations), de voir le dollar chuter (il ne bénéficiera plus de la forte demande chinoise), de tuer ainsi la reprise et de replonger l’économie mondiale dans la panique.
Intérêts particuliers
Certes, pour les exportateurs américains, se battre pour une appréciation du yuan, c’est défendre ses propres intérêts. Et pour les politiques, c’est montrer qu’on s’intéresse à l’emploi des citoyens américains, ce qui a des chances d’être bien perçu par les électeurs et de favoriser la popularité !
Pourtant, si la Chine devait se plier aux exigences qui font rage et laisser remonter sa devise, les Etats-Unis pourraient bien en souffrir plus que l’Empire du Milieu.
Le très délicat rééquilibrage sino-américain
L’impact du taux de change sur le déséquilibre commercial ne doit pasêtre exagéré. C’est surtout le différentiel de demande qui est déterminant. Un impact modéré du régime de change sur la balance commerciale ne signifie pas cependant que cesoit un aspect secondaire.En effet l’économie chinoise bénéficierait d’une flexibilisation du taux de change car le régime actuel la contraint à s’aligner sur la politique monétaire américaine.
Si celle-ci est appropriée pour la conjoncture hésitante des Etats-Unis, elle est trop expansionniste pour un pays à croissance forte, entrainant un risque d’inflation, y compris sous forme de bulles spéculatives.
Le rééquilibrage de la balance commerciale passera par un accroissement de l’épargne américaine et une augmentation de la demande domestique chinoise.
Si les ménages américains ont recommencé à épargner, la transition du modèle de croissance par l’exportation à une demande domestique plus forte en Chine demeure un projet de longue haleine. Le risque est alors que le faible appétit du consommateur américain entraine un ralentissement de la croissance en Asie avant que la demande locale ne puisse prendre le relais.
Un scénario alternatif serait que la forte épargne des pays émergents pousse les taux d’intérêts à la baisse, ravivant l’appétit du consommateur américain. Une telle situation de taux bas pousserait les investisseurs à rechercher des rendements plus élevés dans des produits complexes ou par des effets de leviers, avec les conséquences néfastes que nous avons connues.
Les pressions pour le yuan peuvent être donc ètre contre-productives c’est pourquoi mème si la monnaie chinoise est clairement sous-évaluée,la pression exercée sur Pékin en faveur d’une réévaluation du yuan ne résoudra pas le déséquilibre commercial avec la Chine et ne favorisera pas l’emploi aux Etats-Unis, estiment beaucoup d’ économistes américains.
Il serait donc préférable pour les responsables américains de s’exprimer le moins possible sur le sujet, afin que le gouvernement chinois ne pas donne pas l’impression de céder aux exigences étrangères et de perdre la face s’il se décidait finalement à agir.
Au contraire, Washington devrait, selon les économistes interrogés par Reuters, envisager les problèmes monétaires et les autres causes supposées du déficit commercial dans le cadre d’une approche multilatérale.
En ce qui concerne les relations bilatérales avec les Chinois, les Etats-Unis devraient plutôt se concentrer sur les barrières commerciales qui empêchent les exportations et qui pourraient violer les accords de l’OMC.
“La monnaie (chinoise) est sous-évaluée, point. C’est une distorsion structurelle car la deuxième économie mondiale ne devrait pas être monétairement accrochée à la première”, explique Derek Scissors de l’Heritage Foundation à Washington.
Les analystes estiment que le niveau auquel le yuan est lié au dollar est inférieur de 15% à 40% à ce qu’il pourrait être si le marché fixait librement les parités.
Monnaie, Commerce et Emplois
Le Bureau du Représentant américain au Commerce a publié un rapport annuel qui cite toute une série de réglementations, de subventions et de pratiques qui favorisent les entreprises d’Etat chinoises et contreviennent aux obligations de la Chine vis-à-vis de l’OMC.
Début mars, l’Economic Policy Institute (EPI), classé à gauche, a réalisé une étude qui dit que la manipulation du taux de change et les autres politiques commerciales de la Chine auraient causé la destruction de 2,4 millions d’emplois aux Etats-Unis entre 2001 et 2008.
Avec des chiffres officiels révélant que l’économie américaine a perdu 8,4 millions d’emplois depuis décembre 2007, de nombreux parlementaires ont fait leur les thèses de l’EPI sur le lien entre emplois et taux de change.
La chambre de commerce sino-américaine a rétorqué que l’analyse de l’EPI avait “plusieurs décennies de retard”, arguant du fait que la Chine est simplement le fournisseur actuel de biens précédemment exportés vers les Etats-Unis par d’autres pays asiatiques.
Selon John Frisbie, le président de la chambre de commerce sino-américaine, les responsables américains qui imputent la montée du chômage à la politique commerciale chinoise omettent de prendre en compte tous les emplois dépendant des importations, et se fondent sur “l’hypothèse erronée que chaque produit importé de Chine aurait sinon été fabriqué aux Etats-Unis”.
Daniel Ikenson, économiste à l’Institut Cato, explique que lorsque la Chine a relâché la bride sur la parité yuan-dollar entre 2005 et 2008, la monnaie chinoise s’est appréciée de 21%, et les importations américaines ont bondi de 38,7%.
L’économiste en chef de l’EPI et auteur du rapport sur les conséquences sur le marché du travail de la parité yuan-dollar, Robert Scott, balaye les critiques qui qualifient de futile son appel à une forte hausse du renminbi, l’autre nom de la monnaie chinoise.
“Si vous rendez les produits chinois 40% plus chers et les produits américains 40% moins chers, cela a forcément un impact sur les échanges de biens entre les deux pays et au final, cela a forcément un impact sur l’emploi”, explique-t-il.
Mais Derek Scissors oppose à ce raisonnement la possibilité que l’appréciation du renminbi ne fasse que “transférer les emplois vers d’autres pays à faible coût de main-d’oeuvre qui ne pouvaient pas jusqu’à présent réellement rattraper la Chine : le Viêtnam, l’Indonésie, le Mexique, l’Inde.”
Voilà qui devrait refroidir quelque peu les ardeurs belliqueuses et par trop protectionistes des Krugman et autres Démocrates américains en mal de recherche de boucs émissaires destinés à pallier leurs propres insuffisances économiques tant sur le plan théorique que pratique….
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