Art de la guerre monétaire et économique

Eric Le Boucher : Jeunes traders et vieux Grecs

Eric Le Boucher : Jeunes traders et vieux Grecs

  Il y a cent façons de lire la crise grecque. Le laxisme du Club Med, l’égoïsme allemand, la nullité de la Commission, le temps trop repoussé de l’austérité, l’aveuglement des marchés que les Etats ont sauvés hier… Avançons une autre explication, plus amusante, on en a besoin.

PLUS DE LEBOUCHER EN SUIVANT :

Marchés, simplifions « jeunes traders » : trente ans de moyenne d’âge. Gouvernements européens, simplifions « vieux Grecs » : soixante ans de moyenne d’âge.

Les vieilles classes politiques, regardez Angela Merkel, ne pigent rien de rien à ce qui se passe sur les marchés : ce ne sont que des « spéculations », mot-valise qui ne contient qu’un aveu d’incompréhension.

Les jeunes, et voilà la grande nouveauté, ont le pouvoir. Les pouvoirs. D’abord les meilleurs esprits de la terre entière, résumons nos X-Mines, se retrouvent sur les « floors » des salles de marché. Question intelligence financière, les administrations ne font plus le poids face aux « fabulous Fab », du type de ce Tourre de Goldman Sachs. Les gouvernements croient inventer une ligne Maginot, les petits génies trouvent en trois heures et 150 équations de maths le moyen de la contourner en gagnant encore plus d’argent ! En plus des canons de l’inventivité, les jeunes ont la poudre : l’argent, l’argent qu’on emprunte quand on ne l’a pas, l’argent sans limite.

Les jeunes découvrent la vie. C’est là leur faiblesse et leur force. Dans l’Europe post-crise, on peut le leur reprocher mais ils perçoivent, d’un coup et tous ensemble, les compromis, les faiblesses consenties, les fatigues, les mensonges, bref toute cette croûte historique sur laquelle s’est construite l’Union. Ils trouvent ça assez dégoûtant, totalement injustifié, en tout cas « insoutenable ». Derrière les dettes grecque, portugaise et espagnole, c’est en vérité le déclin européen sur lequel ils « spéculent ».

Déclin en trois chapitres.

D’abord, la mauvaise construction de la monnaie commune.

Les vieux savaient, disaient, répétaient qu’une union monétaire a besoin d’une union économique pour tenir. Mais rien ne s’est passé. Les Chirac (ah, qui dira sa responsabilité dans la crise d’aujourd’hui !) et les Schröder ont rejoint la conception anglaise d’une « Europe des nations ». Un budget riquiqui pour Bruxelles et chacun pour soi. La solidarité réduite aux acquêts. Lors d’une crise, si un Etat membre défaille, rien n’est prévu. Les jeunes-marchés ont raison de « tester ». Grèce, Portugal, Espagne, Italie auraient besoin de 600 milliards d’euros sur trois ans. Si les marchés renâclent, l’Europe a-t-elle les moyens de leur prêter ? La construction « ne tiendra pas », la « solidarité » est trop chère.

Ensuite, la fondamentale question de la croissance européenne, de son avenir.

La monnaie n’est que le reflet d’une économie réelle. Or, que vaut-elle post-crise ? Quand la Chine retrouve ses 10 %, l’Inde 9 %, les Etats-Unis 3 %, l’Europe repique du nez et son horizon ne dépasse pas 1 %. Pourquoi investir ici ? Franchement ? En Grèce, qui n’a rien construit et dont le seul atout, le transport maritime, est immatriculé à Chypre ? En Espagne, qui après avoir bétonné toutes ses côtes se cherche des produits à exporter ? L’euro avait permis aux vieux politiques d’esquiver cette réalité : chaque pays est sommé de trouver sa place dans la mondialisation. Le moins qu’on puisse dire est que les réponses d’Athènes, Madrid, Lisbonne (ne parlons pas de Paris) se font attendre.

Enfin, la dette, puisqu’il s’agit d’elle.

Dette « insoutenable » sans austérité, sans retour au réalisme : quel niveau de vie votre économie réelle vous permet-elle vraiment ? La crise sonne l’heure du réveil. Les jeunes-marchés ont compris aussi, dans leur tête, que l’impasse budgétaire des pays européens renvoyait la facture à plus tard, à leur génération en fait. Ils disent doublement non. Et ils ont raison.

L’explication amusante cesse ici, hélas. Les vieux ont raison en ce que les jeunes « ne savent pas s’arrêter » et que les marchés vont trop loin. La croûte des compromis européens, c’est aussi la vie réelle, la vie démocratique « grecque » et trop d’austérité tuera l’austérité. L’euro doit-il sauter ? Sauf que la politique aura le dernier mot et qu’alors, ce ne seront plus les mêmes politiques mais les extrêmes populistes et nationalistes au pouvoir. Et eux n’hésiteront pas une seconde à frapper les banques, taxer les bonus, priver la finance de sa liberté, et ensuite pire. Les intelligences du « floor » devraient « découvrir » que la fin de l’Europe, l’histoire l’apprend, c’est leur fin.

ERIC LE BOUCHER EST DIRECTEUR DE LA RÉDACTION D’« ENJEUX-LES ECHOS ». mai10

BILLET PRECEDENT : Eric Le Boucher /PS: le retour des années 1970 en France (cliquez sur le lien)

6 réponses »

Laisser un commentaire