L’Allemagne et sa paupérisation rampante
Après la réunification à l’Est, la solidarité avec le Sud par Emmanuel Garessus
L’Allemagne a payé le prix fort pour sa réunification économique. La facture aurait coûté 1300 milliards d’euros et les transferts sociaux n’ont pas eu l’effet escompté. Pourtant, l’Allemagne se lance dans un acte de solidarité encore plus vaste…
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PLUS DE PAUPERISATION EN SUIVANT :
Mais la prospérité ne naît pas d’une politique de redistribution. Dans le secteur privé, le PIB par habitant de l’ex-Allemagne de l’Est se languit à 66% du niveau de l’Ouest, selon Hans-Werner Sinn, de l’Institut IFO. Le niveau de vie est supérieur en Slovénie et en République tchèque. Il n’y a pas eu de convergence, selon l’économiste. La croissance n’a pas été plus rapide qu’à l’Ouest. L’argent a été dépensé en transferts sociaux, infrastructures et emplois publics. Résultat: le chômage reste le double de l’Ouest.
A l’évidence, «l’énorme processus de redistribution en cours qui va d’Allemagne de l’Ouest vers l’Est n’a pas découragé les politiciens de démarrer une nouvelle expérience à un niveau encore supérieur», écrit Beat Gygi, le chef de la rubrique économique de la NZZ.
Avec la difficile ratification du sauvetage de la Grèce par le Bundestag, Angela Merkel et son gouvernement se lancent aujourd’hui dans une nouvelle opération de solidarité passablement risquée. Après l’Est, au tour du Sud. Initialement, la facture de ce nouveau transfert est chiffrée à 170 milliards d’euros au maximum. Mais qui sait si elle s’arrêtera là?
Accusée par ses partenaires européens d’avoir accru sa compétitivité et limité les coûts unitaires du travail, alors que les pays du Sud vivaient à un autre rythme, le gouvernement allemand a étrangement baissé la tête.
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Angela Merkel est attristée d’être à la tête d’un champion de l’exportation. Elle préfère suivre l’audimat. Le gouvernement s’est finalement contenté de traîner les pieds face aux insistances bruxelloises. «Pour le parlement, un non à l’opération de protection de l’euro n’a jamais vraiment été considéré comme une option. La décision fondamentale avait depuis longtemps été prise à Bruxelles», selon la NZZ.
Cette perte d’autorité de l’Allemagne inquiète logiquement la Suisse. Plus des deux tiers du bilan de la BNS se composent maintenant de devises étrangères.
L’Allemagne perd ses principes.
Angela Merkel n’a pas hésité à retourner sa veste et soutenir un impôt sur les transactions financières. La chancelière a tout fait pour que l’opposition de gauche l’accompagne sur le navire de la solidarité avec le Sud. Sa stratégie a échoué: le SPD et les Verts se sont abstenus lors du vote et plusieurs membres de sa coalition ont dit non à ce paquet.
L’Allemagne a-t-elle oublié l’idée qu’une économie forte repose sur une politique monétaire stable et indépendante?
A-t-elle oublié l’hyperinflation de la république de Weimar en 1923?
C’est au nom de la solidarité avec l’UE que la BCE a brisé un anathème en acceptant l’achat d’obligations pourries en provenance de Grèce.
La décision n’a pas été prise à l’unanimité. Mais personne ne sait au juste qui s’y est opposé. Les experts pensent qu’il s’agit d’Axel Weber, de Jürgen Stark et du président de la Banque centrale des Pays-Bas, Nout Wellink. Cette opposition pourrait, selon Willem Buiter, chef économiste de Citigroup, coûter à Axel Weber le poste de successeur de Jean-Claude Trichet lors du vote attendu l’année prochaine.
Beat Gygi, à la NZZ, a bien raison de soutenir que «la Suisse ne peut qu’espérer que l’Allemagne redevienne la locomotive économique de l’Europe… qu’elle s’inscrive dans les moments clés comme le pôle opposé à tous les acteurs en quête d’harmonisation et à ceux qui pourfendent la concurrence». Mais il n’y croit pas vraiment, parle d’une Allemagne qui «déraille», d’une coalition avec le FDP «qui n’a rien changé», critique le poids des charges sociales dans les revenus (40%), le manque de flexibilité des salaires et l’incertitude sur la prévoyance.
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Certains se consolent de la baisse de l’euro en portant leur regard sur la capacité accrue des entreprises exportatrices et sur son effet de relance. Mais chacun sait que le raisonnement ne tient pas longtemps. Les expériences suisse et allemande des vingt dernières années en attestent.
D’ailleurs en 2010, une fois de plus, ni l’Allemagne ni l’Europe ne sont la locomotive de la croissance. Selon le consensus des économistes, l’augmentation du PIB sera de 3,3% aux Etats-Unis, contre 1,1% dans l’Euroland, 8,7% dans les pays du BRIC. L’année prochaine, l’environnement sera similaire, avec 3,1% de croissance aux Etats-Unis, 1,5% dans l’Euroland et 8,1% dans les pays du BRIC.
Malgré la hausse du franc, la Suisse devrait continuer de progresser plus rapidement que l’Eurozone, l’Allemagne et la France, avec une augmentation du PIB de 2,3% cette année et de 2,4% l’année prochaine.
Mais la Suisse peut difficilement se réjouir d’une Europe qui refuse le compas du marché et d’une Allemagne sans aucun compas. Berlin est en équilibre de plus en plus instable, avec un déficit budgétaire de 5% du PIB et une dette publique de 75% du PIB. Angela Merkel n’est décidément pas l’héritière de Ludwig Erhard.
Les marchés ont bien raison de s’inquiéter du refus des principes économiques, par exemple de la possibilité de laisser un Etat faire faillite, et de la valse des chiffres rouges. Au début, on nous a dit que la Grèce ne pesait que 2,5% de la zone euro, que c’était une petite économie de 300 milliards d’euros et qu’un crédit de 50 milliards d’euros serait suffisant pour apaiser les esprits. Quelques mois plus tard, le sauvetage passe à 150 milliards d’euros, puis s’envole à 750 milliards d’euros. Et l’on parle d’un nécessaire paquet de 2000 milliards d’euros pour soutenir les attaques contre l’euro.
La Grèce a mis à mal le mythe d’une Allemagne raisonnable. Angela Merkel n’a-t-elle pas vu que la performance de la Slovénie et de la République tchèque, qui n’ont pas eu d’aides et de transferts de leur grand frère, était supérieure à celle de l’Allemagne de l’Est?
Emmanuel Garessus le temps mai10
EN COMPLEMENT : Andreas Hofert /L’heure de la Währungsreform
La langue allemande recèle quelques mots qui, en l’absence d’une traduction parfaite, ont été repris dans d’autres langues: «Gemütlichkeit»(un moment confortable typiquement allemand), «Schadenfreude» (se réjouir du malheur des autres) ou encore «Weltschmerz»(mélancolie inspirée par la cruauté du monde). En économie, on peut également citer le mot «Währungsreform». La traduction française, «réforme monétaire», ne reflète que partiellement le sens et surtout n’inclut pas la dimension psychosomatique propre au mot allemand.
L’Allemagne du XXe siècle a connu deux réformes de ce type, particulièrement douloureuses pour les épargnants, et qui expliquent la phobie innée des Allemands pour l’inflation. Il n’y a donc rien d’étonnant qu’à l’heure actuelle, les Allemands sont les plus anxieux des Européens quant à l’avenir de l’euro.
La première Währungsreform allemande – la plus sévère à ce jour – est intervenue en novembre 1923 lorsque le rentenmark a remplaça le mark, dont la valeur avait fondu sous le coup de la plus célèbre hyperinflation de l’Histoire. La conversion s’était effectuée sur la base d’un rentenmark pour un milliard de marks. Pendant la période d’hyperinflation, qui précéda la conversion, le patrimoine de la classe moyenne allemande (hors actifs tangibles) fut laminé.
La deuxième Währungsreform, moins connue, eut lieu en juin 1948, lorsque le deutschemark remplaça le reichsmark (la nouvelle appellation du rentenmark à partir de 1924) sur la base de 0,65 deutschemark pour 10 reichsmarks. Avant cela, le reichsmark avait perdu quasiment toute crédibilité en tant que moyen d’échange, en raison de l’explosion de la masse monétaire durant la Seconde Guerre mondiale. A nouveau, les épargnants qui avaient accumulé des reichsmarks furent floués, même si, après coup, la création du deutschemark s’avéra être l’un des fondements du miracle économique allemand.
Une troisième Währungsreform partielle prit place au moment de la réunification allemande, lorsque le mark est-allemand fut converti en deutschemark au taux de change de 1 pour 1 ou de 2 pour 1, selon les actifs et flux monétaires. Pour les Allemands de l’Est, cette réforme fut perçue, selon les différents points de vue, soit comme un enrichissement, soit comme une paupérisation (le taux de change officiel entre la RDA et la RFA était de 1 pour 1, le taux de marché noir 10 pour 1).
La création de l’euro ne constitue pas en soi une Währungsreform, puisque le deutschemark a été converti en euro au taux de change officiel et du marché en vigueur à l’époque, soit 1,95583 mark pour 1 euro. Mais un hypothétique éclatement de la zone euro équivaudrait probablement à une nouvelle Währungsreform. Serait-elle synonyme d’une destruction de richesse en Allemagne?
Ce serait le cas si l’euro devait être échangé contre un nouveau deutschemark à un taux inférieur à celui en vigueur au moment de sa création. Mais il faut également tenir compte de la valeur relative de ce nouveau deutschemark face aux autres monnaies partenaires de la zone euro.
L’évolution des coûts unitaires du travail entre l’Allemagne et le reste de la zone euro peut servir ici de référence. Selon les chiffres de l’OCDE, ces coûts ont augmenté de 18% dans la zone euro par rapport à l’Allemagne durant ces dix dernières années. Par conséquent, un taux de change inférieur à 1,67 nouveau deutschemark pour un euro serait indiscutablement préjudiciable aux Allemands.
Cependant, même si l’Allemagne revenait au deutschemark à un cours supérieur à 1,67 par rapport à l’euro, il y aurait destruction de richesse pour les Allemands qui auraient des avoirs à l’extérieur de l’Allemagne libellés en euros. La «finca» à Majorque, célèbre cliché, se dépréciera au moins d’autant que l’euro perdra de valeur par rapport à l’hypothétique nouveau deutschemark. C’est là un des prix qu’il faudra payer.
ANDREAS HÖFERT Global Head Wealth Management Research UBS mai10
EN COMPLEMENT INDISPENSABLE : Interdiction des ventes à découverte : L’Allemagne perd le sens des réalités (cliquez sur le lien)
DERNIERE MINUTE : L’Allemagne se défend de faire cavalier seul sur les ventes à découvert
Le gouvernement allemand s’est défendu mercredi d’agir sans concertation avec ses partenaires européens en voulant interdire largement les ventes à découvert à nu, disant vouloir lutter contre la spéculation et “restaurer la confiance” dans les marchés.
“Nous voulons envoyer le signal clair aux marchés que nous allons agir là où nous le pouvons sur une base nationale pour lutter contre les spéculations exagérées et la spéculation en général, afin de calmer les marchés et restaurer la confiance“, a dit le porte-parole du ministère des Finances, Michael Offer, lors d’une conférence de presse régulière.”Je ne trouve pas qu’on ait agi de manière non coordonnée”, a-t-il ajouté.
Cette décision s’inscrit selon lui dans le cadre de “mesures décidées au sein de l’Eurogroupe pour assurer la stabilité dans la zone euro“. C’est “un pas que nous pouvons entreprendre au niveau national dans le cadre de la régulation des marchés financiers”, a-t-il jugé.
Par ailleurs, Berlin avait exprimé “dès le début de l’année” son projet d’interdire largement les ventes à découvert et “cela avait été bien reçu”, a-t-il assuré. La mesure va simplement être avancée, sous forme de projet de loi, en raison de “certaines exagérations sur le marché liées à la crise grecque et la crise de l’euro”, a encore argué le porte-parole.
L’Allemagne a annoncé il y a une semaine l’interdiction immédiate et jusqu’en mars 2011 des ventes à découvert à nu portant sur les emprunts d’Etats de la zone euro, sur certains types de CDS (Credit default swaps, soit des couvertures contre le risque de faillite d’un pays ou d’une entreprise) et sur les actions de 10 institutions financières (banques et assurances).
Cette décision avait semé le trouble sur les marchés boursiers et provoqué notamment l’irritation des autorités françaises.
Berlin prévoit d’étendre cette interdiction à toutes les actions et d’interdire aussi les produits dérivés sur l’euro non destinés à s’assurer. Un projet de loi est en préparation.
“Là où nous pouvons agir nationalement, nous voulons le faire, que ce soit via le BaFin (autorité de surveillance des marchés) ou la voie législative”, a encore dit M. Offer.
BERLIN, 26 mai 2010 (AFP)
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