Commentaire de Marché

Nouriel Roubini : « Nous sommes dans une zone dangereuse »

Nouriel Roubini : « Nous sommes dans une zone dangereuse »

  Nouriel Roubini, au cours d’un entretien  livre son analyse sur la crise actuelle de l’euro.

PLUS DE ROUBINI EN SUIVANT :

Vous avez évoqué un possible « éclatement » de la zone euro. Persistez-vous dans ce pronostic ?

Le risque existe. Le problème principal de l’Union monétaire, au-delà des déficits excessifs, est que certains pays ont perdu en compétitivité. L’un des moyens pour la restaurer consiste à renoncer à l’euro et à revenir aux monnaies nationales – drachme, peseta ou escudo.

Ne pas le faire obligerait ces pays à réduire les salaires ce qui provoquerait une récession. Opter pour la solution allemande, c’est-à-dire restructurer l’appareil productif, prendrait trop de temps. In fine, la seule option pour éviter un éclatement de la zone euro et regagner en compétitivité est de faire plonger l’euro. Parti de 1,50 dollar, il est descendu à 1,20. Il peut chuter jusqu’à la parité avec le dollar. La Banque centrale européenne (BCE) doit jouer son rôle en adoptant une politique monétaire accommodante.

Quelles seraient les conséquences de « l’éclatement » de l’euro pour l’Europe et pour le reste du monde ?

Si ce scénario se concrétise, ce que je ne crois pas à court terme, seuls un ou deux pays quitteront la zone euro. Ce processus peut être orchestré de façon ordonnée pour limiter les dommages au système financier, comme ce fut le cas au Pakistan ou en Ukraine : la vieille dette a été remplacée par une nouvelle dette avec une maturité plus longue et des intérêts maîtrisés.

En revanche, si les choses se font de façon désordonnée et précipitée, les dommages ne concerneraient pas seulement la région mais le monde entier avec des conséquences économiques, politiques et sociales.

Si plusieurs membres de l’Union monétaire décidaient de quitter la zone euro, l’Europe se recentrerait autour d’un noyau dur de quelques pays, plus homogènes en termes de politiques économiques et fiscales. Ainsi recomposée, l’Union monétaire pourrait survivre, même si la transition est délicate.

L’Europe n’est pas la seule à être en difficulté : les Etats-Unis, le Royaume-Uni, le Japon sont également confrontés à des déficits publics gigantesques…

Oui et nous sommes, je pense, entrés dans une seconde phase de la crise.

Nouriel Roubini : L’Europe annonce la «deuxième phase de la crise financière» (cliquez sur le lien)

La mise en place de plans de relance keynésiens pour éviter que la récession ne se transforme en dépression a fait basculer l’amas de dettes privées vers le secteur public. Nous avons socialisé les pertes du secteur privé. Et nous sommes dans une zone dangereuse.

La situation est-elle tenable en l’état ?

Il s’écoulera sans doute beaucoup de temps avant que les Etats-Unis perdent leur note « AAA ». Mais la maladie américaine, c’est un déficit budgétaire qui dépasse 10 % de son produit intérieur brut (PIB), 1 500 milliards de dollars (1 255 milliards d’euros). La situation n’est pas tenable. Pour le moment le pays est à l’abri, car l’appétit des investisseurs pour la dette américaine reste vif. Mais un jour les détenteurs de cette dette pourraient se réveiller, et dire « même les Etats-Unis sont dans une situation critique ».

Que pensez-vous de la multiplication des politiques de rigueur ?

Augmenter les impôts et réduire les dépenses est socialement douloureux. Mais quelle est l’alternative ? Poursuivre des politiques budgétaires généreuses ? Les marchés ont déjà sonné l’alerte, le faire serait aller à la faillite. Quant à la solution qui consisterait à « imprimer de l’argent », cela conduirait à créer une inflation galopante. L’austérité n’est pas une option facultative.

L’augmentation des déficits budgétaires pose un « dilemme politique extrême » aux gouvernements confrontés à une gestion délicate de la fin des gigantesques plans de relance mis en place il y a plus d’un an. D’un côté, nous avons besoin des plans de relance monétaire, car la reprise de la demande reste anémique, et d’un autre côté les déficits budgétaires peuvent faire dérailler le train budgétaire. Ces questions ne vont pas être faciles à résoudre. Si vous mettez fin au plan de relance trop tôt, le risque est de retomber dans la récession, la déflation et même la dépression.
Mais d’un autre côté, si on maintient trop longtemps ces plans de relance qui ne font qu’augmenter les déficits budgétaires, il y a une possibilité de « défaut » de paiement (faillite des gouvernements) comme pour certains pays européens.
Dans les pays comme les Etats-Unis, le Japon ou le Royaume-Uni où l’on peut imprimer des billets, on peut éviter le défaut, il n’y aura pas un problème de dette souveraine, mais on peut avoir une inflation forte en raison de la monétisation du déficit budgétaire.

Doit-on redouter une rechute de l’économie ?

En Europe oui. Avant la crise grecque, la croissance en zone euro était estimée à moins de 1 % en 2010. Compte tenu du choc intervenu au cours des trois derniers mois, si l’économie n’entre pas techniquement en récession la croissance sera proche de zéro, les Bourses vont continuer à chuter, les coûts de l’emprunt vont augmenter, les liquidités manquer, la confiance des investisseurs, des entreprises, des ménages, se détériorer. La croissance déjà anémique le sera plus encore.

Le G20 se réunit à la fin du mois pour discuter des nécessaires réformes de la régulation financière. Va-t-on dans la bonne voie ?

Le G20 est l’organisme de gouvernance mondial approprié, car les pays émergents devenus incontournables comme la Chine, le Brésil, l’Inde, la Russie, sont à la table des discussions. Des progrès ont déjà été faits pour améliorer la régulation financière en mettant sur pied des principes élémentaires de réforme de la régulation financière. Il faut aller au bout. Les crises ne sont pas un black swan (cygne noir), un événement imprévisible, mais un « cygne blanc », un événement prévisible et évitable.

Aux Etats-Unis, vous êtes surnommé Dr Doom (Dr Fatalis) du fait de votre pessimisme. Avez-vous une bonne nouvelle à nous annoncer ?

Je ne suis pas Dr Doom, mais plutôt Dr Réalité. Il ne s’agit pas d’être optimiste ou pessimiste mais d’analyser les faits. Et les choses que j’ai annoncées se sont malheureusement souvent produites. La bonne nouvelle est que, face à la crise mondiale, il y a une réaction politique. En outre, si le Nord reste en crise, l’économie est plus robuste dans les pays émergents. On assiste à la bascule de l’économie de l’Ouest vers l’Est, de l’Europe et des Etats-Unis vers l’Asie, du G7 vers le G20.

Propos recueillis par Claire Gatinois le monde juin10

BILLET PRECEDENT : Nouriel Roubini : La titrisation comparée à la fabrication de la saucisse (cliquez sur le lien)

 
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2 réponses »

  1. Lundi 7 juin :

    – Si l’Espagne avait dû lancer un emprunt à 10 ans, elle aurait dû payer un taux d’intérêt de 4,601 %.

    Le graphique des taux d’intérêt des obligations espagnoles est incroyable : les taux d’intérêt espagnols sont en train d’exploser.

    http://www.bloomberg.com/apps/cbuilder?ticker1=GSPG10YR%3AIND

    – Si l’Irlande avait dû lancer un emprunt à 10 ans, elle aurait dû payer un taux d’intérêt de 5,149 %.

    http://www.bloomberg.com/apps/cbuilder?ticker1=GIGB10YR%3AIND

    – Si le Portugal avait dû lancer un emprunt à 10 ans, il aurait dû payer un taux d’intérêt de 5,20 %.

    http://www.bloomberg.com/apps/cbuilder?ticker1=GSPT10YR%3AIND

    – Si la Grèce avait dû lancer un emprunt à 10 ans, elle aurait dû payer un taux d’intérêt de 8,141 %.

    http://www.bloomberg.com/apps/cbuilder?ticker1=GGGB10YR%3AIND

    Le Portugal, l’Irlande, la Grèce et l’Espagne voient leurs taux d’intérêt qui explosent : ces quatre pays foncent vers le défaut de paiement.

    Au contraire, les taux d’intérêt de l’Allemagne deviennent de plus en plus bas.

    – Si l’Allemagne avait dû lancer un emprunt à 10 ans, elle aurait dû payer un taux d’intérêt très faible : seulement 2,563 %.

    http://www.bloomberg.com/apps/cbuilder?ticker1=GDBR10%3AIND

    Cette divergence est intenable.

    Cette situation est explosive : la zone euro va finir par éclater.

    • Effectivement, la zone euro un an apres ce commentaire est sur le point d’eclater …
      c’etait donc bien vu
      L’experience et les mises en garde de gens avises ne sert donc a rien.
      Les gouvernements le savaient aussi mais on recule l’etat de choc
      et on attend … la vague, le tsunami destructeur, la lame de fond.

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