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Secteur Bancaire/rémunérations : Le débat égaré dans les slogans

Secteur Bancaire/rémunérations :  Le débat égaré dans les slogans

Que reste-t-il des controverses sur les rémunérations à la performance? Des questions sur l’effet de levier dans le secteur bancaire.

Les assemblées générales des grandes banques suisses ne semblent pas avoir été suivies par des mesures inédites pour endiguer leurs rétributions étourdissantes. Les anathèmes des bien-pensants et les envolées des marchands d’éthique étaient à la mesure de la perplexité des dirigeants. Le débat s’est égaré dans les slogans.

Mais quelle est la politique de rémunération des banques?

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Elle consiste à payer la presque totalité des employés aux tarifs pratiqués dans toutes les autres entreprises maisde récompenser une poignée de professionnels et de cadres à des tarifs sans rapport avec cette majorité. Elles justifient cette politique par la spécificité du secteur bancaire. Voici leur raisonnement:

– il est nécessaire d’atteindre des niveaux de performance élevés pour assurer le développement de la banque;

-pour ce faire il est efficace de lier la rémunération de certains cadres à leur performance individuelle;

– ce lien doit avoir un effet de levier puissant pour deux raisons:

1) rendre fort le lien avec le résultat pour stimuler la performance,

2) attirer les meilleurs qui ne viendraient pas ou s’en iraient s’ils ne peuvent pas s’enrichir grâce à leur performance individuelle.

Cette situation est récente: pendant des siècles les banquiers ont payé leurs commis sans recourir à des bonus extravagants et il paraît qu’à cette époque les banques faisaient aussi du bénéfice.

Que pour augmenter leur performance, les banques aient décidé de lier la rémunération à la performance individuelle n’a rien d’inhabituel.

Beaucoup d’entreprises le font. La différence réside dans l’effet de levier c.à.d. la pente et la hauteur de la courbe de la récompense.

Car afin d’attirer les plus performants, les courbes ont pris une allure vertigineuse.

La surenchère, rampante d’abord, galopante ensuite est devenue incontrôlable. Le missile à trois étages «performance», «bonus», «spéculation », a lancé une spirale infernale. On connaît la suite. 

Rétributions variables et effets de levier

Pendant la même période, les autres entreprises, que ce soit dans l’industrie ou dans les services, ont également augmenté leur performance. Elles attirent aussi les meilleurs et elles utilisent la rémunération variable mais à des allures plus modérées.

Ce qui différencie les banques des autres entreprises n’est pas qu’il s’y trouve beaucoup d’argent. Cela est également le cas dans d’autres branches. Toutefois elles sont, pour ainsi dire, seules à faire le commerce de l’argent. Les bonus à fort effet de levier se justifieraient donc exclusivement par cette spécificité.

Qu’il soit possible partout ailleurs d’atteindre, avec une égale motivation, des performances exceptionnelles avec ou sans rémunération variable, ne concernerait donc pas l’industrie bancaire.

On ne peut pas dire qu’un tel discours rend hommage à notre discernement. Car cette prétendue spécificité ressemble plutôt à une dépendance dont il est devenu tellement difficile de se débarrasser qu’on préfère la garder.

Entretemps la crise financière a apporté la preuve que ces pratiques sont coûteuses, inefficaces et, pour tout dire, nuisibles. Les banques ont donc intérêt à y mettre un terme elles-mêmes.

D’abord il semble à la fois inutile et abusif d’accorder, comme il arrive encore, des bonus dont une part résulte directement ou indirectement de la simple hausse des marchés. Il n’y a dans ce cas aucun mérite et le bénéficiaire touche en fait une rente sans effort ni compétence. C’est comme si on payait une prime à un météorologue parce qu’il a fait beau.

Ensuite, la prospérité de l’entreprise devrait prévaloir sur celle de ses membres. Par conséquent, si les résultats et/ou le bilan de la banque tombent sous un certain seuil, personne ne devrait toucher un bonus. A plus forte raison, il en va de même si la banque a dû faire appel à l’aide de l’état. On conçoit mal qu’une telle solidarité puisse être refusée par des professionnels intègres.

En même temps, on pourrait réduire le caractère individuel des bonus en faisant participer les équipes. Cela permettra d’y inclure le back office et d’autres laissés pour compte qui ont autant de mérite. Personne ne performe toute seule dans une entreprise.

Ce type de partage maintiendra une saine émulation mais créera son propre système de contrôle. Car l’équipe prendra soin ellemême et sans délai des électrons libres qui tenteraient l’aventure dans leur coin.

Finalement, il serait utile d’atténuer les courbes et de plafonner les bonus à une hauteur empêchant de convertir un gestionnaire circonspect en parieur fiévreux.

De tels modèles, dont la mise au point n’est pas d’une complexité effarante, éviteront de gaspiller des fortunes en bonus. Ils déjoueront aussi le risque grandissant d’une réglementation imposée et donc forcément arbitraire.

Les grandes banques suisses ont les moyens de former leurs professionnels dès le début de leur carrière. Elles peuvent se constituer un réservoir de talents du meilleur niveau. Même avec une structure de rémunération plus apaisée, elles disposeront pour longtemps des meilleures ressources.

Celles-ci risquent d’aller ailleurs un jour? C’est possible, mais les entreprises qui forment et développent leurs ressources humaines ont généralement les taux de rotation les moins élevés. L’audace de refuser la surenchère force le respect et attire celles et ceux qui, à juste titre, la considèrent comme une injustice. Le gaspillage des bonus agace tout le monde. En y mettant un terme, les banques suisses ont l’opportunité de retrouver une spécificité que les clients, les actionnaires et les citoyens apprécieront de concert. (PVB)

PAUL V. BROECKX Président du CRPM (Management Training Center). Ancien DRH de Nestlé juil10

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