Considérations estivales par Guy Wagner
L’été constitue une période propice pour prendre un peu de recul par rapport aux fluctuations journalières des marchés financiers et réfléchir aux tendances susceptibles de marquer l’environnement financier des années à venir. Ceci est d’autant plus vrai cette année étant donné qu’à l’heure actuelle les marchés semblent essentiellement guidés par des considérations techniques en attendant que le fondamental reprenne le dessus.
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Il paraît aujourd’hui inimaginable de voir les marchés boursiers revenir vers leurs niveaux de début 2009, voire tomber plus bas (tout comme en octobre 2007, il paraissait inimaginable de voir ces marchés chuter de 60 % sur 18 mois ou en mars 2009, de les voir remonter de 70 % sur 1 an). Les investisseurs ont tendance à baser leur stratégie et leurs attentes en matière de rendement sur leur expérience récente.
Au début des années 80, après 15 années de quasi-stagnation des cours boursiers, accompagnée d’une grande volatilité, peu de gens s’intéressaient aux actions. En août 1979, le magazine BusinessWeek annonçait ainsi sur sa couverture « la mort des actions » (‘The death of equities – How inflation is destroying the stock market’). Vingt années plus tard, l’indice Dow Jones était passé de 840 à 11.500 et les investisseurs ne juraient plus que par les actions, celles-ci étant considérées comme de loin le meilleur placement à long terme.
Il est intéressant de constater que malgré une décennie très mauvaise pour les marchés boursiers pendant laquelle les actions ont fortement sous-performé les marchés monétaires et obligataires, le culte de l’action semble toujours bien vivant. La rapidité avec laquelle les investisseurs reviennent en bourse au moindre rebond technique fait que les actions n’ont jamais vraiment corrigé leur surévaluation massive de la fin des années 90 et demeurent aujourd’hui à des multiples de valorisation nettement supérieurs à ceux qui avaient par le passé permis la naissance des grands marchés haussiers. Au début des années 80, les actions américaines se traitaient à 6 fois les bénéfices et payaient en moyenne un dividende de 6 %. Aujourd’hui, malgré 10 années « pour rien », elles restent 2 à 3 fois plus chères. D’aucuns justifient leur valorisation plus élevée par le fait que les taux d’intérêt sont beaucoup plus bas. Outre le fait que des taux bas diminuent l’attrait des principales alternatives aux actions, les produits monétaires et obligataires, ils augmentent aussi la valeur présente des bénéfices futurs des entreprises (un bénéfice 2020 de EUR 1 million a une valeur présente de EUR 386.000 lorsqu’il est actualisé à un taux de 10 % et de EUR 614.000 lorsqu’il est actualisé à 5 %). L’argument des taux bas n’enlève toutefois rien au principe que « le prix payé détermine le rendement » et que lorsqu’on achète les actions à 20 fois les bénéfices, on ne peut pas s’attendre au même rendement sur le moyen et long terme que si l’on paie 10 fois ces bénéfices. En d’autres mots, dire que la valorisation des actions est attrayante au vu du niveau bas des taux d’intérêt revient uniquement à dire que le rendement d’un placement boursier dans les années à venir sera en principe supérieur à celui offert par un placement à revenu fixe.
Des études empiriques montrent qu’un investisseur qui aurait par le passé acheté le marché américain à sa valorisation actuelle, aurait en moyenne obtenu dans les 10 années qui suivirent un rendement annuel réel (ajusté pour l’inflation) d’environ 3 %. Ce chiffre est en effet supérieur à celui auquel on peut s’attendre pour un placement monétaire ou obligataire étant donné que le rendement moyen d’un emprunt d’Etat allemand ou américain tourne actuellement autour de 2,5 % (pour arriver à un rendement réel de 3 %, il faudrait dès lors une déflation de 0,5 % par an). Il me semble néanmoins nettement inférieur à celui que les investisseurs ont en tête lorsqu’ils achètent des actions.
Utiliser l’argument des taux bas pour justifier un investissement en actions est par ailleurs pour le moins osé lorsque, comme c’est le cas à l’heure actuelle, le niveau bas des taux d’intérêt est dû à un environnement économique et financier particulièrement fragile. Le recul des taux d’intérêt et la hausse des multiples de valorisation dans les années 80 et 90 s’expliquait par la baisse de l’inflation et, du moins pendant un certain temps, par une amélioration des fondamentaux économiques. Aujourd’hui, ces fondamentaux se détériorent et les taux d’intérêt ne peuvent de toute façon guère reculer davantage. Cette situation ne plaide pas en faveur d’une augmentation des multiples de valorisation. En ce qui concerne ces derniers, on lit souvent que les marchés boursiers ont corrigé leur excès de valorisation et se traitent aujourd’hui à des multiples raisonnables (pour les Etats-Unis), voire bon marché (pour l’Europe). L’argument étant que sur base du ratio le plus souvent utilisé pour valoriser les actions, le ratio ‘cours/bénéfice par action’ (PER), les marchés se traitent aujourd’hui à un multiple inférieur à la moyenne historique. Ceci appelle 2 remarques.
Tout d’abord, ceci n’est vrai que si l’on utilise comme dénominateur dans le PER, les estimations de bénéfice des analystes pour les 12 mois à venir. Or, par le passé, ces estimations se sont généralement avérées nettement trop optimistes. De plus, ils excluent toutes les charges non-récurrentes.
Ensuite, si le PER moyen sur le long terme des marchés s’établit à quelque 15, force est de constater que les actions se sont rarement traitées à 15 fois les bénéfices. Dans la pratique, des périodes pendant lesquelles les actions sont plus chères (PER supérieur à 15) alternent avec des périodes où les actions sont moins chères (PER inférieur à 15). En d’autres mots, la notion de « retour vers la moyenne » (confirmée par l’histoire boursière) implique que lorsque les marchés ont été pendant longtemps surévalués (comme ce fut le cas pendant l’essentiel des 20 dernières années), ils devront « le payer » dans les années qui suivent par des multiples inférieurs à la moyenne. Le cours de bourse d’une entreprise réalisant un bénéfice de 1 $ par action et se traitant à 20 fois les bénéfices (PER de 20) est de 20 $. Si, 5 ans plus tard, le bénéfice par action de cette entreprise a augmenté de 50 % (passant à 1,5 $) mais que le marché n’est plus prêt qu’à payer 10 fois ce bénéfice, le cours de l’action s’établira à 15 $ et aura baissé de 25 %.
Il est entièrement possible que nous assistions à une telle compression des multiples de valorisation dans les années à venir. Le recul des taux d’intérêt qui avait entraîné l’expansion des multiples dans les années 80 et 90 est pratiquement terminé. L’inflation est proche de zéro et pourrait prochainement se transformer en déflation (contrairement à une inflation en recul, une déflation est mauvaise pour les marchés boursiers. L’histoire montre d’ailleurs qu’une fois que l’inflation tombe en-dessous de 1 %, les multiples de valorisation baissent). La reprise économique reste très fragile, le niveau élevé de l’endettement et la détérioration des finances publiques pesant sur la croissance dans les pays industrialisés. Le fait que c’est surtout du côté de la demande que le bât blesse augmente encore le risque de déflation, d’autant plus que si les gouvernements ont pu dans un premier temps compenser la faiblesse de l’activité économique dans le secteur privé par une augmentation des dépenses publiques, cette option semble maintenant épuisée étant donné l’importance des déficits budgétaires. Un nouveau ralentissement de la conjoncture, voire un retour en récession, arriverait dès lors à un moment où les autorités ne disposent plus de munition pour restimuler la croissance.
Je pense dès lors que si les fourchettes actuelles (~1000 à 1200 pour le S&P500, ~225 à 275 pour le Stoxx 600) peuvent tenir encore quelque temps, le prochain mouvement important des marchés boursiers sera à la baisse. Les indicateurs économiques traditionnels (tels que l’emploi ou les ventes de détail) montrent clairement que les Etats-Unis ne se trouvent pas dans une reprise classique. De plus, les effets positifs des mesures de stimulation sont en train de s’évaporer, le marché immobilier se détériore à nouveau et les statistiques les plus récentes témoignent d’une modération relativement importante de l’activité économique.
J’ai écrit à plusieurs reprises que le potentiel d’appréciation des cours boursiers (des pays industrialisés) sur 3 à 5 ans semble limité à partir des niveaux actuels et qu’une stratégie d’investissement devrait désormais privilégier le côté ‘rendement’ des actions, c’est-à-dire les dividendes. Acheter une action pour un dividende annuel de 5 % est évidemment mois excitant que de l’acheter pour une plus-value rapide de 20 % mais il est intéressant de noter que le thème du dividende commence à prendre de l’importance auprès des entreprises (selon le magazine ‘Barron’s’, le ratio entre entreprises américaines augmentant leur dividende et le diminuant est actuellement de 9 à 1) et auprès des investisseurs, à en juger par les flux de capitaux qui montrent que la recherche d’un rendement régulier est en train de rapidement devenir un thème d’investissement séculaire. Les tendances démographiques devraient accélérer ce développement, le vieillissement des ‘baby boomers’ les rendant moins enclins à prendre des risques et plus tributaires d’un rendement régulier pour financer leur retraite. Dans cette optique, le fait que le rendement du dividende du S&P500 se situe à l’heure actuelle quelque 40% en-dessous de sa moyenne historique n’est pas de bon augure pour le marché dans son ensemble.
Guy Wagner Banque du Luxembourg juil10
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