Art de la guerre monétaire et économique

Relancer l’activité en créant des bulles spéculatives constitue un choix dangereux

Relancer l’activité en créant des bulles spéculatives constitue un choix dangereux

En abreuvant le marché de liquidité, les banques centrales peuvent atténuer les effets d’une récession. Mais cette stratégie comporte un risque: les flux d’argent injectés auront des destinées imprévisibles…

Jean Pierre Petit : 2009, «victoire» de l’économie de bulle (cliquez sur le lien)

PLUS DECONOMIE DE BULLES EN SUIVANT :

Afin de faire baisser les intérêts, les banques centrales mettent plus d’argent en circulation. Lorsque l’offre d’argent dépasse la demande, le prix de l’argent – c’est-à-dire le taux d’intérêt – diminue. L’argent devient ainsi moins cher et incite à emprunter, dépenser et investir, ce qui permet à l’économie de se relever d’une récession.

Depuis ces deux dernières décennies, les récessions sont systématiquement combattues à l’aide de nouvelles injections d’argent peu cher, provoquant une spirale d’endettement accompagnée d’une croissance économique. En suivant ce modèle, la banque centrale américaine, sous la menace d’une dépression, augmente volontairement le volume d’argent sur le marché. Une démarche que d’autres Etats ont également adoptée. En conséquence, l’excès d’argent génère des bulles spéculatives. Le mantra Greenspan – Bernanke dit de les laisser se gonfler. Lorsque ces bulles finissent par éclater, la Fed fait imprimer davantage de billets pour en atténuer les conséquences. Cette politique, qui consiste à laisser gonfler puis éclater les bulles spéculatives, est appelée en anglais: boost’n bust (gonfler et éclater).

Assurément, cette stratégie a pu écourter des récessions. Pourquoi donc ne pas se débarrasser des déclins économiques à l’aide de stimuli fiscaux et monétaires proposés par les banques centrales et ainsi mettre définitivement fin aux récessions?

Ce qui rend problématique cette stratégie, c’est le fait que chaque injection d’argent doive surpasser la précédente. La dose de liquidités que les banques centrales ont injectée sur le marché en même temps – à l’échelle mondiale – pendant la crise financière, a atteint des proportions jamais vues jusque-là.

Même une récession a sa raison d’être; en effet, elle contribue à réduire les excès créés par la phase de croissance qui l’a précédée.

Pourtant, un surdosage d’«argent stimulus» l’empêche de mener à bien ce «rôle». En fait, ces fonds ne servent qu’à maintenir l’endettement à un taux très élevé. Par conséquent, chaque phase de croissance débute sur un niveau d’endettement supérieur au précédent.

 De plus, ce développement est accompagné d’une concentration des risques liés au crédit lorsque la dette s’accumule dans un nombre réduit de mains.

Le niveau de la dette ne peut grimper que si l’on croit qu’elle finira par être remboursée. Cependant, plus la dette grandit, moins cette confiance peut rester solide. Puisque le volume total de dettes dans l’économie augmente, la qualité des garanties de remboursement décline. Les garanties les plus sûres étant notamment utilisées en premier, les prêteurs devront se contenter par la suite d’une qualité de garantie plus faible. Cela conduit très facilement à des comportements basés sur la peur, et le suivisme, phénomènes bien connus à l’origine de la crise des «subprime».

L’argent artificiellement peu cher incite les gens à emprunter et à s’endetter. Pourtant, les coûts d’emprunt faibles peuvent se révéler traîtres. Considérons le cas où un intérêt de 1% venait soudainement à tripler. Même si ce taux reste relativement bas d’un point de vue historique, l’emprunteur n’en a pas moins vu ses coûts d’emprunt multipliés par trois. Ainsi, l’économie actuelle, dans sa totalité, est devenue vulnérable à ces variations des taux d’intérêts, pourtant petites dans l’absolu.

Les économies disposant d’un secteur financier élargi sont, par nature, plus instables.

 En Grande-Bretagne, les actifs du secteur financier ont connu une croissance explosive, leur poids passant de 50% à 550% du PIB en l’espace de quarante ans.

Les banques d’investissement, quant à elles, ont touché de grosses commissions en développant de nouveaux produits de crédit. Apparemment, ces banques, devenues de plus en plus gourmandes, ont même exploité des informations sur les mouvements de leurs propres clients, prenant parfois des positions contre eux. Partout, on a observé un regain de cupidité. Il n’est guère étonnant que la moitié des diplômés de Harvard aux Etats-Unis aient opté pour un emploi dans la finance en 2007.

Quand exactement se terminera cette politique de gonflement et d’éclatement des bulles?

 Personne ne le sait, mais un monde où les oscillations de l’économie se font de plus en plus violentes s’affirme d’ores et déjà. Les balancements entre la peur et l’avidité d’un investisseur prennent de la vitesse, ainsi que le gonflement de nouvelles bulles de prix. Comme l’eau s’échappant d’un seau renversé, les flux d’argent auront des destinées imprévisibles.

Les phénomènes décrits ci-dessus heurtent surtout les pays développés. En revanche, les pays émergents ne sentent leurs effets que de manière atténuée, car leurs foyers et leurs gouvernements sont moins endettés. Leurs avantages démographiques et structurels et leur volonté de rattraper leur retard économique favorisent la croissance, un peu à la manière d’un trou noir avalant tout sur son passage.

Par Hannes Kulvik et Risto Väyrynen Président et directeur de Sifter Global Fund aout 10

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Jean Pierre Petit / Les leçons de 2009 (2) : Toutes les bulles ne se valent pas

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