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Vous avez dit restructuration de dette ? par Jean-Pierre Petit

Vous avez dit restructuration de dette ? par Jean-Pierre Petit

  L’hypothèse de la restructuration de la dette souveraine de pays européens en difficulté (notamment la Grèce) a gagné en importance au cours de ces dernières semaines, avec en particulier des déclarations implicites de certains officiels allemands

PLUS/MOINS DE RESTRUCTURATION EN SUIVANT :

« Un pays ne fait jamais faillite », déclarait W. Wriston, l’ancien CEO (chief executive officer, NDLR) de Citigroup. C’est évidement faux, tout en contenant une part de vérité. C’est faux dans la mesure où toute l’histoire prouve le contraire : à certaines périodes (1820-30, 1870-80, années 1930-50), la part des pays en défaut souverain extérieur dans le monde a même frôlé les 40 %, voire 50 %. Mais il est vrai qu’on ne peut, comme pour une simple entreprise en procédure de faillite, liquider et/ou saisir des actifs de l’Etat.

Dès lors, tout est affaire de négociation entre l’Etat (débiteur) et ses créanciers. Pour l’Etat débiteur, il s’agit d’un arbitrage entre les coûts et les bénéfices du défaut. Les avantages sont clairs ; réduction des problèmes de liquidité, voire de solvabilité ; atténuation de l’ajustement récessif sur l’économie.

Quid des coûts ? Des difficultés d’accès aux marchés de capitaux extérieurs, ce qui peut être dramatiquement récessif dans le cas d’un pays à déficit chronique de la balance courante. Au-delà, un défaut aboutit à affaiblir fortement son système bancaire et peut être source de difficultés spécifiques pour le financement de son commerce extérieur ou pour sa réputation plus générale, d’où une moindre attractivité de son territoire.

C’est pourquoi, au total, il n’y a jamais de défaut total. En cas de défaut négocié, on parle alors de restructuration de dette. L’Etat débiteur est donc amené à restructurer sa dette en négociant avec ses créanciers. Même la Russie, lorsqu’elle est revenue dans le jeu des marchés au cours des années 90, a accepté la renégociation de la dette tsariste, certes 70 ans après le refus bolchévique et pour un montant symbolique.

Aujourd’hui, on ne peut donc plus dire que l’analyse officielle de l’Europe à l’égard au moins de la Grèce se résume à une simple crise de liquidité. Cela ne fait qu’illustrer une lucidité tardive. La Grèce enregistre une récession nominale cette année de 1,5 % alors que les taux longs nominaux sont à plus de 14 %. Même si l’on admettait une certaine détente des taux nominaux au cours des prochaines années, les exigences de surplus primaire pour ce pays apparaissent totalement irréalisables, compte tenu notamment de son niveau actuel de dette (ratio de dette publique/PIB en 2011 de 152 %).

Mais on peut aussi comprendre les raisons de ce retard. Dans un processus de restructuration, la question du timing est en effet essentielle.

Il ne s’agit pas d’organiser un défaut trop rapidement. C’est d’abord une question de crédibilité. La restructuration ne vient qu’en appui d’un processus d’ajustement budgétaire douloureux et il faut donc que le pays ait d’abord démontré une capacité substantielle d’efforts. D’une manière générale, il y aurait aléa moral si le processus de restructuration se mettait en place trop rapidement. Ensuite, il faut laisser du temps aux investisseurs, en particulier aux banques, de s’ajuster graduellement. C’est tout le sens des stress tests (tests de résistance, NDLR) bancaires que d’inciter dans le temps les banques à se renforcer en termes de solvabilité. Enfin, le problème de l’intensité de la contagion est étroitement lié à celui du timing de la restructuration.

Il ne s’agit pas non plus d’agir trop lentement. Lorsque la rigueur des efforts d’ajustement menace, sur un plan économique, politique et social, les objectifs eux-mêmes, un défaut négocié se justifie pleinement. L’ajustement budgétaire récessif porte en lui-même les germes d’une insoutenabilité politique et sociale majeure.

C’est pourquoi il fallait lisser les anticipations et accoutumer progressivement la communauté des investisseurs à l’hypothèse d’un défaut négocié de la part des pays les plus vulnérables. Déjà, certains « signaux » avaient été envoyés (admission par l’Europe en octobre 2010 d’une insolvabilité inattendue d’un pays à partir de 2013, restructuration en mars dernier des prêts de l’Union à la Grèce, via une baisse des taux et une hausse de la maturité).

Nous n’en sommes qu’au début d’un long processus. L’expérience montre qu’un processus de restructuration « réussi », au sens de l’obtention d’un équilibre des intérêts des créditeurs et débiteurs, suppose un processus à la fois bien préparé, bien coordonné et bien communiqué

Jean-Pierre Petit Président des Cahiers Verts de l’économie 28/4/11

SOURCE ET REMERCIEMENTS : LE BLOG DE JEAN PIERRE PETIT

EN COMPLEMENT : Un défaut fantôme? Par Pierre André Sallier/le temps avril111

La Grèce pourrait continuer de payer ses dettes. Mais avec des années de retard

Pourquoi les Etats souverains rembourseraient-ils leurs dettes en cas de difficulté? Dans un article fondateur de 1981, les économistes Jonathan Eaton et Mark Gersovitz montraient que l’une des principales raisons était la menace d’exclusion des marchés de capitaux.

 Juan Cruces, de l’université argentine de Torcuato Di Tella, et Christoph Trebach, de la Free University of Berlin, ont étudié, dans un article qu’ils s’apprêtent à publier, plus d’une centaine de cas de remboursement partiel par un Etat. Leur conclusion? Plus la proportion de dette «effacée» est importante et plus longue sera la période d’exclusion des marchés. Et plus élevés seront les taux imposés par la suite.

Contrainte en 2001 de tirer un trait sur les trois quarts de ses engagements, l’Argentine en sait quelque chose. Le pays demeure un paria des marchés. Et les lignes de crédit en devise restent minces pour ses meilleures entreprises comme ses exportateurs. Et encore le pays a-t-il pu activer l’arme de la dévaluation pour sortir du gouffre.

Rembourser mais différer

Ce coût d’un non-remboursement explique pourquoi, en coulisses, une autre stratégie est évoquée pour la Grèce: un défaut qui ne dit pas son nom. Le pays n’annoncerait aucun «haircut», se disant prêt à rembourser la totalité de ses dettes. Mais avec des années de retard. Pour les banques, le manque à gagner, équivalent, serait étalé dans le temps. Le pays – qui n’est pas marqué au fer rouge du «défaut» – peut espérer ne pas voir la porte des marchés se fermer. Et de ne pas déclencher la réaction en chaîne des CDS

les analystes de Goldman Sachs estiment qu’effacer 60% des dettes de la Grèce ne ferait perdre que 60 milliards de dollars aux banques européennes; soit 3% de leur fonds propres «durs». Cette estimation ne prend cependant pas en compte un autre péril, plus diffus: l’activation, aussitôt le bouton du «défaut» pressé, de polices d’assurance contractées pour se protéger contre – ou spéculer sur – une faillite grecque. En 2008, une telle réaction en chaîne – sur laquelle avait spéculé Goldman Sachs – avait fait disjoncter le système financier après la banqueroute de Lehman. Un spécialiste genevois rappelle certes que l’encours de ces assurances «CDS» sur les pays européens en difficulté demeure cinquante fois plus faible que celui des protections sur une faillite de Lehman. Il n’empêche, deux ans après la crise financière, ce péril reste dans tous les esprits.

L’initiative de Vienne

Les économistes de la Société Générale esquissent ainsi une mobilisation concertée des banques et des autorités européennes, similaire à celle de «l’initiative de Vienne» de 2009, à la suite de la crise financière. Avec, à la clé, le report «volontaire» – adjectif utilisé par le ministre de Finances allemand – du remboursement de la dette grecque en 2012. L’adhésion des banques serait facilitée par «certaines garanties, pouvant, par exemple, s’inspirer du système américain des «Brady bonds», utilisé lors du règlement de la crise de la dette latino-américaine de 1989. Ou une «certaine indulgence dans la comptabilisation de ces prêts à leur valeur de marché». Technique, longue, peu spectaculaire, cette option permettrait de ne jamais prononcer le mot honni.

Spécialiste au sein de la Société Générale, Ciaran O’Hagan note que «la restructuration de la dette a déjà commencé». Sans bruit. Rappelant que les rachats d’emprunts grecs, irlandais ou portugais par la Banque centrale européenne s’apparentent «à une première offre faire aux investisseurs pour se séparer – à prix cassé – de leurs créances».

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