Une tragédie grecque par Guy Wagner
“Insanity is doing the same thing over and over again and expecting different results.” (Albert Einstein)
Le Parlement grec a donc adopté la semaine dernière un nouveau plan d’austérité, ouvrant la voie au versement d’une nouvelle tranche de 12 milliards d’euros par l’Union européenne et le Fonds Monétaire International (FMI) et à la mise en place d’un nouveau plan de sauvetage pour la Grèce. Parallèlement, le plan des banques françaises sur un “roll-over” volontaire des obligations grecques, pour éviter un défaut stricto sensu de la Grèce, semble faire son chemin. La tragédie grecque peut dès lors continuer.
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La Grèce pourra t-elle un jour rembourser sa dette ?
Le vote de la semaine dernière et les milliards que recevra la Grèce permettent de gagner du temps mais ne changent rien à la réalité qui est que la Grèce ne pourra jamais rembourser sa dette et que le pays ne pourra jamais se financer dans le marché à des conditions raisonnables tant qu’il traînera le boulet de cette dette. Les mesures d’austérité prévues dans le plan adopté la semaine dernière ne sont pas crédibles mais même si elles l’étaient, elles auraient comme impact de réduire davantage encore la croissance économique, d’augmenter le chômage, de diminuer les recettes fiscales (sur les 2 premiers mois de l’année, les recettes fiscales de la Grèce sont en baisse de 8 %, alors que le plan du FMI prévoyait une hausse de 8 %) et de rendre encore plus insoutenable le poids de la dette.
De même, le plan des banques françaises est avant tout un plan d’aide … aux banques françaises, voire européennes, voire américaines, mais ne fait rien pour diminuer la dette de la Grèce. Le comparer au plan Brady, mis en place en 1989 pour faire face au problème de l’endettement de l’Amérique Latine, n’est dès lors pas valable. Ce plan prévoyait notamment une réduction importante de cette dette, les banques pouvant échanger leurs prêts aux pays d’Amérique Latine contre des emprunts à 30 ans garantis par le Trésor américain mais émis avec une réduction de 35 % par rapport à la valeur nominale.
Pragmatisme ou inconscience ?
D’aucuns loueront le pragmatisme avec lequel les autorités européennes gèrent cette crise, pragmatisme qui les a amenées à progressivement briser les règles prévues dans les traités européens. Les mesures mises en place ont été justifiées par la nécessité d’éviter un effet de contagion aux autres pays de la périphérie et de ne pas mettre en péril le paysage bancaire européen. D’autres déploreront que ce pragmatisme se fait au détriment du bon sens économique en ignorant notamment une règle fondamentale qui est qu’un problème de dette excédentaire ne se résout pas en ajoutant encore davantage de dette. A cela s’ajoute le fait que des tensions ont commencé à apparaître entre les créanciers de la Grèce, l’Allemagne demandant notamment une plus grande mise à contribution des investisseurs privés ce à quoi la Banque centrale européenne s’oppose catégoriquement étant donné que son bilan est pollué par les nombreux emprunts grecs qu’elle détient.
La Grèce manque de compétitivité
D’un point de vue économique, il semble évident que la Grèce devra faire défaut sur une grande partie de sa dette et adopter des réformes structurelles pour changer profondément son modèle économique et dévaluer sa monnaie si le pays veut avoir une chance de voir la lueur au bout du tunnel et éviter des années, voire des décennies, de morosité économique. Le dernier point touche évidemment directement à la survie de la monnaie unique dans sa forme actuelle. La Grèce ne souffre pas uniquement d’un problème de dette mais, surtout, d’un problème de manque de compétitivité.
Divergences économiques entre pays de la zone euro
Imposé sur le plan politique malgré de nombreuses objections économiques, l’euro était censé stabiliser l’économie européenne et accélérer son intégration. Les objections économiques tournaient autour du fait qu’en retirant à des pays le contrôle de leur monnaie et de leur politique monétaire, on les privait de leur capacité à réagir à un changement dans leur situation économique. Ceci n’était pas nécessairement grave tant que les pays concernés étaient fortement intégrés sur le plan économique mais risquait de devenir un problème très sérieux dès lors que l’union monétaire englobait des pays faiblement intégrés économiquement.La réponse des hommes politiques était de dire que la monnaie unique allait mener à l’intégration économique, celle-ci entraînant par la suite l’intégration politique.
Et il est vrai que dans un monde idéal, cela aurait pu fonctionner. Enlever aux pays du Sud le contrôle de leur monnaie aurait pu les inciter à procéder aux réformes structurelles nécessaires pour améliorer leur productivité et leur potentiel de croissance. Leur permettre de jouir d’un niveau de taux d’intérêt proche de celui de l’Allemagne (et beaucoup moins élevé que celui auquel ils étaient habitués), et donc de bénéficier d’une diminution de leur coût de financement, aurait pu les amener à améliorer leurs finances publiques. Dans la pratique, l’inverse s’est cependant produit. La baisse des taux d’intérêt a incité une surconsommation et l’apparition de bulles spéculatives et provoqué une détérioration de la discipline budgétaire. En même temps, l’augmentation des coûts salariaux a entraîné une perte de compétitivité qui s’est notamment traduite par des déficits extérieurs sans cesse croissants, rendant ces pays de plus en plus dépendants des capitaux étrangers. Si ces pays n’avaient pas fait partie de la zone euro, l’apparition de ces déficits aurait déclenché la sonnette d’alarme beaucoup plus tôt et nous ne serions pas arrivés au stade où nous nous trouvons aujourd’hui.
Le but déclaré de l’euro, une intégration de plus en plus grande des économies de la zone euro, n’a donc pas été atteint. Alors qu’une telle intégration s’était réalisée au cours des décennies précédant l’introduction de la monnaie unique, tel n’est plus le cas depuis quelques années. La situation actuelle va encore renforcer les divergences économiques entre pays de la zone euro, ne serait-ce que parce que ceux du Nord bénéficient d’un coût de financement très bas, l’opposé étant le cas pour ceux de la périphérie.
Quelle gouvernance pour l’Europe?
La crise de la zone euro pose dès lors aussi la question de savoir comment le continent européen sera gouverné au 21ème siècle. Aujourd’hui encore, le credo des autorités européennes est de dire que la monnaie unique devra être défendue coûte que coûte et qu’un abandon ou remaniement de l’euro est tout simplement inconcevable. Leur attitude est résumée dans la déclaration de la chancelière allemande, Angela Merkel, au forum de Davos : “Si l’euro échoue, c’est l’Europe qui échouera.” Tout d’abord, ceci traduit une certaine arrogance ou du moins une ignorance de l’histoire économique qui montre qu’il existe beaucoup plus d’exemples de systèmes ou unions monétaires qui n’ont pas survécu que d’exemples inverses.
Ensuite, le côté “coûte que coûte” commence à devenir inquiétant, le coût financier et humain des erreurs passées risquant de devenir de plus en plus lourd. Dans un récent papier intitulé “The fate of the euro”, Woody Brock, fondateur et président de la société Strategic Economic Decisions, écrivait que le but ultime des gouvernements doit être d’adopter des politiques destinées à maximiser le bien-être du plus grand nombre de leurs citoyens. Négliger ce but risquerait de faire de l’euro l’illustration emblématique d’une Europe imposée aux peuples et non souhaitée par eux.
Vers une union fiscale?
De nombreux observateurs estiment que la solution à la crise actuelle réside en une plus grande intégration politique et, notamment, une union fiscale. De manière implicite, les marchés financiers anticipent d’ailleurs que dans le pire des cas, une telle union verrait le jour. Il est vrai que l’absence de mécanismes de transferts fiscaux entre pays constitue un défaut de construction majeur de la monnaie unique. Et dans la mesure où l’euro est avant tout une construction politique, une telle union pourrait théoriquement être décidée et imposée aux citoyens.
L’euro est toutefois en quelque sorte un reliquat de la Guerre froide. Durant cette période, il existait une séparation claire entre l’Europe de Ouest et l’Europe de l’Est. Les intérêts économiques et politiques des pays de l’Ouest, mais aussi leurs préoccupations en matière de sécurité nationale, étaient relativement similaires. Aujourd’hui les liens économiques et géopolitiques des pays de la zone euro sont en train de s’affaiblir. En termes économiques, le commerce de l’Allemagne avec la Pologne et la République tchèque est par exemple plus important que celui qu’elle réalise avec l’Espagne, la Grèce, l’Irlande et le Portugal combinés.
En termes géopolitiques, le pays se rapproche de la Russie alors que cette dernière continue à inquiéter des pays comme la Roumanie. Union fiscale signifie perte d’indépendance politique. Il est difficilement concevable que l’Allemagne partage sa souveraineté en matière de taxation avec des pays dont les intérêts économiques et géopolitiques ne sont plus nécessairement les siens. De manière plus générale, l’Europe ne peut pas financer la Grèce, l’Irlande et le Portugal de la même façon que l’Allemagne de l’Ouest avait financé celle de l’Est sans provoquer une révolte de ses citoyens.
Il est tout-à-fait compréhensible que les autorités européennes refusent d’envisager un remaniement de l’euro en pleine crise et qu’elles essaient de prendre des mesures pour stabiliser la situation et gagner du temps. Il serait toutefois souhaitable qu’elles disposent d’un plan B, d’autant plus que beaucoup de temps a justement déjà été perdu avec des mesures incohérentes (S’agit-il de sauver la Grèce ou les banques? Veut-on aider la Grèce ou la punir?, …). Un consensus est en train de se former que le projet de l’euro ne peut plus fonctionner dans sa forme actuelle et qu’ il est préférable d’arrêter les frais plutôt que de créer encore davantage de dette qui ne pourra pas être remboursée.
mercredi 06 juillet 2011