Asie hors émergents

Tensions en mer de Chine du sud : quand le Dragon sort ses griffes

Tensions en mer de Chine du sud : quand le Dragon sort ses griffes

Le 26 mai, en mer de Chine du sud, un incident naval intervenu 100 km au large des côtes vietnamiennes met aux prises un bâtiment chinois et un navire scientifique vietnamien, le premier infligeant des avaries matérielles au second.

Un jeu dangereux qui provoqua le courroux d’Hanoi et de sa population – toutes deux notoirement sinosceptiques – , ainsi qu’une rare manifestation de nationalisme vietnamien : “les îles Paracel et Spratly appartiennent au Vietnam” ; “stop à l’invasion chinoise des îles vietnamiennes” scandait-on dans les rues de l’habituellement discrète République socialiste. Trois semaines plus tard, le gouvernement vietnamien ordonna des manoeuvres navales, degré supplémentaire témoignant de la sensibilité du sujet et de la détermination d’Hanoi.

Un mois après l’incident, Manille s’émut à son tour des ambitions de souveraineté exorbitantes de Pékin sur ce vaste et riche (ressources halieutiques ; hydrocarbures) espace maritime aux huit pays riverains, recevant le soutien explicite de Washington. Une communion américano-philippine qui “irrita” la République Populaire de Chine, ce d’autant plus que les Etats-Unis et le Vietnam, autrefois ennemis, se sont considérablement rapprochées dernièrement. Pékin suggéra à Washington de ne pas s’ingérer dans ce contentieux régional, en dépit de “l’intérêt national” américain pour la liberté de navigation sur cette artère maritime vitale pour l’économie mondiale.

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PLUS DE RISQUE EN SUIVANT :

Ambiance régionale et enjeux autour du “second Golfe Persique” :

Vietnam : le 9 juin, 15 jours après “l’incident” esquissé ci-dessus, Hanoi se plaint de l’attitude agressive d’un bâtiment chinois vis-à-vis d’un navire battant pavillon de Vietnam Oil &Gas Group. Une version des faits disputée par Pékin, selon qui les marins vietnamiens seraient en fait les “agresseurs”. Peu après, le 13 juin, le Vietnam procéda à des manoeuvres navales (dont des tirs à munitions réelles). Il faut en fait attendre le 26 juin pour que Pékin et Hanoi conviennent enfin, conjointement, de l’intérêt réciproque à désenfler ce différend et à adopter pour ce faire une gestion dépassionnée, axée sur le dialogue et non la provocation. La mobilisation anti-chinoise de la population, la détermination du gouvernement vietnamien – fort du soutien de diverses autres nations de l’Asean (L’Association des nations de l’Asie du sud-est) et de l’administration américaine – à ne pas s’en laisser compter par l’intimidante puissance chinoise, auront quelque peu surpris l’observateur.

Philippines : ayant déploré une dizaine d’incursions de navires chinois dans les eaux territoriales philippines ces quatre derniers mois, Manille s’est saisie avec plaisir du thème des encombrantes ambitions territoriales chinoises et du récent épisode sinovietnamien. Du reste, l’opinion philippine ne s’y est pas trompée, faisant circuler une pétition pour changer la dénomination mer de Chine du sud en mer d’Asie du sud-est … ? Etats-Unis : “Les Etats-Unis sont attachés à la défense des Philippines”, rappelait le 24 juin madame Hilary Clinton, secrétaire d’Etat américain, précisant : “Les Etats-Unis entendent honorer leur traité de défense mutuelle avec Manille”, conclu un demisiècle plus tôt (août 1951). Subtile, désireuse de ne pas servir plus d’arguments à Pékin, elle précisa, à l’adresse de cette dernière : “Les Etats-Unis ne prendront pas partie sur le différend en mer de Chine du sud”. Un an plus tôt, alors en déplacement à Hanoi (Vietnam), la secrétaire d’Etat avait rappelé la position de Washington sur ce contentieux régional : “Les Etats-Unis s’opposent à la menace ou au recours à la force par toutes les parties prenantes” … tout en laissant à demi-mot entendre qu’hormis la “menace chinoise”, il n’en était guère d’autres au sujet desquelles il fallait a priori s’inquiéter…Enfin, le 13 juin, le sénateur américain Jim Webb présenta un projet de résolution condamnant l’usage de la force en mer de Chine du sud par la Chine, appelant par ailleurs à des négociations multilatérales pour résoudre les contentieux maritimes.

Chine : selon Pékin, le différend territorial sur la souveraineté de divers archipels (Spratly, Paracel, Pratas) essaimés en mer de Chine du sud est avant tout une question régionale ; les Etats-Unis n’ont pas à s’en mêler. La mer de Chine du sud, un “core interest” pour l’ambitieuse seconde économie mondiale, par lequel transitent notamment 80 % de ses importations énergétiques… Pour le gouvernement chinois, Washington se saisit de ce différend territorial pour “revenir en Asie”. Pékin défend également le principe – conforme à ses intérêts – d’une négociation bilatérale avec chaque partie au différend, condamnant l’opportunité d’une démarche collective qui exposerait la force d’une opposition structurée, solide, défiante, avec laquelle il serait plus compliqué de composer. Le 1er juillet 2011, le tout premier porte-avions chinois à pris la mer pour ses premiers essais, avant d’être officiellement baptisé à l’automne, tandis que le 17 juin, le Haixun 31, un des plus grands navires de surveillance chinois, prenait la mer direction Singapour via la mer de Chine du sud.

Asean : Le 19 juin, en appui d’une demande préalablement initiée par les Philippines, six autres pays de l’Asean – Indonésie, Laos, Malaisie, Singapour, Thaïlande et Vietnam – appellent à la gestion pacifique des contentieux en mer de Chine méridionale et en mer des Philippines. La référence à la Convention des Nations-Unies sur le droit de la mer (1982) ainsi qu’au plus récent Asean — China Declaration of Conduct in the South China Sea (2002) devant selon eux servir d’outils-supports à la gestion de ces différends régionaux mêlant rivalités politiques, velléités d’influence et accès à des ressources précieuses (halieutiques ; pétrole ; gaz). Appuyée plus ou moins discrètement par Washington — laquelle ne manque pas d’alliés historiques dans les rangs de l’Asean (cf. Philippines, Thaïlande, Singapour, Indonésie) – cette sortie de la généralement discrète organisation du sud-est asiatique aura entre autres nouvelles relayé le mécontentement du Vietnam et démontré à Pékin qu’elle se sentait aussi un droit de résistance, qui plus est collectif, à lui opposer, quand de besoin. Message (mal) reçu dans la capitale chinoise.

Taiwan : Le 22 juin, le ministre des affaires étrangères taïwanais déclara que des “plans” étaient actuellement à l’étude pour consolider les arguments de Taipei sur la souveraineté en mer de Chine méridionale. Taïwan contrôle de fait les îles Pratas (Dongsha pour la Chine), trois petites îles formant un atoll posé 850 km au sud-ouest de Taipei… mais à seulement 350 km au sud-est de Hong Kong. Les forces navales taïwanaises (Republic of China Navy) devaient effectuer fin juin des manoeuvres dans la région disputée. Une attitude, une posture, qui sera appréciée à Pékin… Les deux rives du détroit de Formose jouissent aujourd’hui d’un niveau de coopération et d’échange inégalé dans l’histoire tumultueuse de ces 62 dernières années ; un profit appréciable (économiquement, commercialement, au niveau sécuritaire également) pour “l’île rebelle” qui, sur le sujet considéré, ne prendra pas le risque de trop d’hardiesse et de défiance à l’endroit de la fière voisine continentale, nonobstant la permanence, dans les rangs de la population de la République de Chine (Taïwan), de ressors nationalistes forts.

Japon : le 24 juin, les garde-côtes japonais s’émeuvent de la présence d’un navire de recherche chinois (1 500 tonnes) croisant — sans autorisation – à 350 km au large de Fukushima, soit dans la zone économique exclusive (ZEE) nippone. Deux semaines plus tôt, les autorités japonaises avaient déjà peu apprécié la présence d’une flottille d’une douzaine de navires de guerre chinois évoluant, à l’occasion de manoeuvres, entre les îles méridionales d’Okinawa et de Miyako. A peine un mois plus tôt, le premier ministre chinois Wen Jiabao était pourtant en visite dans l’archipel nippon (21-22 mai 2011). Si ces récentes péripéties maritimes sino-nippones ne concernent pas à proprement parler la mer de Chine du sud, elles alimentent néanmoins l’incertitude sur les ambitions navales de Pékin — laquelle s’emploie ici encore à grands renforts de ressources financières à moderniser et à accroître ses arguments militaires – à moyen-long terme en Asie.

Inde : enfin, quoi qu’ouverte sur la mer d’Arabie et le golfe du Bengale plus que sur la mer de Chine méridionale, l’autre puissance émergente asiatique, l’Inde, suit attentivement ces récentes passes d’armes sur l’espace maritime disputé. Partageant elle aussi un contentieux territorial sensible et loin d’être réglé avec Pékin (90 000 km² dans le nord-est indien), New Delhi jauge l’attitude chinoise dans l’espoir d’y déceler quelque avancée satisfaisante ou une nouvelle approche ; sans trop miser sur pareille éventualité.

Olivier Guillard, directeur de recherches à l’IRIS associé Crisis Consulting/ LeMonde juil11

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