“Une faillite d’Etat est finalement assez banale” par Kenneth Rogoff
Professeur à Harvard (Massachusetts), ancien chef économiste du Fonds monétaire international (FMI), Kenneth Rogoff est aussi l’auteur du best-seller Cette fois c’est différent. Huit siècles de folie financière (Pearson, 2010).
Spécialiste des crises financières et des faillites d’Etat, il estime que le plan proposé par les chefs d’Etat et de gouvernement en Europe, jeudi 21 juillet, est une étape nécessaire mais pas déterminante pour en finir avec la crise de l’euro.
Les Européens ouvrent la voie à un défaut partiel de la Grèce. Qu’en pensez-vous ?
Kenneth Rogoff : Ils ont mis du temps à reconnaître l’inévitable : la dette de la Grèce n’est pas soutenable et doit être réduite. Et c’est une bonne chose de faire admettre aux créanciers privés qu’ils doivent contribuer.
Les Européens n’avaient pas le choix. Mais c’est seulement une étape, qui ne résout pas tout. Finalement, la seule grande avancée, est d’avoir fait accepter à la Banque centrale européenne (BCE) d’évoquer un défaut du bout des lèvres. Un obstacle a été franchi.
L’Europe n’est donc pas sortie d’affaires…
Il n’y a là que des mesures qui permettent, à nouveau, de gagner du temps, quelques semaines face aux marchés. Il manque toujours la solution radicale, déterminante.
Les dirigeants européens n’ont pas évoqué clairement le dispositif concernant le Portugal ou l’Irlande. Jusqu’où peut-on soutenir l’Italie ? Quel est l’avenir de l’euro ? Va-t-on créer une union fiscale ? Toutes ces questions sont sans réponse. Ce qui a été dit et fait n’est qu’un pas de plus, le minimum pour éviter un effondrement imminent.
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Le marché a pourtant salué ce plan…
Je trouve étrange que l’euro se maintienne à un tel niveau, je dois le reconnaître. Mais les marchés sont versatiles, contents un jour, affolés le lendemain.
Que faudrait-il faire ?
La crise ne sera pas résolue tant qu’on ne réduira pas drastiquement la dette de la Grèce, probablement de 70 %. Celles de l’Irlande et du Portugal sans doute aussi, dans des proportions légèrement inférieures. L’Espagne et l’Italie ont besoin d’aller plus loin dans l’assainissement de leurs finances. L’Allemagne et la France, elles, doivent recapitaliser leurs banques qui en ont vraiment besoin.
Il ne faut pas attendre. Les stress tests [du 15 juillet] n’ont pas du tout été à la hauteur de la situation. Il aurait fallu alors obliger les banques à se renflouer massivement. L’échec de cette opération révèle le problème de gouvernance de l’Europe.
Et toutes ces mesures ne sont qu’un point de départ. A la fin, il faut arriver à établir les règles d’une véritable union fiscale. A mon sens, une union monétaire ne peut être viable sans cela. On ne peut imaginer que Berlin garantisse les dettes de tout le monde, de pays comme l’Espagne ou de l’Italie. Cela finirait par remettre en cause sa propre solvabilité.
Les Européens pouvaient-ils aller aussi loin, prendre de telles décisions lors de ce sommet ?
Ce n’est pas comme si les décideurs européens avaient du temps devant eux. Ils peuvent sans doute faire valoir qu’ils manquent de soutien politique pour aller aussi loin.
Il est vrai que cela est compliqué : personne n’a de mandat politique assez puissant pour en décider ainsi et chaque étape requiert un consensus de tous les membres de la zone euro. Mais si on n’avance pas dans cette direction, on aura très vite une série de faillites totalement désordonnées.
L’ euro est toujours en danger ?
Il y a clairement un risque que la Grèce, de même que le Portugal et sans doute d’autres pays, doivent sortir provisoirement de la zone euro. Mais cela n’empêche pas l’euro de continuer à exister. Il était peut-être trop ambitieux de vouloir faire adhérer certains pays à l’euro – il leur aurait fallu plus de temps – mais le cœur de l’union monétaire formé par l’Allemagne et la France reste très solide.
Les plans d’austérité en Grèce, conçus en grande partie par le FMI, n’ont-ils pas aggravé son problème d’endettement ?
Depuis le début, il fallait envisager une restructuration de la dette grecque, mais les Européens ne voulaient pas entendre parler d’un défaut. Pour des pays comme la Grèce mais aussi le Portugal ou l’Espagne, en panne de croissance, le niveau d’endettement n’est pas soutenable. Donc non, je ne blâmerai par le FMI. Il a fait ce que l’Europe lui demandait et c’est peut-être là son unique faute. C’est l’Europe qui a fait une erreur de diagnostic.
On demande aux créanciers privés de participer de façon volontaire au plan. Est-ce réaliste ? Souhaitable ?
Faire participer les banques de façon volontaire suppose de leur offrir des conditions avantageuses. Cela coûtera cher. Il aurait fallu que leur contribution soit obligatoire.
Mais, bien sûr, le mot “volontaire” tel qu’utilisé par les dirigeants européens ne reflète sans doute pas la réalité. Je pense qu’ils vont faire pression sur les banques par des moyens divers, notamment réglementaires, pour les obliger à participer au plan.
Dans votre livre, vous rappelez les multiples faillites d’Etat qui ont émaillé l’histoire. Cette fois-ci, est-ce différent ?
La vraie question est : un pays peut-il survivre à une faillite ? Pour la Grèce et le Portugal, la meilleure solution est sûrement d’effacer une grosse partie de leur dette afin de retrouver de la croissance. Ce ne serait pas la fin du monde.
L’Europe va un peu vite en comparant un tel événement à la faillite de Lehman Brothers. Une faillite d’Etat est finalement assez banale et l’on sait comment gérer le problème d’une restructuration. Même si l’appartenance à la zone euro change évidemment un peu la donne.
Aux Etats-Unis, la question des finances publiques inquiète aussi à cause du différend entre Barack Obama et le Congrès au sujet du plafond de la dette. Faut-il le supprimer ?
C’est nécessaire, à condition de l’accompagner de règles de discipline budgétaire. Sans cela, le problème se répétera année après année. Et un jour, les Etats-Unis pourraient bien finir par faire défaut. Cette crise est d’abord constitutionnelle. Si on supprime le plafond de la dette [fixé à 14 294 milliards de dollars spot, soit 9 905 milliards d’euros], je ne pense pas que ce sera Armageddon.
Propos recueillis par Claire Gatinois et Marie de Vergès/le monde juil11
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