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Ricardo versus Keynes par Andreas Höfert

Ricardo versus Keynes  par Andreas Höfert

L’économie américaine est confrontée à une trappe à liquidités typique.

Aux Etats-Unis, la base monétaire a triplé depuis l’automne 2008 avec deux poussées d’assouplissement quantitatif (QE), les taux des fonds fédéraux sont à zéro et y resteront jusqu’en 2013. En outre, l’Opération Twist ainsi que les craintes autour des perspectives économiques globales ont fait chuter les rendements des bons du Trésor à 10 ans jusqu’à 1,7%, un record depuis 60 ans. Le crédit stagne, le marché immobilier reste fragile et le chômage dépasse 9% depuis 3 ans. La politique monétaire semble sans effet.

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D’après moi, nous sommes confrontés à une trappe à liquidité typique. Le grand économiste John Maynard Keynes a étudié ce phénomène contre lequel la politique monétaire ne peut rien. Les faibles taux d’intérêt n’incitent ni les ménages ni les entreprises à consommer ou à investir, mais plutôt à épargner au vu des mauvaises perspectives économiques et à cause du cycle de désendettement. C’est pourquoi, dans ce contexte, ni l’Opération Twist, ni un nouvel assouplissement quantitatif ne stimulerait l’économie américaine instable.

Serait-il mieux de ne rien faire? Keynes et ses éminents successeurs, comme Paul Krugman, le Prix Nobel 2008, s’insurgent contre cette idée. La politique budgétaire dynamise fortement une économie embourbée dans des problèmes de liquidité. De plus, les taux d’intérêt bas réduisent le financement du déficit public et peuvent stimuler le cycle des affaires grâce aux investissements en infrastructures. Voilà pour la théorie, et c’est ainsi qui aurait fallu réagir dans les années 1930, avant que Keynes publie sa Théorie générale.

Mais, de nos jours, cette politique budgétaire doit sérieusement être nuancée. Selon le théorème de l’équivalence de Ricardo, proposé par l’économiste anglais classique David Ricardo et redécouvert en 1973 par l’économiste «néoclassique» Robert Barro, les agents rationnels sont indifférents aux origines du financement des dépenses publiques, qu’il s’agisse d’impôts ou de déficits. Pourquoi? Parce que les déficits peuvent être considérés comme des impôts à venir, et qu’on peut démontrer que les impôts futurs actualisés correspondent à l’impôt actuel que l’on paierait si les dépenses publiques étaient financées par les recettes fiscales plutôt que par les déficits.

L’équivalence de Ricardo est considérée par la majorité des économistes comme une théorie, certes très élégante, mais aussi bien peu réaliste. Elle est mise en doute, entre autres parce qu’elle suppose que les individus ont une visibilité parfaite de l’avenir en termes d’impôts. Cependant, le contexte actuel aux Etats-Unis pourrait la rendre plus pertinente. Au cours du récent débat sur le plafonnement de la dette, le gouvernement américain a accepté de réduire la dette ultérieurement, bien qu’il continue à creuser le déficit actuellement. De futures augmentations d’impôt ne devraient donc surprendre personne. Et, par anticipation, les citoyens pourraient déjà commencer à adapter et à réduire leur consommation et leurs schémas d’investissement, diminuant d’autant l’effet des impulsions fiscales.

Mais qu’en est-il de ceux qui, malgré l’engagement du gouvernement américain, ne croient pas en la hausse des impôts pour réduire la dette? Ils entrent dans la catégorie d’une autre théorie «néoclassique» développée par les lauréats du Prix Nobel 2004, Edward Prescott et Finn Kydland, à propos de l’»incohérence temporelle» des décisions politiques. Pour simplifier, selon cette théorie, l’engagement du gouvernement de réduire la dette ultérieurement ne vaut guère plus que le papier sur lequel il est écrit.

Andreas Höfert Economiste en chef, UBS Wealth Management & Swiss Bank oct

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