Agefi Suisse

Conditions du retour de l’inflation

Conditions du retour de l’inflation 

La gestion globale de la crise financière contient trois phénomènes potentiellement inflationnistes: d’une part l’explosion des dette publiques (dans les pays développés, le taux d’endettement est passé de 72% en 2007 à 110% du PIB en 2012; pour mémoire l’encours de la dette mondiale privée et publique est de USD 220 trillions, soit 307% du PIB), d’autre part des injections massives de liquidités de la part des banques centrales (USD 10 trillions depuis 2007, la liquidité mondiale passant de 15% à 30% du PIB mondial). Enfin, le spectre de la guerre des changes ouvre la porte à des dévaluations compétitives.

 

Les craintes se focalisent sur le risque inflationniste lié à l’excès de création monétaire. C’est la théorie quantitative de la monnaie qui établit le lien entre masse monétaire, inflation, activité réelle et vitesse de circulation de la monnaie. Milton Friedman affirmait en 1970: «l’inflation est toujours et partout un phénomène monétaire en ce sens qu’elle est et qu’elle ne peut être générée que par une augmentation de la quantité de monnaie plus rapide que celle de la production». La forte expansion monétaire observée dans les pays développés (Etats-Unis, Europe, Japon) demeure limitée à la monnaie banque centrale (M0). La masse monétaire détenue par les agents économiques (M2) ne connaît pas d’augmentation. Cela reflète l’absence de reprise du crédit. Une hausse de M0 sans hausse de M2 ne peut donc pas générer de l’inflation. Les banques ont des réserves de liquidités importantes mais les ménages ou les entreprises ne détiennent pas d’encaisses liquides susceptibles de stimuler la demande et donc d’augmenter les prix. En d’autres termes, c’est la transmission de la base monétaire à la masse monétaire qui signalera l’apparition de tensions inflationnistes potentielles. 

PLUS DINFLATION EN SUIVANT:

Il existe a une situation intermédiaire où la création monétaire excessive peut conduire à une perte de crédibilité des banques centrales et donc à une hausse de l’inflation anticipée. Cette inflation anticipée peut se mesurer de plusieurs manières: le niveau des taux d’intérêt à long terme (notamment la pente de la courbe des taux), les enquêtes (enquêtes de la Fed, Université du Michigan, Consensus Forecast), les évolutions salariales et les points morts d’inflation fournis par les obligations indexées. L’inflation anticipée précède l’inflation effective. Mais en cas de sous emploi (chômage de masse, faiblesse du taux d’utilisation des capacités de production, peu ou pas de pricing power des salariés), la hausse des anticipations d’inflation générées par des politiques monétaires ultra-expansionnistes sera temporaire et insuffisante pour se matérialiser. Dès lors, pour sortir d’un contexte déflationniste (phénomène de trappe à liquidité), l’action reflationniste de la banque centrale doit être complétée par des mesures budgétaires de soutien à court terme et des réformes structurelles à moyen terme. 

Une situation d’excès de demande par rapport à l’offre est donc nécessaire pour que la création monétaire devienne inflationniste. 

Cela pourra se manifester par: 1. des tensions sur le marché du travail (quantitatives ou qualitatives); 2. un recul de l’offre (destructions de capacités de production, une  hausse des prix des matières premières, un affaiblissement des gains de productivité, moins de concurrence, une incapacité à substituer les importations en cas de hausse de la demande intérieure); 3. une hausse de la demande (augmentation du crédit, hausse des salaires réels, baisse du change, un partage de la valeur ajoutée en faveur des salaires et non des profits). 

Selon cette grille de lecture, le risque inflationniste est nettement plus présent dans les pays émergents que dans les pays développés. Les goulots d’étranglement sur le marché du travail (main d’œuvre disponible, qualification, mobilité) pouvant conduire à des hausse de salaires sont importants dans les pays émergents (Amérique latine, Inde et Russie), nettement moins dans les pays développés (chômage de masse en Europe et aux Etats-Unis). En Chine, le risque est moins immédiat. Ce sont les menaces déflationnistes qui dominent à court terme. 

Aux Etats-Unis, le succès de la transmission de la politique monétaire via le canal du prix des actifs (hausse du patrimoine des ménages de USD 3 trillions au T1 2013 pour atteindre 70 trillions, dépassant le pic de 2007) met néanmoins le pays à risque, loin devant la zone euro qui demeure en territoire déflationniste. Quant au Japon, son objectif de doubler la base monétaire d’ici fin 2014 afin de stimuler l’inflation et donc de sortir de la spirale déflationniste risque d’entrer en conflit avec les finances publiques (le ratio de dette publique est au dessus de 240% du PIB). 

A cet égard, le fait que les banques centrales soient en situation de fiscal dominance (la politique monétaire est dépendante de la politique budgétaire, elle assure la solvabilité budgétaire en faisant baisser les taux réels) crée un conflit inévitable avec le mandat de stabilité des prix. Cela n’est pas sans rappeler les années 70, période durant laquelle les politiques monétaires étaient restées très expansionnistes afin de stabiliser les dettes publiques via une baisse des taux d’intérêt réels. Cela avait conduit à une forte hausse de l’inflation au début des années 1980.

Emmanuel Ferry Banque Pâris Bertrand  Sturdza SA/ Agefi Suisse 26/7/2013

http://agefi.com/marches-produits/detail/artikel/la-gestion-de-la-crise-alimente-trois-phenomenes-potentiellement-inflationnistes-fortes-craintes-sur-le-risque-lie-a-lexces-de-creation-monetaire.html?catUID=19&issueUID=378&pageUID=11298&cHash=b9e049f3de3c3949e084a4f5a0806d3d

Laisser un commentaire