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Dix idées reçues sur l’économie suisse

Dix idées reçues sur l’économie suisse

De la productivité à l’endettement: les grands mythes de l’économie suisse égratignés.

Sur la scène internationale, la Suisse est souvent encensée et enviée. En marge de la présentation de ses perspectives économiques pour 2014 Credit Suisse revisite une série de qualités (ou de clichés) souvent prêtées à l’économie nationale. Un tour d’horizon inédit réalisé par Claude Maurer et Bettina Rutschi (du département Recherche macroéconomique Suisse) qui met en garde contre tout excès de triomphalisme.

1) La Suisse a surmonté le creux de croissance des années 1990

Entre 2000 et 2012, l’économie suisse a certes connu une croissance plus marquée que l’UE (1,8% par an, contre 1,5%). Mais si l’on mesure la croissance économique à l’aune de l’évolution démographique, la Suisse perd du terrain. La croissance par habitant atteint alors presque 1% en Suisse et 1,2% dans l’UE. De toute évidence, la Suisse affiche toujours un certain retard en matière de croissance de la productivité – retard qui découle tout simplement de sa politique en matière d’emploi: en Suisse, même les personnes moins productives sont intégrées au marché du travail, ce qui fait baisser la productivité moyenne, tout en maintenant le taux de chômage à un bas niveau. Simultanément, le cloisonnement du marché intérieur et la mutation structurelle vers des branches à faible création de valeur limitent la croissance de la productivité, ce qui reste inquiétant.

2) La Banque nationale est indépendante

La Banque nationale suisse (BNS) est indépendante sur le plan institutionnel, mais pas sur le plan économique, comme le démontre l’exemple du cours de change plancher. Le niveau du taux LIBOR à 3 mois – le «taux directeur» – de la BNS dépend ainsi actuellement grandement des décisions de la Banque centrale européenne (BCE). Tant que la BNS se concentre sur la défense du cours de change plancher, elle ne peut pas relever les taux d’intérêt en Suisse, car des taux plus élevés rendraient le franc plus attractif, ce qui ferait grimper son prix – le cours de change. En temps «normal», lorsque la politique monétaire de la BNS n’est pas centrée sur le cours de change, mais sur le taux directeur, elle peut certes édicter elle-même ce dernier, mais les cours de change restent tributaires d’événements internationaux – ce qui limite également la marge de manoeuvre de la BNS au vu de l’importance du cours de change pour la Suisse.

3) Les taux d’intérêt sont bas

L’«illusion monétaire» fait apparaître un niveau de taux d’intérêt plus bas qu’il ne l’est réellement. D’un point de vue économique, le taux d’intérêt nominal n’est pas très parlant. Ce n’est que corrigé de l’inflation que la valeur «réelle» permet une évaluation probante des intérêts versés. Le nombre de minutes qu’une personne doit travailler ou les biens de consommation auxquels elle doit renoncer pour s’acquitter des taux d’intérêt constituent p. ex. des valeurs réelles. Pour simplifier, l’inflation contribue d’une certaine manière au paiement des intérêts. Or, cela fait des années que l’inflation est faible en Suisse – et même négative actuellement. Contrairement à l’étranger et à la Suisse des années 1990, elle ne soutient donc pas les débiteurs, ce qui relativise l’avantage de taux nominal.

4) Les finances publiques sont durablement saines

Les finances fédérales ont récemment été encadrées par le frein à l’endettement, mais le prochain test pourrait se révéler (trop) rude: sans programme d’allègement et sur fond d’exigences en hausse, la Confédération pourrait se voir confrontée d’ici quelques années à des déficits que le frein à l’endettement lui interdit. En outre, la planification financière table sur une reprise économique durable, ce qui semble quelque peu optimiste. La volonté de se «serrer la ceinture» se-ra-t-elle au rendez-vous après des années de hausse des dépenses? Rien n’est moins sûr. Le Conseil national en tout cas a rejeté le dernier programme d’allègement dès cet été. De leur côté, les assurances sociales ne se sont pas dotées d’un frein à l’endettement, alors que les futurs problèmes y sont d’ores et déjà évidents.

5) Contrairement à l’Europe, la Suisse est capable d’entreprendre des réformes

Garantir la prévoyance vieillesse est un thème déjà ancien, l’allongement de l’espérance de vie suffisant à lui seul à altérer son équilibre dans les prochaines années. L’espérance de vie d’un homme après le départ à la retraite s’établit aujourd’hui à 18,8 années; au moment de la création de l’AVS en 1948, elle n’était que de 12,4 ans. Cependant, l’âge de départ à la retraite (65 ans) est resté inchangé et aucun relèvement ne semble se dessiner dans un avenir proche. Même les pays du sud de l’Europe agissent plus vite, que ce soit par vertu ou nécessité: tout comme le Danemark, la Norvège et sept autres pays de l’OCDE, l’Espagne et l’Italie ont décidé ou déjà mis en oeuvre un relèvement de l’âge de départ à la retraite à 67 et 68 ans.

6) La Suisse est le pays des PME

Certes, 99,7% des structures du pays sont des petites et moyennes entreprises (PME), qui emploient 66,6% des salariés. En comparaison internationale, cela n’a cependant rien d’extraordinaire. Dans l’UE, 99,8% des entreprises sont ainsi des PME, avec une part dans l’emploi de 67,4%, des chiffres donc supérieurs à ceux de la Suisse. En outre, les grandes entreprises ne se limitent pas à employer un Suisse sur trois – leur poids dans le PIB semble disproportionné, puisqu’elles sont fortement surreprésentées dans les branches à forte création de valeur. Plus d’un tiers des salariés des grandes entreprises travaillent en effet dans l’un de ces secteurs, contre seulement 20% des employés des PME.

7) Les ménages suisses ne s’endettent pas

Le ménage moyen suisse (2,2 personnes) affiche un endettement de plus de 200.000 francs suisse, soit un endettement global de plus de 700 milliards de francs – presque un record mondial en comparaison avec le PIB. En y regardant de plus près, cette montagne de dettes perd cependant un peu de sa hauteur. Les ménages suisses affichent principalement des dettes hypothécaires; 95% des crédits sont ainsi couverts par des biens immobiliers, la part des crédits à la consommation est donc faible. Les plus de 660 milliards de francs de dettes hypothécaires sont de fait couverts par plus de 1600 milliards de francs de valeurs immobilières. En outre, la part du revenu allouée à l’acquittement des intérêts est relativement faible, et les autres éléments de fortune assez importants. La Suisse n’est toutefois pas un pays à très faible endettement.

8) Les Suisses travaillent dur

Les Suisses profitent eux aussi de plus en plus de loisirs, le nombre de semaines de congés annuels pour les employés étant passé de 4,6 en 1996 à 5 en 2012. Selon une enquête de la société de conseil Mercer, la Suisse occupe ainsi une place en milieu de tableau en comparaison internationale. Même classement en ce qui concerne le temps hebdomadaire moyen de travail pour un poste à plein temps (42 heures en 2011, contre une moyenne de 42,4 heures pour l’OCDE). Le temps de travail est surtout plus important dans les pays émergents, comme le Mexique et la Turquie.

9) L’industrie est la principale contributrice à l’excédent suisse face à l’étranger

Ce ne sont pas les exportations industrielles, mais celles de prestations de services qui sont responsables de l’important excédent commercial de la Suisse. En moyenne, la contribution du secteur des services a été plus de quatre fois supérieure à celle du commerce de marchandises ces dernières années. Le fait qu’une part importante de cet excédent soit générée par des secteurs hautement spécialisés (comme le négoce de matières premières) relativise cependant quelque peu son poids en matière d’emplois, et donc en tant que moteur de la prospérité.

10) Le marché du travail suisse est robuste

La situation sur le marché du travail semble plus positive qu’elle ne l’est réellement. Des emplois ont certes été créés depuis le début de la crise économique, mais cette progression se concentre sur quelques secteurs, à savoir la santé, la fonction publique et la construction ainsi que les branches qui lui sont proches. A plus long terme, la situation est similaire: au cours des 20 dernières années, quelque 250.000 postes ont été créés dans la santé, l’éducation et la fonction publique, tandis que plus de 100.000 postes disparaissaient dans l’industrie. L’on peut donc au moins s’interroger sur la prétendue robustesse du marché du travail suisse.

Source Crédit Suisse/ Agefi Suisse Mercredi, 11.09.2013

http://agefi.com/une/detail/artikel/de-la-productivite-a-lendettement-les-grands-mythes-de-leconomie-suisse-egratignes.html

1 réponse »

  1. Idée recue Nº 11 :
    On paie peu d’impôts en Suisse. Assurément, moins qu’ailleurs quoique…
    C’est peut-être vrai pour quelques riches étrangers au bénéfice d’un forfait fiscal, (ce que à priori je trouve
    intelligent parceque ces étrangers peuvent apporter beaucoup au pays).
    Mais beaucoup de Suisses qui eux n’ont pas droit à ces forfaits, paient 40-50-60 voir 70 % d’impôts et même plus.

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