Analyse d'un secteur économique particulier

Agroalimentaire. La Russie absorbait 10% des exportations de l’UE. L’embargo peut créer une crise interne.

Agroalimentaire. La Russie absorbait 10% des exportations de l’UE. L’embargo peut créer une crise interne.

La Russie a annoncé jeudi l’ «interdiction totale» de la plupart des produits alimentaires en provenance notamment des pays d’Europe et des États-Unis en réponse aux sanctions occidentales à l’encontre de Moscou. 

La Russie va se priver de nombreux produits frais en suspendant ses importations agroalimentaires en provenance d’Europe, mais les sanctions risquent aussi d’engorger l’espace communautaire qui perd un débouché important, en fruits et légumes notamment.

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Avec l’Ukraine (avant la crise) et le Brésil, l’Allemagne et les Pays-Bas figuraient en 2013 parmi les principaux fournisseurs de la Russie, qui importe 35% de sa consommation alimentaire. 

Ce pays absorbe ainsi 10% des exportations agricoles et agroalimentaires de l’UE, pour un montant de 12 milliards d’euros par an, selon Eurostat. 

«La Russie est exportatrice de céréales mais fortement importatrice de légumes et fruits et de produits transformés tels la viande, les produits laitiers», a rappelé Xavier Beulin, patron du principal syndicat agricole français, la FNSEA. 

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Fruits frais, fromages, porcs … représentent à chaque fois un volume d’affaires d’un milliard d’euros environ. Ce sont avec les légumes (770 millions) les marchandises qui manquent le plus aux tables russes et constituent les principales importations alimentaires d’Europe avec les vins et spiritueux (1,5 milliard euros). 

Les pommes, les tomates et les pêches en particulier sont achetées chez les Européens qui traversent justement une grave crise cette saison, en raison d’une production abondante. 

D’où un double effet probable, résume M. Beulin: «la Russie se ferme aux importations, mais les produits qui n’iront plus à l’exportation vont se rabattre sur les pays européens et créer une situation de crise», craint-il.

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 Selon le président de la fédération des producteurs de fruits français (FNPF), Luc Barbier, les «Espagnols exportaient (en 2012) environ 100.000 tonnes de fruits vers l’Ukraine et la Russie: autant de quantité qui vont se rabattre sur le marché communautaire». 

Italie, Espagne et France connaissent déjà une guerre de la pêche nectarine avec des prix effondrés et «la catastrophe» se profile avec la pomme, annonce-t-il. 

Les Français ont expédié pour près de 26 millions d’euros de fruits en Russie en 2012, selon M. Barbier. 

«Mais cette année, la Pologne qui exportait beaucoup vers la Russie attend une récolte abondante qui va naturellement se reporter sur le marché intérieur» de l’UE. 

Selon la WAPA, l’association mondiale des producteurs de pommes et de poires, la Pologne est de loin le plus gros producteur de pommes de l’Union (3,5 millions de tonnes attendues cette année) avec l’Italie (2,3 millions de tonnes) et la France (1,5 million de tonnes). 

Au total, Paris a expédié l’an passé 1,17 milliard d’euros de produits agro-alimentaires vers la Russie, dont 450 millions en boissons alcoolisées. Le premier dévissage sérieux jeudi est cependant venu de Norvège (lire ci-dessous). La Norvège n’est pas membre de l’UE mais avait souhaité se joindre aux sanctions contre Moscou. Or, la Russie, principal débouché pour ses produits halieutiques, avait acheté près de 380 millions d’euros depuis janvier. 

En viande bovine, le premier fournisseur de la Russie reste de loin le Brésil, devant les autres pays d’Amérique latine et l’Amérique du Nord (soumise elle aussi aux sanctions pour les Etats-Unis). 

La contribution de l’UE quant à elle était déjà en net recul depuis 2013 (moins de 50.000 tonnes équivalent carcasse contre 100.000 en 2011 selon l’Institut de l’élevage), en raison de restrictions sanitaires souvent comprises comme des «prétextes politiques», relève Guy Hermouet, vice-président de la Fédération nationale bovine chargé de l’exportation. Ce sont principalement la Belgique, les Pays-Bas et l’Allemagne qui auront à pâtir de ce coup de frein juge-t-il. 

Le Danemark et les Pays-Bas seront les plus exposés pour les produits laitiers – la France qui a vendu l’an passé pour 119 millions d’euros de produits laitiers à la Russie représentait moins de 4% des importations du pays dans ce secteur. 

Pour les Etats-Unis, qui exportent relativement peu de denrées vers la Russie (moins de 1% de toutes leurs exportations agricoles), ce sont surtout les poulets qui sont visés (310 millions de dollars), suivis par les noix (172 millions), le soja (157 millions) et le bétail (149 millions), selon les chiffres de 2013 du ministère de l’agriculture.   

M. Beulin, le représentant des exploitants agricoles français, mise aussi sur la réaction des consommateurs russes face à des étals qui resteraient vides. 

L’UE envisage de saisir l’OMC

L’Union européenne envisage de saisir l’Organisation mondiale du Commerce (OMC) au sujet de l’embargo imposé par la Russie sur de nombreux produits agroalimentaires en provenance d’Europe, a indiqué jeudi à l’AFP l’ambassadeur de l’UE à Moscou Vygaudas Usackas. «Oui, sans aucun doute, cette solution est envisagée», a déclaré M. Usackac, ancien chef de la diplomatie lituanienne, joint au téléphone depuis Vilnius. 

«Nous allons défendre nos producteurs en ayant recours à des moyens légaux. L’UE observe toujours la loi et les engagements internationaux», a souligné M. Usackas. 

Les ripostes augmentent les tensions entre l’UE et Moscou, a regretté l’ambassadeur. 

«La question fondamentale est le manque de confiance. Celle-ci a été ébranlée par les actions illégales d’annexion de la Crimée et de destabilisation de l’Ukraine orientale», a poursuivi M. Usackas.

 Selon lui, l’embargo va «punir principalement les consommateurs russes», 40% des importations agroalimentaires russes venant de pays de l’UE. M. Usackas a admis cependant que l’UE serait aussi affectée par cette situation, les exportations de produits agricoles européens vers la Russie ayant représenté en 2013 près de 12 milliards d’euros, soit près de 10% du total des exportations de l’UE vers la Russie. 

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Chute des éleveurs de saumons norvégiens

Les éleveurs de saumons norvégiens, le leader mondial Marine Harvest en tête, ont pris l’eau jeudi à la Bourse d’Oslo après la décision par la Russie de suspendre la plupart de ses importations agroalimentaires en provenance d’Europe. 

La Russie a été le principal débouché pour les produits halieutiques norvégiens de 2011 à 2013 devant la France et elle est encore cette année le deuxième plus gros marché pour son saumon. 

Or, le Centre des produits de la mer norvégien a annoncé jeudi avoir été informé que les poissons du pays figuraient sur la liste des produits frappés par les restrictions adoptées par la Russie pour une durée d’un an en réponse aux sanctions occidentales. 

Les autorités norvégiennes ont par conséquent recommandé aux éleveurs de ne pas préparer de livraisons vers ce pays «aujourd’hui et dans les jours qui viennent». 

«C’est une situation difficile pour les exportateurs norvégiens de produits de la mer», a estimé Terje Martinussen, le directeur du Centre des produits de la mer. 

«Le secteur norvégien a cependant une longue expérience des barrières commerciales en Russie et est donc préparé à ce que de telles situations se produisent», a-t-il ajouté. 

L’action Marine Harvest, premier producteur de saumon au monde, décrochait de 8,30% à la clôture de la Bourse d’Oslo jeudi. Salmar perdait 9,09%, Leroey Seafood 8,30% et Austevoll Seafood 7,40%. 

Les éleveurs norvégiens vont maintenant devoir se tourner vers d’autres marchés pour écouler leurs poissons.

 «Les produits qui sont normalement exportés en Russie peuvent librement être écoulés dans certains de nos 130 autres marchés», a indiqué M. Martinussen. 

Chez Marine Harvest, un groupe contrôlé par l’homme d’affaires chypriote d’origine norvégienne John Fredriksen, on dit «suivre la situation de près». 

Ces dernières années, les professionnels norvégiens ont déjà dû composer avec des restrictions imposées par la Russie pour des questions sanitaires. 

Les volumes en question sont considérables: en 2013, la Norvège a exporté 295.000 tonnes de poisson vers la Russie pour une valeur de 6,5 milliards de couronnes (776 millions d’euros), le saumon et la truite représentant 81% des ventes, loin devant le hareng et le maquereau. 

Chaque semaine, ce sont en moyenne 134 poids lourds chargés de saumon et de truite qui ont été acheminés dans ce pays. Celui-ci a absorbé, en volumes, 11,9% des poissons exportés par la Norvège. 

De janvier à juillet cette année, les volumes se sont toutefois tassés de 11%, et la Russie a été supplantée par la Pologne parmi les pays destinataires de poisson norvégien.

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