Regulation des Marchés

Dark Pool : La face cachée des marchés financiers

Dark Pool : La face cachée des marchés financiers 

La face cachée (et utile) des marchés financiers Tout accuse les «dark pools», ces marchés de l’ombre, à commencer par leur nom. En Europe, la directive MiFID II veut introduire un plafond de 8% «dark» au négoce de chaque titre. Analyse et témoignage d’un acteur de cette scène un peu particulière

Tout accuse les «dark pools», ces marchés de l’ombre, à commencer par leur nom. Qui pourrait défendre «la face cachée de la finance», lieu de rencontre des «traders à haute fréquence» (THF) et des fonds spéculatifs? 

Les régulateurs font tout leur possible pour les sortir de leur opacité, dévoiler leur volume d’affaires et l’identité de leurs clients. Par définition, les «dark pools» assurent des transactions financières en leur sein et selon des règles définies par eux-mêmes. Ils se placent hors des marchés réglementés en offrant l’anonymat à leurs clients. Leur succès est phénoménal. Mais répondent-ils à un besoin? Sans leur apport de liquidité, les transactions seraient plus coûteuses et les marchés moins efficients, argumentent les financiers. Une analyse s’impose, ainsi que le témoignage d’un acteur de ces milieux méconnus. 

En Europe, la directive MiFID II veut introduire un plafond de 8% au négoce de chaque titre qui serait effectué dans un «dark pool». Cela correspond à mettre le plafond au niveau «dark» actuel. Un impôt sur les transactions financières irait sans doute plus loin et provoquerait la disparition de ce négoce. Une taxe existe en France, mais elle n’a aucun impact parce qu’elle est contournable. Certains acteurs, comme les courtiers, sont exonérés de cette taxe. Il est ainsi possible de structurer les ordres de bourse de façon à ce que la propriété du titre soit confiée au broker. Les THF sont exemptés. Idem pour tous ceux qui finissent la journée sans détenir de positions. Le public est content parce que les méchants sont punis. Mais la taxe a été faite de façon à ne pas faire fuir la liquidité de Paris. En Italie, le jour où la taxe a été introduite, les fonds spéculatifs ont quitté le marché car la Péninsule n’a pas prévu d’exonération. Le scénario plausible pour la zone euro, c’est une taxe à la française, ineffective car accompagnée d’exonérations. 

Le fonctionnement des «dark pools». Des noms connus participent à ces marchés. UBS disposerait du plus grand «dark pool» d’Europe. L’estimation provient des cabinets spécialisés. Aux Etats-Unis, UBS et Credit Suisse sont les deux plus grands marchés de l’ombre en termes de volume, selon nos sources. «C’est une information utile dans la mesure où l’investisseur est à la recherche de la liquidité maximale», assure Nicolas Mirjolet, associé et chef stratégiste de Tolomeo Capital, à Zurich. Cet acteur alémanique participe lui-même à ce type de marché. C’est l’occasion unique de mieux en comprendre le fonctionnement. 

«L’accès aux marchés et à leurs liquidités a un lourd impact sur nos coûts et nos revenus», fait valoir ce conseiller en hedge funds, d’autant mieux placé pour parler des «dark pools» que 60% de ses activités sont «dark». Créé en 2011 près de Zurich,Tolomeo Capital est le fruit d’un spin-off. Sa stratégie est basée sur des algorithmes, mais ce n’est pas un THF puisque son horizon de placement en actions est de 2 à 15 jours. Avec 6 milliards d’euros, son volume d’affaires est tout de même important, même s’il ne gère que 35 millions de francs. 

Ses ordres de bourse sont envoyés vers des courtiers qui disposent de la technologie leur permettant d’être acheminés vers le marché («routing»). Certains hedge funds demandent aux brokers de faire «au mieux», mais le résultat risque d’être coûteux, selon Tolomeo, lequel préfère négocier avec le broker pour obtenir la meilleure exécution possible. 

Le coût de l’exécution dépend de la commission du broker et du coût de la liquidité, lesquels sont variables et dépendent de l’influence de l’investisseur sur le prix. Les coûts de liquidité oscillent entre 2 et 10 points de base (0,02 à 0,1%) selon les marchés. Il n’est pas aisé pour un investisseur d’obtenir une solution avantageuse avec un broker, assure Ivan Popovic, directeur de Tolomeo. «Un broker n’aura aucune peine à vendre comme performante une stratégie qui ne l’est pas», explique-t-il. La différence entre la stratégie par défaut du broker et un dialogue approfondi avec lui peut atteindre 50% sur les coûts de liquidité, selon notre interlocuteur. 

Le broker envoie alors les ordres dans un agrégateur appelé «smart order router» qui dispose de connexions avec tous les marchés en temps réel et qui évalue sur quelle bourse il doit envoyer ses ordres en priorité. Il existe 12 bourses officielles aux Etats-Unis et plus de 40 «marchés de l’ombre». Si la bourse est très «toxique» et animée par de nombreux THF, le prix risque d’aller dans la direction opposée aux vœux de l’investisseur. La concurrence entre les bourses est forte. Selon Nicolas Mirjolet, l’investisseur doit découvrir si, pour le «smart order router», la logique de prix est prioritaire sur celle de qualité. Si le critère de prix l’emporte, le client est défavorisé. 

Les «dark pools» représentent 40% du volume d’échange aux Etats-Unis. C’est le signe du faible coût qu’ils induisent pour le broker. En effet, le coût y est nul puisque chaque broker dispose de son propre «dark pool». Les supprimer reviendrait à réduire la liquidité. 

En Europe, les «dark pools» représentent 10% du volume, les bourses nationales historiques 60% et les nouvelles bourses alternatives 30%. Les ordres de Tolomeo prennent à 40% la direction des marchés alternatifs et à 60% celle des marchés «dark» afin d’exploiter la liquidité et améliorer l’exécution, selon Ivan Popovic. Celui-ci estime pouvoir évaluer la performance des brokers en termes d’exécution grâce à sa base de données. 

Sera-t-il possible de «tracer» ces marchés méconnus? Les marchés sont des systèmes si complexes que certains comportements demeureront inexplicables. Le «traçage» des «dark pools» est envisageable, mais coûteux et leur suppression improbable. Certes, ce ne sont pas des pratiques appétissantes. Même Goldman Sachs a quitté ce métier. 

Mais si l’on considère que le plus grand risque de marché est moins géopolitique qu’une rupture de liquidité, la face cachée des marchés n’est sans doute pas inutile.

PAR EMMANUEL GARESSUS/ Le Temps 29/10/14

http://www.letemps.ch/Page/Uuid/9a24b42a-5eb4-11e4-802c-cf45623830fa%7C1

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